La Suisse est le pays abritant en proportion le plus de chercheurs étrangers. Le bilan de ce succès à été tiré lundi 12 novembre lors du SwissNex Day à Berne, la réunion annuelle des consulats scientifiques suisses à l’étranger
Etiqueté récemment «pays le plus compétitif en terme d’innovation», la Suisse occupe la tête d’un autre classement: celui des nations hébergeant, en pourcentage, le plus de chercheurs étrangers. C’est ce qui ressort d’une vaste enquête qui doit être publiée dans la revue Nature Biotechnology, mais dont les données brutes sont disponibles. «Nos hautes écoles ont une longue tradition d’immigration et d’émigration de talents, se réjouit Alain Berset. La compétition au niveau international sert, précisément dans un petit pays comme le nôtre, à garantir la qualité de l’excellence. C’est pour cette raison que le Conseil fédéral a fait de l’importation de talents une priorité.» Le chef du Département fédéral de l’intérieur a tiré ce bilan lundi à Berne, lors du swissnexDay, la conférence annuelle des consulats scientifiques suisses de l’étranger, consacrée justement à la «circulation des cerveaux».
«La science est l’un des rares marchés du travail mondiaux, a dit Stefan Wolter, directeur du Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation. Mais on dispose de peu de statistiques globales.» C’est cette lacune que l’enquête GlobSci survey a voulu combler. Ses auteurs, du Politecnico de Milan et de l’Université d’Etat de Géorgie à Atlanta, ont interrogé plus de 19ā€000 chercheurs de 16 pays, dont la Suisse, actifs dans quatre domaines (biologie, chimie, sciences de la Terre et des matériaux). Résultats: en chiffres absolus, les Etats-Unis restent la destination phare. Mais en pourcentage, c’est la Suisse qui pointe en tête: 57% des chercheurs y travaillant viennent de l’étranger.
Ces chiffres n’étonnent pas Mauro Dell’Ambrogio, secrétaire d’Etat à l’Education et à la Recherche: «Par rapport à l’importance de la science en Suisse, ils sont normaux. On ne pourrait, sinon, pas prétendre, sur la base de notre démographie, avoir autant de succès.» A quoi est dû l’attrait de la Suisse? «Aux bonnes infrastructures de recherches disponibles sur notre territoire [CERN ou PSI, par exemple]. Au climat international qui prévaut dans toutes les hautes écoles – pas seulement dans les plus célèbres, comme dans d’autres pays –, et qui permet aux chercheurs immigrants de s’intégrer facilement. Enfin, à la solidité du financement de base de la recherche, et au fait que la Suisse bénéficie de l’un des plus hauts pourcentages de financement public sur concours, dont les chercheurs étrangers établis ici peuvent bénéficier.»
L’enquête GlobSci arrive aux mêmes conclusions au niveau global, mais place, en tête des préoccupations des chercheurs migrants, l’opportunité de booster leur carrière et celle de disposer d’équipes de recherche fortes. Selon Kieron Flanagan, qui commente ces données dans Nature , l’existence d’un système de financement dynamique, flexible et compétitif s’avère cruciale. L’Italie et le Japon, note-t-il, ont une recherche prospère, mais attirent très peu de scientifiques étrangers à cause de leur bureaucratie assez rigide.
Autre case à cocher dans le choix d’un pays: les conditions de vie, relève l’enquête. Par exemple, 60% des interrogés admettent que la Chine produira en 2020 la meilleure science dans leur domaine; seuls 8% d’entre eux se disent, en revanche, prêts à y déménager, suggérant que ce pays reste peu attirant pour des raisons politiques et culturelles.
Pour Stefan Wolter, il s’agit de considérer cette étude avec prudence. «D’abord, elle n’est qu’une image de la situation à un instant donné. Or, celle-ci peut changer rapidement, à la suite d’événements imprévisibles. Par exemple, après le 11-Septembre 2001, le gouvernement américain est devenu très restrictif dans l’attribution de visas aux chercheurs. Je ne vois toutefois, pour l’heure, aucune menace sur mon radar concernant la Suisse… Ensuite, cette enquête ne dit rien sur la qualité des chercheurs qui bougent.»
