La prouesse réalisée par une équipe internationale emmenée par l’EPFL – et publiée dans «Nature» – constitue un grand pas vers de possibles thérapies des lésions de la moelle épinière
Faire remarcher des patients paralysés. C’est l’objectif que poursuivent moult groupes de recherche dans le monde. A l’EPFL, des neuroscientifiques sont parvenus à en faire la démonstration avec des macaques, rendus partiellement hémiplégiques. Les deux singes utilisés étaient équipés de deux implants connectés par wifi entre eux, l’un dans le cerveau et l’autre greffé sur la moelle épinière, qui commande les mouvements. Les vidéos livrées avec cette étude, publiée ce jeudi dans Nature, sont stupéfiantes: lorsque le système entre en action, le primate déambule non sans différence par rapport à un animal sain, mais en faisant montre d’une indéniable récupération motrice.
L’équipe internationale menée par Grégoire Courtine n’est pas partie de rien. Ces dernières années, elle a éprouvé sa technologie sur des rats. Ces rongeurs ont d’abord vu leur moelle épinière sectionnée au niveau du thorax, ce qui les a rendus paraplégiques. Leur a alors été administré un double traitement: d’une part un cocktail de molécules servant à «stimuler» leur système nerveux, de l’autre des impulsions électriques par le biais d’électrodes posées sur leur épine dorsale. Avec succès, les rats parvenant à recouvrer une mobilité des pattes.
C’est cette deuxième partie de la solution que les chercheurs ont reproduite sur les singes, dans des laboratoires de Pékin, où les expériences ont pu être menées avec plus de facilités. Ils ont d’abord installé, dans le cortex moteur des primates, une puce couverte de 96 infimes pointes, capable de détecter les activations des zones neuronales régissant les mouvements 1. Puis ils ont greffé sur leur moelle épinière – sous la lésion – un implant mis au point par l’entreprise Medtronic et constitué de 16 électrodes pouvant induire des micro-décharges dans les circuits nerveux commandant les muscles 2. Les implants cortical et spinal étaient reliés via une connexion sans fil 3. Dès lors, lorsque le singe pensait à bouger sa patte (rendue paralysée), l’électrode détectait les signaux induits dans le cerveau, et envoyait un ordre à l’implant, qui stimulait électriquement le membre inférieur 4. «L’avantage de cette technique est qu’elle recueille les informations dans le cortex en temps réel et permet des stimulations ciblées. Même si celles-ci sont pour l’heure limitées à l’extension et à la flexion de la jambe», dit Grégoire Courtine.
«Ces résultats sont très impressionnants, dit Binhai Zheng, de l’Université de Californie à San Diego, qui étudie aussi la réparation de la moelle épinière. Toutefois, les singes n’avaient que l’une de leurs deux pattes paralysée. Ils pouvaient donc, en claudiquant, compenser ce handicap. Il s’agit de montrer ce qui se passerait en cas d’atteinte aux deux pattes. Enfin, cette avancée, réelle, n’est pas une surprise.»
Voilà en effet des années que diverses équipes testent l’implantation d’une même puce dans le cortex humain pour permettre à des patients paralysés de commander qui un bras robotisé, qui une chaise roulante, qui même ses propres membres. En mai 2016, à l’Université d’Etat de l’Ohio, un jeune tétraplégique a été équipé d’un tel implant cortical, lui permettant de piloter sa main – dont il avait perdu le contrôle physiologique direct: l’interface commandée par son cerveau envoyait des impulsions directement dans les muscles de l’avantbras. «Or, dans l’étude [de l’EPFL], la stimulation électrique se fait sur la moelle épinière, qui commande les muscles, reprend Binhai Zheng. C’est une reconstruction plus naturelle, qui n’élude pas les circuits nerveux encore fonctionnels.»
Autre avantage de la méthode lausannoise: la finesse de la stimulation électrique. «Elle n’est pas réalisée de manière continue, comme dans d’autres expériences», dit Grégoire Courtine. Son équipe a développé un algorithme qui excite des points précis de la moelle épinière, de manière discontinue mais cyclique, de façon à reproduire aussi bien que possible une marche normale. «Pour développer cet algorithme, mes collègues Marco Capogrosso et Tomislav Milekovic ont testé le système sur les singes sains d’abord, pour le caler sur leurs mouvements naturels.» De plus, cet algorithme a pu être optimisé à l’aide d’une autre technique mise au point jadis sur les rats: regarder et décrire, à l’aide de caméras, les mouvements des membres du cobaye sain permet ensuite de savoir plus précisément, sur l’animal lésé, quels muscles il faut stimuler artificiellement. Or cette façon de faire est cruciale «parce qu’elle semble induire la neuroplasticité, le mécanisme par lequel les connexions entre deux neurones se renforcent lorsque ceux-ci sont actifs en même temps, et qui joue un rôle dans la réhabilitation suite à des lésions de la moelle épinière», explique Andrew Jackson, neuroscientifique à l’Université de Newcastle, dans un commentaire aussi publié dans Nature.
Désormais, les scientifiques de l’EPFL souhaitent poursuivre leurs recherches sur plus de singes, et cela en Suisse, à l’Université de Fribourg, où existe l’un des rares centres du pays en expérimentation sur des primates. «Cinq macaques, sur dix au total, recevront les implants en février 2017, et subiront la lésion médullaire à l’été», confirme le professeur Eric Rouiller. Mieux: comme les rats lors des premières expériences, ces singes recevront, en plus des impulsions électriques, les molécules stimulant leur système nerveux; de quoi améliorer encore leur réhabilitation. «A terme, l’idée est que ces molécules soient relâchées dans l’organisme des cobayes après détection de l’intention appropriée dans leur cerveau, à l’aide d’un implant», dit le professeur.
Surtout, les chercheurs de l’EPFL testent déjà en partie leur méthode sur des humains, en collaboration avec le CHUV à Lausanne. Il y a peu, deux personnes partiellement paralysées se sont vu greffer, sur leur moelle épinière, un implant similaire à celui des singes. Selon la neurochirurgienne Jocelyne Bloch, qui a procédé à ces opérations, «ces patients vont bien, mais il est trop tôt pour se prononcer sur une quelconque amélioration». Il faut dire que ces deux personnes n’ont pas été équipées d’une interface dans le cerveau, comme les macaques; l’algorithme qui commande les impulsions dans leurs membres inférieurs est uniquement basé sur la méthode d’observation biomécanique développée avec les souris.
«Dans toutes ces recherches sur l’homme, l’objectif est d’abord de faire fonctionner l’implant cortical de manière stable sur de longues durées», dit Jocelyne Bloch. Car après quelques mois, les 96 micropointes de la puce corticale peinent à toutes acquérir les signaux neuronaux. «C’est là le grand défi technologique de tout ce domaine», confirment tant Binhai Zheng qu’Andrew Jackson. «Néanmoins, cette étude [de l’EPFL] représente une avancée majeure vers la restitution de fonctions motrices à l’aide d’interfaces neurales», conclut ce dernier.