Décollage CHEOPS
HEIDI.NEWS || Sous un ciel orageux a été lancé peu avant l’aube à Kourou (Guyane française), ce mercredi à 5:54 (9:54 heure suisse), le premier télescope suisse jamais construit, CHEOPS. «C’est un succès majeur pour la science en général, et pour la Suisse en particulier», a déclaré sur place à Heidi.news le «père» genevois du projet, Didier Queloz, Prix Nobel de physique 2019. Et à 12:20, le satellite a été placé avec succès sur son orbite à 700km d’altitude, sous un tonnerre d’applaudissements suisses.
Pourquoi c’est important. CHEOPS doit permettre aux astronomes de caractériser avec précision entre 400 et 500 exoplanètes, c’est-à-dire des planètes tournant autour d’un autre soleil autre que le nôtre, et par là de mieux connaître la formation des systèmes stellaires. Cette mission réalisée pour le compte de l’Agence spatiale européenne (ESA) par l’Université de Berne avec le concours de celle de Genève et d’un consortium d’institutions publiques et privées de dix autres pays européens, fait entrer la Suisse dans le cercle restreint des nations capables de mener de tel projet de bout en bout.
Le décollage. Dans un vacarme à secouer toute la végétation de la forêt tropicale, le lanceur russe Soyouz, faisant taire les animaux qui animent la nuit guyanaise, a alors strié celle-là en un arc de lumière hachuré par les nuages, pour s’élever au-dessus de l’océan Atlantique.
Parmi les spectateurs ébahis dans la salle de contrôle Jupiter du Centre spatial guyanais (CSG), plusieurs des 130 scientifiques, ingénieurs ou techniciens ayant participé à la construction de CHEOPS durant sept ans. Heureux de voir enfin se concrétiser le fruit de leur travail.
La veille, les mines étaient plus crispées. Sur la base de Kourou, la mécanique des lancements est bien rôdée autour de l’ancien et d’ordinaire robuste mais fiable lanceur russe Soyouz. Or peu après le début du remplissage des réservoirs de kérosène et d’oxygène liquide, cinq heures avant le décollage, une anomalie est apparue dans le système automatique gérant la séquence de lancement. Autrement dit: le «cerveau informatique» de la fusée. Aussitôt, décision a été prise par les responsables russes et d’Arianespace, entité gérant les vols spatiaux européens, de reporter le vol, le temps de cibler la faille. De quoi renvoyer public et journalistes dans leurs hôtels de Kourou et des environs.
Où était le problème. Rien n’étant trivial, toutes les données enregistrées avant la panne ont été envoyées en Russie pour analyse détaillée. Puis elles ont été intensément discutées durant tout l’après-midi mardi à Kourou. Avant que la décision tombe finalement: deuxième tentative pour ce mercredi matin, à la même heure (la seule possible, en fait, pour rejoindre l’orbite souhaitée)! Au grand soulagement de la délégation suisse ayant fait le déplacement vers l’Amérique du Sud.
Si la pluie d’orage torrentielle n’a presque pas cessé depuis quelques jours sur cet exotique coin d’Amérique du Sud appelant à des vacances, elle n’a en rien menacé le lancement. Mardi soir au repas du soir, Stéphane Israël, directeur d’Arianespace, n’a d’ailleurs pas hésité à qualifier sous les éclats de rire la «météo de très bonne, donc aucunement susceptible de nous gêner. Bien sûr, tout dépend du business dans lequel on est…», or il n’a ici rien de touristique. Dans de tels cas, seule la survenue d’éclairs peut causer des sueurs froides dans la salle de contrôle du CSG. C’est d’ailleurs pourquoi chaque pas de tir est entouré de quatre immenses pylônes destinés à capter la foudre. Les vents d’altitude, autre raison de report du vol, étaient eux modérés. De quoi permettre le décollage tant attendu.
La mise en orbite. A 12h20 ce mercredi, CHEOPS a été acheminé sur son orbite finale de 700 km au-dessus de nos têtes, d’où il fera le tour de la Terre en 100 minutes sur une orbite héliosynchrone. Autrement dit, une orbite qui suivra toujours le «terminateur», la ligne de démarcation entre le jour et la nuit sur la Terre. De quoi permettre au satellite d’avoir toujours le «dos tourné» au Soleil, afin de n’être jamais perturbé par sa lumière en regardant la nuit, mais d’avoir aussi sa surface arrière exposée au Soleil pour alimenter ses panneaux photovoltaïques. Une mise en orbite qui a été soulignée par un tonnerre d’applaudissements, voire un poing levé pour Didier Queloz, dans la salle de contrôle Jupiter à Kourou.