Une autre observation s’impose en scrutant le GlobSci survey: la Suisse fait aussi partie des nations qui, en pourcentage toujours, «exportent» le plus de chercheurs. Est-ce à dire que les scientifiques suisses s’en vont parce que les places ont été occupées par leurs homologues étrangers? «Non, répond Mauro Dell’Ambrogio. Il faut s’intéresser à toute la chaîne académique: le temps est révolu où un chercheur faisait toute sa carrière en Suisse. La grande majorité va faire au moins un post-doctorat à l’étranger, ce qui apparaît probablement dans ces chiffres.» L’enquête montre en effet que, dans tous les pays passés à la loupe, les post-doctorants, plus que les professeurs, forment la cohorte des savants étrangers – 61%, respectivement 35% aux Etats-Unis.
«L’un des enseignements de cette enquête est que, si vous tentez de rapatrier vos meilleurs chercheurs, il faut viser les jeunes, car ce sont eux qui sont le plus enclins à bouger», avertit cependant, dans Nature,Patrick Gaule, économiste à l’Université de Prague. Or, la Suisse dispose-t-elle des instruments académiques appropriés? «Oui, estime Mauro Dell’Ambrogio. Ce que le public sait peu, c’est que le Fonds national suisse ne soutient pas que des projets scientifiques, mais aussi la relève, les carrières à long terme.» Mais assez d’efforts sont-ils menés – un reproche souvent entendu de la bouche de chercheurs suisses expatriés? «Le risque, si l’on en fait trop, c’est de créer des chaires non indispensables au détriment de celles qui sont prioritaires.» Et le secrétaire d’Etat d’admettre que «c’est parfois difficile de concrétiser un retour quand on le souhaite, car la Suisse est petite, les spécialisations nombreuses. Il faut arriver au bon moment, au bon âge, au bon endroit. Il peut y avoir des déceptions individuelles. Mais c’est la règle du jeu. Comme dans d’autres domaines professionnels.»
Comme le rappelle l’invitation au swissnexDay, ces consulats scientifiques, dont il existe aujourd’hui cinq antennes – à Boston, San Francisco, Singapour, Shanghai et Bangalore – avaient pour objectif, dès leur création en l’an 2000, de freiner la fuite des cerveaux suisses en incitant ceux qui s’étaient expatriés à rentrer. Aujourd’hui, la donne a changé: «Les flux s’accélèrent, illustre Pascal Marmier, directeur du swissnex China à Shanghai. Il faut prendre le risque du départ, même faciliter la carrière internationale», plutôt que de s’opposer à la tendance inéluctable d’une communauté scientifique de plus en plus internationale. «Peu importe, à la fin, quelle est la nationalité des meilleurs scientifiques qui (re)viennent chez nous, abonde Mauro Dell’Ambrogio. Il ne s’agit plus d’aller sonner les cloches patriotiques chez les Suisses immigrés, mais avant tout de faire connaître le potentiel de la place scientifique suisse.» Quitte à ce que les chercheurs ne passent que quelques années en Suisse.
Le GlobSci survey met, en effet, en évidence une large proportion de «chercheurs transitoires», qui restent moins de deux ans dans leur pays d’accueil. Mais selon ses auteurs, leur mobilité, plus que d’amoindrir la qualité des recherches, l’enrichit. «La science se fait de plus en plus en réseaux, résume Stefan Wolter. Ceux-ci se créent à travers les divers séjours des chercheurs – suisses à l’étranger, ou étrangers en Suisse. La Suisse est ainsi l’une des grandes gagnantes, car elle est un carrefour de passages important.» «La clé du succès est d’avoir une science assez forte pour pouvoir interagir avec un monde scientifique désormais globalisé et mobile», conclut Kieron Flanagan dans Nature.