Image de synthtèse du coronavirus Sars-CoV-2
HEIDI.NEWS || Il va bien falloir un jour, comme les Chinois depuis mercredi dans le Hubei, sortir de ce confinement.
Chacun et chacune ayant son propre degré de patience, de résilience et de responsabilité, j’élude ici la question de l’abdication personnelle devant la tentation de braver la «distanciation sociale». Mais quelle sera la première mesure à lever? La fermeture des écoles? Celle de mon Garden Center préféré? L’interruption du trafic aérien? La recommandation de télétravailler? Bref, quelles sont les «stratégies de sortie»? Et pour quand?
Des éléments de réponse pourraient venir très vite de Chine, où le premier séisme viral passé, on craint les répliques, sous la forme d’infections importées. Car pour que la méthode de quarantaine extrême appliquée à Wuhan fonctionne et vienne une bonne fois pour toute à bout du microbe, il faudrait que la planète entière l’applique, et au même moment, ce qui est illusoire.
Aux Etats-Unis, Donald Trump affirme qu’il ne veut pas que le remède soit pire que le mal, «le pays [n’étant] pas de nature à être mis à l’arrêt». Comprenez par là son souhait de relancer la machine économique mi-avril pour limiter les dégâts sociaux. Je ne suis pas expert en économie, mais je pressens une chose: son idée, qui semble être inspirée d’une analyse d’un nutritionniste, est basée sur l’hypothèse que, après avoir fait le dos rond face au coronavirus (au prix de millions de morts), le monde redeviendra comme avant. Or le monde d’après, avec son économie globalisée, sera très probablement différent.
Poussons la réflexion plus loin. N’y aurait-il pas une autre voie, consistant à laisser sortir les personnes les moins à risques, c’est-à-dire les moins de 65 ans ne présentant pas d’autres maladies? Cette tentative est battue en brèche par deux arguments, que décrit un brillant article de The Atlantic : notre propension à surestimer notre capacité à évaluer les risques personnels face au Covid-19, et à sous-estimer les impacts que la maladie peut avoir tant sur ce groupe à faible risque (les jeunes, donc) que sur les systèmes hospitaliers, déjà presque surchargés. Car à l’inverse de la grippe saisonnière, ce coronavirus, très contagieux, est totalement nouveau et menace la population dans son entier, et au même moment.
Quid des tests sérologiques, qui permettent de vérifier dans le sang des patients qu’ils ont bien développé une immunité afin de les envoyer au travail? C’est une option importante qui apparaît ces jours sur l’échiquier des possibilités. Mais qui ne concerne, pour relancer l’économie, que les gens guéris. Et encore s’agit-il d’abord de vérifier que l’immunité acquise est durable – elle est estimée à plusieurs mois, peut-être des années.
Tous ces écueils n’empêchent pas les meilleurs épidémiologistes d’y aller de leurs projections, dans plusieurs études sorties cette semaine, notamment à Harvard et à l’Imperial College London. Selon eux, il est impératif de maintenir encore de fermes mesures de confinement, afin de faire baisser les courbes d’infections. Puis, d’ici plusieurs semaines, ils estiment envisageable de diminuer la pression pour un lent retour à une activité économique, comme l’explique le site Stat.news. Mais ceci sous conditions, pour éviter toute nouvelle flambée: traque opiniâtre des cas de suspicion d’infection (à l’aide de tests massifs), identification et suivi étroit de leurs contacts (si besoin avec des moyens numériques), isolement total des malades, et mise en quarantaine stricte de leurs proches. C’est ce qu’ont réussi à faire des pays comme Singapour ou la Corée du Sud.
Il est une évidence: ce virus invisible va empoisonner l’humanité encore bien quelques mois, voire une année, peut-être plus. Même si la situation se calme ici, elle pourrait repartir là avec un nouveau foyer. Et nous faire replonger (presque) dans le tableau actuel. Une autre étude publiée mercredi arrive d’ailleurs à la conclusion, par une simulation, que la survenue d’éventuelles deuxièmes vagues sera d’autant plus retardée que les mesures de «déconfinement» seront graduelles. Tout cela jusqu’à l’arrivée d’un vaccin.
D’ici-là le monde aura changé, notre vie aussi. Qu’on l’aime ou qu’on l’abhorre, qui osera faire la bise sans arrière-pensée? Notre processus d’adaptation à ce nouveau monde s’apparente à un «deuil», comme l’explique David Kessler, présenté par la Harvard Business Review comme l’un des experts mondiaux de la douleur: «La perte de normalité nous touche tous, la souffrance est collective et surtout anticipatoire: nous n’y sommes pas habitués. La situation est temporaire, on le sait, mais on le ressent autrement. Les choses vont être différentes. […] C’est dans l’acceptation et le retour au présent» – ou l’inverse, chacun choisira – «que l’on peut retrouver le contrôle.»
Un deuil collectif? Je n’irai pas jusqu’à vous souhaiter toutes mes condoléances. Mais plutôt, même si le monde est bouleversé, de vivre avec, autant que possible, et de passer à autre chose, le temps d’un week-end au moins.
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