Près de trois heures après le décollage, les scientifiques de CHEOPS avaient même déjà reçu diverses mesures sur l’état du télescope spatial, notamment sa température, celle-ci devant être maintenue aussi stable que possible pour éviter toute dilatation thermique susceptible de perturber l’acquisition des mesures.
Les réactions à chaud.
Willy Benz, professeur d’astrophysique de l’Université de Berne et scientifique principal du projet:
«C’est fantastique! C’est impressionnant et très particulier de voir un tel décollage après tant d’années de travail, pour tant de personnes! Cela passe presque trop vite.»
Renato Krpoun, chef du Swiss Space Office (SSO) au Secretariat d’Etat à la Formation, la Recherche et l’Innovation (SEFRI):
«La Suisse dispose d’excellentes capacités dans le domaine du spatial, notamment dans le construction de pièces ou d’instruments. Des activités qui ne sont pas toujours très visibles. Avec CHEOPS, tout cela devient très visible. C’est très positif!»
Josef Widmer, directeur suppléant du SEFRI:
«Nous sommes fiers que la Suisse ait mené à bien cette mission, qui montre aussi la qualité de la recherche et l’excellent niveau d’éducation dans notre pays. Nous sommes aussi très contents des liens étroits qui, à travers elle, se sont tissés ou renforcés avec l’industrie.»
Daniel Neuenschwander, directeur du à l’ESA et ancien directeur du SSO, originaire du canton de Vaud:
«A titre personnel, pour moi qui étais chef du SSO, c’est une fierté particulière de voir notre ambition suisse de l’époque traduite dans un projet concret et réalisé. Je suis heureux aussi que le lanceur Soyouz l’ait mis si précisément sur orbite. Pour le spatial suisse enfin, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre car la Suisse a fait la démonstration qu’elle est capable de conduire une alliance dans ce pays mais aussi un consortium industriel international. La Suisse sera perçue différemment lorsqu’il s’agira de discuter de nouveaux projets spatiaux. Notre pays a vraiment changé de ligue aujourd’hui.»
CHEOPS, c’est quoi exactement. Lourd de 273 kg, ce satellite gros comme une machine à laver de 1,5 m de côté est équipé d’un télescope doté d’un miroir de 32 cm de diamètre et d’un capteur photographique, un peu différent de celui de nos caméras. «Avec CHEOPS, l’objectif n’est pas de prendre de belles images, mais bien de collecter la lumière comme source d’informations», précise Willy Benz.
Le projet total aura coûté 105 millions d’euros, 50 étant assurés par l’ESA, 30 par la Suisse, et le reste par les autres partenaires étatiques et industriels.
La mission. CHEOPS aura pour tâche de pointer des exoplanètes – dans une catégorie d’astres allant de la Terre à Neptune – dont on connaît déjà la masse, déterminée avec une autre méthode (dit des «vitesses radiales»). Et de déterminer précisément, avec la «méthode des transits», leur diamètre lorsque ces compagnons planètaires passent devant l’étoile autour de laquelle elles tournent. Didier Queloz:
«En connaissant la masse et la taille très précise d’une exoplanète, on peut déterminer sa densité, et par là sa structure, sa composition géophysique. Voit-on une planète de roche, de gaz, d’eau, ou riche en glace? CHEOPS nous le dira. Et cela nous permettra de beaucoup mieux comprendre la formation des systèmes stellaires, finalement très fréquents dans notre galaxie.»
Mais le télescope spatial suisse permettra de faire bien plus:
Didier Queloz de préciser:
«CHEOPS va nous aider à sélectionner les cibles qui seront choisies pour d’une part le James Webb Space Telescope, qui sera lancé en 2021, de l’autre l’European Extremely Large Telescope (E-ELT), terrestre celui-là. Nous avons déjà une liste de 50 exoplanètes privilégiées, dans l’atmosphère desquelles nous pourrons traquer les éventuelles signatures de gaz ou d’éléments chimiques indiquant l’existence d’une possible vie. Et, d’ici la mise en service du JWST et de l’E-ELT, cette liste pourra encore varier au gré des découvertes de nouvelles exoplanètes.»
Il faut dire qu’à ce jour 4150 de ces planètes extrasolaires ont été identifiées. Un chiffre qui ne cessera d’augmenter ces prochains moins, tant le satellite américain TESS est efficace pour mettre au jour de nouveaux astres de cette collection.
Les étapes à venir. Elles seront nombreuses, d’ici le printemps 2020:
Et Willy Benz de conclure:
«La mission doit en principe durer trois ans et demi. Mais si les instruments optiques et l’électronique n’auront pas trop souffert des rayons cosmiques, ce qui conduirait à une perte de précision de l’appareil, elle pourrait être prolongée à cinq ans. Ce qui est sûr, c’est que CHEOPS ne finira pas comme déchet spatial, car le satellite sera désorbité en fin de vie.»
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