«Vous prenez un chocolat avec votre café? Moi oui, c’est un bon antidépresseur.» Coup d’Å“il malicieux, sourire badin. Pourtant, s’il y a un homme qui ne craint pas la déprime, c’est bien lui, Michel Mayor, bon vivant par nature et professeur de l’Observatoire de Genève, qui vient de prendre officiellement sa retraite académique de «chasseur de planètes». «Ma passion ne s’émousse pas. Je continue mes recherches. La pression reste énorme. Il y a toujours à faire, s’occuper des mesures, donner des conférences, répondre aux journalistes…» En dix ans, la notoriété de cet épicurien de la connaissance a atteint un niveau digne de la matière qu’il étudie: astronomique.
Le premier coup de projecteur tombe en 1995, lorsqu’il découvre, avec Didier Quéloz, la première exoplanète, soit la première planète gravitant autour d’une étoile autre que notre Soleil: 51 Pegase b, une géante gazeuse semblable à Jupiter. Explosion médiatique! Doublée d’une célébrité dévorante? «Cela n’a rien changé à la réalité de mon travail. Et je suis fidèle au «Pour vivre heureux, vivons cachés». Cela n’a pas non plus modifié mes rapports avec mes collègues, même s’ils sont plus nombreux aujourd’hui. Quand on a 53 ans, ce n’est pas un événement de ce genre qui va vous changer le caractère, déjà bien ancré.»
Tout de même, Michel Mayor le reconnaît: «Avec ce nouveau champ d’investigation céleste s’est ouvert le troisième grand chapitre de l’histoire de l’astronomie contemporaine, après la théorie de la relativité d’Einstein, crucial outil de la cosmologie, et la compréhension du fonctionnement des étoiles – au début du XXe siècle, on ignorait encore quel processus fait briller le soleil!»
Est-ce d’avoir été scout? Ou plus certainement de la modestie? Quand il raconte l’odyssée scientifique qu’il a amorcée, Michel Mayor préfère utiliser le «nous» qui désigne l’équipe de ses collaborateurs plutôt que le «je» de l’égo bouffi. «En soi, notre découverte ne constituait pas une rupture. On savait que ces exoplanètes devaient bien exister. Mais on ne cherchait pas au bon endroit ni avec la bonne méthode. Bien sûr, nous sommes contents d’avoir participé à débloquer la situation. Mais nous savons aussi que nous avons tiré le bon numéro à la loterie. Y gagner ne signifie pas que nous ayons été plus malins que nos homologues qui tentaient aussi leur chance. Notre fierté est d’avoir maintenu notre opiniâtreté à affronter des théories établies. En fait, depuis une décennie, la vraie surprise, c’est d’avoir mis au jour un tel bestiaire d’exoplanètes, petites ou immenses, rocheuses ou gaseuses, proches ou distantes de leur étoile.»
A ce jour, 270 ont été répertoriées, dont une centaine par la «mafia Mayor». «Ce sobriquet nous a été attribué avant 1995, à cause des réseaux d’astronomes que nous avons tissés dans le monde.» Le clan genevois est souvent mis en compétition avec le groupe californien de Geoffrey Marcy. C’est à qui pointera l’exoplanète ayant la masse la plus petite, la température la plus «viable», la composition la plus proche de la Terre.
«Cette course, médiatisée plus sur la forme que sur le fond – nous collaborons sur des instruments –, est de plus en plus stimulante. Elle alimente notre enthousiasme à travailler dans un domaine aussi dynamique.» Chaleureux, conteur d’histoires cosmiques captivantes, Michel Mayor admet d’ailleurs avoir pris goût à narrer son univers, même s’il se garde des envolées lyriques à la Hubert Reeves.
Ferveur pour le ciel et émulation pour la science
«Partir une semaine à l’Observatoire du Chili avec une équipe de télévision, c’est très bien. Cela fait partie de notre «contrat envers la société». Ce qui m’énerve, ce sont les interviews «alibi» durant lesquels on me pose les mêmes questions qu’il y a douze ans. C’est lassant, tant nous avons progressé, tant il reste à faire.» Et de mentionner, pour donner la mesure d’une excitation qui va croissant, l’importance qu’accordent désormais à ce thème de recherche les agences spatiales, les colloques de plus en plus fréquents, l’«active relève parmi les étudiants», et la création d’instituts voués à ce Graal: la vie, ailleurs dans l’Univers.
Il aime à citer Epicure pour qui, au IVe siècle av. J.-C. déjà, «il n’est rien qui fasse obstacle à l’infinité des mondes». Mais il a appris à dissocier philosophie et sciences exactes. Surtout au sujet de l’exobiologie. «Malgré cette décennie de percées fantastiques, mon pronostic quant à l’existence d’une vie extraterrestre n’est ni plus ni moins affirmatif qu’il y a dix ans. J’ai pris du recul par rapport à des affirmations péremptoires, comme celle qui prétend qu’il y a tant de planètes et tant d’étoiles qu’il serait arrogant, statistiquement, de croire que nous sommes la seule forme de vie existante. On n’en sait rien!»
Le savant infère tout de même que la vie est une exception locale. «Je suis à l’aise avec l’idée selon laquelle, lorsque les conditions sont réunies, lorsque l’on a 100 millions d’années devant soi, et que l’on dispose de la surface entière d’une planète pour laisser agir la chimie, des choses incroyables peuvent se passer. La vie pourrait donc être un sous-produit inéluctable de l’évolution de l’Univers. Parler ainsi ne touche plus à la science, car il faudrait des preuves. Mais à des sentiments personnels. Ce que je peux affirmer, c’est que nous disposons d’une méthode pour chercher cette vie en analysant les altérations chimiques dans l’atmosphère des exoplanètes, et que nous savons désormais où le faire. Cherchons! Tôt ou tard, l’homme aura sa réponse.»
En une décennie, l’intérêt du public aussi s’est emballé. «L’astronomie bénéficiait déjà de l’impact médiatique des images livrées par les sondes spatiales ou par Hubble. Concernant la vie, il y a d’abord eu le questionnement théologique sur la pluralité des mondes habités, puis la science-fiction: nos découvertes touchent donc un public préparé et fasciné», se réjouit-il.
Avant de déchanter un peu: «A côté de cette ferveur pour le ciel, la société est ingrate envers la science. Un manque de reconnaissance étrange qui, au-delà des réflexions justifiées sur certaines dérives, s’est accru. La faute à notre trop grand bien-être. Les chercheurs doivent continuer de vulgariser leurs travaux pour que la population retrouve, modestement, cette émulation pour la science.»
De nouvelles formes de vie, disait-on. Et la sienne, de nouvelle vie, laissera-t-elle à Michel Mayor assez de temps pour ces escapades à ski de fond dans le Jura qu’il souhaite plus fréquentes, ou pour ses trois petits-enfants? «Le cahier de commandes des recherches est trop plein. Et, le potentiel de découvertes colossal!»
La retraite a peut-être cela de bon qu’elle permet, plus que jamais, d’avoir la tête dans les étoiles.