C’est «journées portes-ouvertes», ce week-end à l’EPFL et au CERN, près de Genève. Des dizaines de milliers de personnes sont attendues sur les deux sites, pour découvrir où et par qui se fait la recherche. Car la science intéresse, impressionne, fascine, tant elle porte un regard vers notre futur, trouve des solutions, élargit le champ des possibles.
Pour autant, la science n’est pas systématiquement péremptoire. Certes, personne (encore que…) ne va nier que la Terre est ronde. Mais il existe moult domaines de recherche où d’absolues conclusions sur d’irrévocables consensus demeurent vaines.
C’est l’inverse que fait valoir une tribune d’un collectif formé notamment de scientifiques et nommé #NoFakeScience, publiée cet été dans plusieurs médias, dont le nôtre. Le plaidoyer qui s’en dégage au premier abord: les médias doivent «restituer les sujets à caractères scientifiques sans déformation sensationnaliste ni idéologique», afin de «restaurer sur le long terme la confiance entre scientifiques, médias et citoyen.» Et cela – est-il entendu – en ne mettant pas en question certains consensus scientifiques plus ou moins solides.
Cette tribune a fait et fait toujours débat deux mois plus tard – et c’est peu dire. Notamment sur les réseaux sociaux, où les signataires du texte sont critiqués pour certains passages caricaturaux, tendancieux ou faux. Il semble aussi qu’entre les lignes, le collectif réglait des comptes avec des journalistes pourtant reconnus qu’ils avaient dans le viseur.
Dès lors, les auteurs #NoFakeScience se sont raidis, l’un d’eux allant jusqu’à proposer dans un tweet que «les associations et les ONG ne soient pas reconnues comme sources d’informations scientifiques.» Quand bien même certaines sont à la pointe dans leur thématiques et tout à fait légitimes dans le débat scientifique public. Bref, d’un côté des scientifiques qui veulent que personne ne se penche sur leur parole d’évangile, et de l’autre une société civile qui juge évident que cette parole puisse être éprouvée.
Disposer d’un traitement médiatique – voire de présentations publiques des avancées scientifiques comme lors de journées portes-ouvertes – aussi corrects et objectifs que possible est un souhait louable. Mais, de l’avis de plusieurs sociologues des sciences, vouloir imposer la science et ses éventuels consensus, vouloir canoniser les scientifiques et leurs institutions (académique, régulatrice, privée, etc.) comme seuls détenteurs de l’expertise, en repoussant d’emblée toute forme de discussion ou de questionnement, relève d’une vision passéiste et éculée.
Celle qui résume le mieux cette problématique est peut-être Virginie Tournay, biologiste, politologue et directrice de recherche à Sciences Po, à Paris, dans une chronique publiée dans Pour la science : «L’engagement en faveur de la science porte une contradiction dans les termes: face au succès de propos fantaisistes, il s’agit de convaincre de la véracité d’énoncés scientifiques à l’aide d’une rhétorique et de leviers d’action relevant du militantisme. La visée est double: à la fois assurer la véracité des propos exprimés et conquérir l’attention des publics. Cela nécessite de se déplacer sur le terrain inconfortable de la guerre des opinions sans oublier celui du raisonnement scientifique. L’exercice est délicat. Il suppose d’articuler la légitimité scientifique au combat démocratique sans confondre ces deux manières de créer de la confiance.»
La dévotion que tout un chacun – journaliste ou quidam – devrait porter aux scientifiques, comme l’espère cette tribune, s’avère ainsi contre-productive.
Dans les médias – c’est la mission que nous nous sommes donnée à Heidi.news – ou lors de journées-portes ouvertes, la science a besoin d’échanges vifs avec la société, dont les représentants doivent faire montre pour elle autant d’émerveillement que d’esprit sainement critique. Il s’agit de renouveler sans cesse ce contrat social avec des scientifiques qui, de leur côté, doivent oser se mêler au débat, voire se former à la vulgarisation.
La science est belle, fascinante. Elle l’est d’autant plus quand on la questionne. Les portes s’ouvrent au CERN et à l’EPFL: allez-y! (A Lausanne, les transports publics pour le faire sont même gratuits)! Et questionnez, discutez, débattez!