L’Europe scientifique continue de voir grand. Elle vient de relancer, en deux temps, ses projets amiraux «FET Flagships», dotés d’un milliard d’euros chacun, qui doivent la placer aux avantpostes de la science mondiale.
En 2013, deux avaient été retenus. Celui consacré au graphène, d’abord, une forme de carbone prometteuse. Dans ce cas, les objectifs technologiques et économiques avaient été bien identifiés, et l’UE s’est donné les moyens de les atteindre. Aujourd’hui, les fonctionnaires n’ont ainsi pas hésité à dupliquer ce modèle et à imposer un «Flagship» visant à exploiter les technologies quantiques dans les ordinateurs du futur. Autre milliard à la clé. Début en 2018.
La seconde initiative choisie naguère est le Human Brain Project (HBP) de l’EPFL, qui veut unifier tous les savoirs sur le cerveau pour simuler l’organe. Or là, des promesses exagérées, une organisation administrative et un protocole d’action controversés ont fait se lever une fronde dans le milieu. L’un des arguments avancés par les opposants étant la déraison de concentrer un si gros montant sur un seul projet, au lieu de miser sur une myriade d’équipes plus restreintes mais dynamiques pour faire avancer ce domaine de recherche – le cerveau – encore si vaste. L’UE est alors intervenue, à coups d’expertises. Ce qui a dû laisser des traces. Au lieu d’un vrai concours, elle a cette fois annoncé une consultation pour évaluer l’utilité de relancer, à terme, de tels projets tentaculaires…
Dans ce contexte, avec son «Ultimate Earth Project», un consortium codirigé par le vice-président de l’EPFL a jugé pertinent de reprendre le schéma et la dialectique du HBP pour l’appliquer à l’étude de la Terre. Il s’agira désormais, notamment, de montrer que l’expérience pratique acquise avec le HBP sera de nature à combler le déficit de confiance en ces grandes visions qu’a engendré la polémique précédente.
Une autre idée, toute «made in EPFL» celle-là, souhaite décrocher la timbale de l’UE: la Venice Time Machine, une vaste modélisation évolutive de la Sérénissime. Un projet de sciences humaines, souvent vues comme négligées par les organes de financement – ce qui pourrait devenir un atout dans la course. Mais les chercheurs helvétiques pourront-ils simplement y prendre part?
La Suisse se retrouve en effet en marge des grands projets de recherche européens, même si une solution temporaire a été trouvée jusqu’à fin 2016. En l’état, il n’y a aucune chance qu’une institution helvétique obtienne la direction de l’un d’eux. L’Ultimate Earth Project n’est pas concerné au même titre, vu qu’il a été placé sous l’égide de la Grande-Bretagne. Encore que: il est clair que la Suisse pourrait être amenée à participer au pot commun de son financement. Autant, dès lors, qu’elle puisse au moins le cogérer.
Au final, vu le sérieux de ces deux grands projets nés à l’EPFL, les envies de magnificence scientifique européennes ont peut-être ceci d’utile qu’elles donnent aux instances politiques suisses une raison de plus de trouver une issue rapide à l’impasse dans laquelle se trouve, depuis le 9 février 2014, la science helvétique dans ses relations avec l’UE.