Le projet de l’entrepreneur Elon Musk d’envoyer une mission habitée vers Mars impressionne. Mais les détails concernant les moyens d’y accéder et d’y survivre manquent
Il est arrivé en retard, comme souvent. En rendez-vous ou en affaires, Elon Musk a la réputation d’avoir du mal à tenir les délais. Alors quand il annonce à Guadalajara, au Mexique, en plein Congrès astronautique international (IAC), une mission habitée de sa société SpaceX pour coloniser Mars dès 2023, les spécialistes restent circonspects. D’autres, tel l’ancien astronaute Leroy Chiao, cité par l’AFP, ont fait le choix de l’optimisme: «S’il ne livre pas toujours à la date exacte, il atteint en général ses objectifs. C’est possible mais agressif.»
Après tout, on parle d’un homme qui a vendu des milliers de voitures électriques et réussi à faire revenir une fusée sur Terre (la Falcon 9). Elon Musk a gagné le droit au bénéfice du doute. Si SpaceX n’a pas encore envoyé d’être humain dans l’espace, techniquement, peu remettent en cause sa capacité à construire la fusée la plus puissante de l’histoire pour atteindre la planète rouge. Comme le dit Eric Mack, du site Cnet, «si n’importe qui d’autre était sur la scène d’une conférence majeure et présentait un tel plan sans perdre son sérieux, la salle éclaterait de rire».
Pendant une heure, le milliardaire de 45 ans a présenté son plan, qualifié au choix de «vertigineux» (MIT Review), «fou» (Slate) ou «audacieux» (The Altantic). USA Today a même souligné des «détails sortis tout droit de romans de science-fiction». Il s’agit tout de même d’une fusée plus grande que celles du programme Apollo, d’une masse de 10 500 t et de 12 m de diamètre. Qui doit acheminer en orbite basse des navettes spatiales emmenant une centaine de voyageurs; des engins aux réservoirs vides, que d’autres vols viennent remplir de méthane et d’oxygène liquide, pour assurer assez de propulsion jusqu’à Mars.
L’un des aspects cruciaux du programme de SpaceX est en effet de pouvoir réutiliser à souhait le premier étage du lanceur, comme avec la Falcon 9, en le faisant revenir sur Terre et en l’y récupérant. De quoi fortement baisser les coûts des lancements. Et une fois sur Mars, les humains devront construire une usine produisant du carburant à partir des ressources présentes sur la planète rouge, ce qui permettra au vaisseau de retourner sur Terre.
Mais pour certains experts, atteindre Mars – à 225 millions de kilomètres de la Terre – et y vivre nécessitera une prouesse technique et un budget immense. «Il est improbable que Musk soit capable d’y amener des humains en 2025», dit à l’AFP John Logsdon, ancien directeur de l’Institut de politique spatiale de l’Université George Washington. Tout en rappelant que l’entrepreneur a déjà péché par excès d’optimisme: «Avant tout, il y a un problème de coût. On parle de dizaines de milliards de dollars et SpaceX n’a pas cet argent.» Pour rappel, la NASA a dépensé 3 milliards de dollars rien que pour envoyer une mission inhabitée sur Mars, indique au San Francisco Chronicle Dick Rocket, directeur de NewSpace Global, société de consulting spatial.
Pour Elon Musk, à ce stade, SpaceX doit se préoccuper du transport Terre-Mars. Les détails sur la manière dont les colons survivront une fois à destination restent «sommaires», estime le site Gizmodo. Dans un billet pour Forbes, Katherine Gustafson, spécialisée dans l’agronomie, se demande ce qu’on mangera sur la planète rouge: «Musk a comparé la colonisation de Mars à l’arrivée en Californie à l’époque où l’ouest des Etats-Unis était une étendue sauvage. Le problème, avec cette analogie, c’est que la Californie est sur terre, où les conditions existent pour faire pousser la nourriture dont nous avons besoin. Et si Mars dispose apparemment d’eau liquide, elle est pleine de perchlorates et d’autres impuretés qu’il faudra filtrer.»
Autre problème soulevé par The Verge: les radiations cosmiques. Une journaliste du site a interrogé le patron de SpaceX sur ce rayonnement qui peut provoquer diverses affections. «Ce n’est pas si grave que ça», a-t-il répliqué. Pas sûr que les scientifiques partagent son point de vue.
Le San José Mercury News a surtout tiqué sur sa rhétorique. Pour le quotidien de la Silicon Valley, en parlant de Mars comme d’une alternative à une Terre vouée à l’extinction, l’entrepreneur a «manqué une opportunité de faire ce que John F. Kennedy avait réussi dans son discours sur la Lune en 1962: inspirer une génération à prendre des risques. La peur n’est une bonne motivation pour personne.»
Malgré ses failles, le plan de SpaceX est plus avancé que celui de la NASA, signale Quartz. «Il ne s’agit pas d’un projet futuriste, mais de quelque chose sur lequel SpaceX travaille déjà depuis plusieurs années. Certes, l’effort est limité pour l’instant à 5% de sa force d’ingénierie, mais Musk indique que ce pourcentage va augmenter au fur et à mesure que les développements en cours se termineront», commente au Temps Richard Heidmann, spécialiste français de la propulsion spatiale.
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