L’instrument PRIMA, construit à Genève, doit dynamiser la quête d’exoplanètes. Sa mise en service est un défi complexe
Ces astronomes s’arrachent les cheveux devant leurs miroirs… Un labyrinthe de réflecteurs, loupes, filtres et accessoires optiques, situés dans un tunnel sous l’esplanade du Very Large Telescope (VLT), à Paranal (Chili), à 2600 m d’altitude. A perte de vue dans la pénombre, on voit des rails sur lesquels coulisse cet appareillage. Et dans une pièce voisine mais connectée: Prima, un instrument construit en 2008 déjà à l’Observatoire de Genève, et appelé à devenir un outil clé dans la chasse aux exoplanètes. Une machine à découvertes qui doit pourtant encore attendre avant d’en faire, tant sa mise en service est complexe. «C’est parfois le prix à payer lorsque l’on touche aux limites de la science», dit, philosophe, Francesco Pepe, l’un des responsables du projet.
Jusque-là, la plupart des planètes découvertes autour d’étoiles lointaines l’ont été par la méthode des «vitesses radiales»: en tournant autour de leur soleil, ces «autres mondes» lui impriment, à travers la gravitation, un dandinement caractéristique. Un mouvement d’oscillation que les astronomes peuvent détecter, sans le voir directement, dans la fréquence de la lumière émise par l’étoile. Ils peuvent en déduire la présence d’un compagnon planétaire. Mais lorsque l’étoile est très jeune, cette méthode est inutilisable. C’est là que Prima entre en jeu, dit Didier Queloz, chercheur principal sur ce dispositif: le dispositif pourra voir directement ce dodelinement de l’étoile observée. Et plutôt deux fois qu’une, car l’instrument est un interféromètre.
Le principe en est «simple» (voir graphique): combiner la lumière d’une même source céleste (S) collectée par deux télescopes, pour obtenir une puissance équivalente à celle d’un grand télescope virtuel, d’un diamètre correspondant à l’écartement entre les deux engins. L’avantage? «Une acuité des mesures unique au monde», dit Didier Queloz; l’engin repérerait le déplacement d’un point lumineux sur une pièce de 1 franc posée sur la Lune! Mais la «simplicité» du concept s’arrête là…
Lorsque deux télescopes observent le même astre, la lumière de ce dernier parcourt une distance légèrement différente avant d’atteindre chacun d’eux (1). Or l’idée est de calquer l’une sur l’autre ces ondes lumineuses pour les additionner. Les chercheurs règlent ce problème en installant, en laboratoire, une «ligne de retard» (2), soit un détour optique imposé au rayon arrivant en premier. D’où les fameux miroirs installés sur les rails dans le tunnel.
L’affaire se corse encore sur l’interféromètre du VLT (appelé VLTI). Car ce ne sont pas une, mais deux sources lumineuses qui sont observées dans chacun des deux télescopes: la première est la source S, une étoile qu’on sait fixe et brillante et qui sert à calibrer la mesure. Et la seconde, c’est la vraie cible (C), une étoile voisine moins lumineuse, autour de laquelle on espère trouver des planètes. D’où la nécessité de prévoir deux lignes de retard: une pour les rais de lumière de chacune des sources (3). Et ce n’est pas tout.
Pour mesurer la distance de détour qu’il faut imposer afin de synchroniser les deux ondes, les astronomes envoient sur le même circuit optique un rayon laser, dont la lumière peut être différenciée de celle des astres à l’aide de filtres polarisants. Pour couronner le tout, afin de compenser le scintillement des étoiles causé par l’atmosphère de la Terre, les circuits optiques sont fixés sur des tables vibrant à des fréquences précises. «On le voit, Prima est un ensemble de sous-systèmes très très complexes, note Francesco Pepe. Il y a une centaine de fonctions mécaniques à coordonner avec une précision de l’ordre du nanomètre. Les probabilités que quelque chose ne se passe pas bien se multiplient.» C’est ce qui est arrivé.
Les techniciens ont remarqué plusieurs défauts. Le principal est que le système du laser s’est révélé trop peu efficace. Illusoire donc de synchroniser très finement plusieurs faibles ondes lumineuses. Par ailleurs, les divers miroirs brouillent un peu la polarisation des différents rais de lumière. Conséquence: dans cette gerbe lumineuse, impossible au final de discerner clairement quelle onde lumineuse provient de quelle source… «Pour l’instant, la marge d’erreur caractérisant le VLTI couvre la précision voulue pour Prima. C’est comme de vouloir entendre un chuchotement dans un vacarme», explique Serge Guniat.
Cet ingénieur franco-suisse de l’Observatoire européen austral (ESO) dirige le groupe d’experts mis sur pied pour sortir de cette ornière, après la levée d’un «drapeau rouge». Cette mesure consiste à geler un projet en cours. Tim de Zeeuw, directeur de l’ESO, la détaille: «La procédure vise à établir les causes du problème, ensuite à trouver comment le résoudre, puis à vérifier que nous en avons les moyens, et enfin à se demander si le retard pris ne prétéritera pas trop la pertinence des travaux scientifiques.» Selon lui, il est trop tôt pour répondre à ces questions. «Nous devrions y voir clair cet automne. L’équipe a trouvé une solution théorique. Il faut la tester.»
C’est au milieu de la nuit, dans la salle de contrôle du VLT, que Serge Guniat présente son plan. «C’est une succession d’adaptations et de corrections techniques qui ont pour but de rétablir la métrologie laser, car c’est le plus gros arbre qui cache la forêt de problèmes.» Et de souligner que l’ESO a fait du sauvetage de cette expérience ayant coûté 32 millions de francs, dont une partie a été assurée par le Fonds national suisse, une de ses priorités.
Est-ce à dire que le projet a été mal pensé à l’origine? «Non, la réalité du terrain est toujours un peu différente. Il faut aussi tenir compte du vécu de l’installation: neuf ou usagé, un miroir n’est pas pareil», fait valoir Serge Guniat. «C’est de la technologie poussée à l’extrême. Sur un prototype, il y a toujours un risque de ne pas atteindre la performance visée, ajoute Francesco Pepe. Sans cela, ce ne serait pas de la recherche fondamentale.» Pour Tim de Zeeuw, «il est intellectuellement important de comprendre ce qui se passe sur Prima. Car quoi qu’il arrive, ce que nous aurons appris sera utile pour améliorer les futurs instruments installés sur le VLTI.»
Assis sur sa chaise, les yeux trahissant des nuits de travail, sirotant son thé, Serge Guniat refuse d’évoquer l’échec. «Lorsque l’on aura tout essayé, on avisera. Il faut rester humble. Et si l’on réussit, il faudra encore garantir le fonctionnement de Prima sur la durée. Car, au final, l’instrument doit être utilisé pour réaliser un vaste balayage du ciel.»
Au-dessus de l’esplanade venteuse de Paranal, scintillant en nombre comme nulle part ailleurs, les étoiles semblent n’attendre que cela.
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