Trente-cinq ans après les missions Apollo, la Lune fait à nouveau l’objet de toutes les convoitises.
«Gaganautes.» Un nouveau substantif pour décrire les fous? Plus sérieusement: le nom que donneront les Indiens aux hommes qu’ils veulent envoyer dans l’espace – de gagan qui veut dire «ciel» en sanskrit! Car l’Inde affiche ses ambitions spatiales. Et ce pays n’est pas le seul: la Chine, le Japon et la Russie se pressent aussi au portillon, aux côtés des Etats-Unis, dans ce qui ressemble à une nouvelle course à la Lune.
Selon Roger-Maurice Bonnet, président du Comité mondial pour la recherche spatiale, «c’est une coïncidence si toutes ces nations s’intéressent à la Lune en même temps». Xavier Pasco, spécialiste de l’espace à la Fondation pour la recherche scientifique, à Paris, n’en est pas aussi sûr. «Un élément déclencheur a été le premier vol spatial habité chinois, en 2003. Après la perte de la navette Columbia, et alors qu’on le disait sans vision, le président Bush a voulu marquer le coup en dévoilant son plan d’exploration en janvier 2004.» Soit retourner sur la Lune d’ici à 2018, puis sur Mars. «Ceci alors que l’Agence spatiale américaine [la NASA] préconisait de viser directement la planète rouge», affirme Francis Rocard, responsable de l’exploration du système solaire au Centre national français d’études spatiales (CNES).
Depuis, les annonces ambitieuses se succèdent (lire ci-dessous). Xavier Pasco analyse: «Même si le paysage politique international est très différent, cet engouement rappelle un peu la période la Guerre froide: tous les camps veulent affirmer leurs compétences technologiques. Au-delà, on peut se demander pourquoi retourner sur la Lune. Pour les Etats-Unis, c’est une étape. Sinon? Les raisons sont imprécises. Reste que l’accès à l’espace est un «marqueur» sur le plan économique international.»
Pour l’expert français, on assiste donc à une surenchère avant tout déclarative: «Ce n’est pas une démarche «à la Kennedy», ferme et déterminée. Voyez: on nous dit qu’on va retourner sur la Lune en deux fois plus de temps qu’en 1960!» D’autant plus que «ces effets d’annonce doivent être modérés par la difficulté de la tâche», ajoute Roger-Maurice Bonnet. Se protéger contre les rayons cosmiques ou les chutes d’astéroïdes, s’y approvisionner en énergie ou en eau, voire se prémunir contre les infiltrations de cette poussière très fine et pénétrante qui compose le sol constituent autant de défis à relever.
Au-delà de cette bataille de belles intentions, une réelle concurrence concerne surtout la Chine et l’Inde: «Ce sont deux pays émergents qui se développent de façon spectaculaire et vont dominer le monde», estime Roger-Maurice Bonnet. Une compétition qui ne passe pas inaperçue aux yeux des Etats-Unis. Or, même si son avance est confortable, la NASA sait qu’elle sera confrontée à un écueil de taille: les coûts. «Des coûts que l’agence n’arrive d’ailleurs pas à estimer, car elle ne sait pas exactement ce qu’elle veut faire sur la Lune», commente Roger-Maurice Bonnet. «Personne ne croit qu’il y a assez d’argent aux Etats-Unis pour entreprendre une telle aventure seul», avise de son côté John Logsdon, directeur de l’Institut spatial à l’Université George-Washington.
C’est pourquoi la NASA appelle désormais à une large collaboration. Auprès d’entreprises privées actives dans l’aérospatiale d’une part, ce qui constitue une nouveauté radicale. Et surtout auprès de 14 agences spatiales dans le monde. «Cette stratégie permettra aux pays intéressés d’optimiser leurs ressources financières et techniques, contribuant ainsi à coordonner l’effort qui nous propulsera dans ce nouvel âge de découverte», promet Shana Dale, administratrice adjointe de la NASA. Preuve concrète, quoique minime, de cette volonté de collaboration: l’agence vient, la semaine dernière, d’imposer le système métrique pour ses missions lunaires, abandonnant les unités de mesure anglaises.
Les réponses à cette invitation sont diverses. A la Direction des vols habités et de l’exploration de l’Agence spatiale européenne (ESA), Piero Messina assurait officiellement en décembre que l’Europe espérait «se greffer» sur le projet américain. «Mais il est clair que l’ESA ne va pas se lancer dans une nouvelle coopération comme la Station spatiale internationale (ISS)», estime Francis Rocard; l’ISS, qui sera finalisée avec beaucoup de retard, ne ressemblera de loin pas au projet originel. Et l’ESA a été particulièrement prétéritée. «D’autre part, l’Europe est frustrée de voir que les Etats-Unis ne prennent pas en compte ses progrès dans le transport spatial, avec son vaisseau de fret ATV», avance Xavier Pasco. «Les Américains l’ont affiché tôt: ils garderont une mainmise totale sur le développement des moyens de tranport», explique Francis Rocard.
Du côté de la Chine, où l’administrateur de la NASA Michael Griffin s’est rendu en septembre pour nouer des liens, il semble n’y avoir aucune perspective favorable. Quant à l’Inde, les Etats-Unis lui font aussi les yeux doux, peut-être en vue d’isoler l’Empire du Milieu. «Ces deux pays ont vraiment les moyens de développer leur programme spatial de manière indépendante», répète Roger-Maurice Bonnet.
Reste l’ancien ennemi russe. «Ce pays a les capacités, et le montre, mais manque de ressources financières, résume Xavier Pasco. Pour l’instant, il se confine dans le rôle de pourvoyeur de services», tout en attisant la situation avec des déclarations offensives. Début septembre, le patron de l’Agence spatiale russe Anatoly Perminov a ainsi annoncé que la Russie collaborerait avec la Chine pour l’exploration lunaire.