La société Airbus Safran Launchers, qui fabrique les fusées européennes, développe un futur moteur qui sera réutilisable cinq fois, et largement imprimé en 3D. Une voie paraissant attentiste qui confine à la sagesse, selon les experts
Les succès de SpaceX et Blue Origin, fin 2015, ont marqué les esprits: ces sociétés américaines ont réussi à récupérer tout ou partie de leur fusée après le décollage. De quoi imaginer de belles économies dans le coût des lancements, en remettant les éléments recueillis en état de vol. L’Europe spatiale se lance aussi dans ce domaine dit de la «réutilisabilité», mais prudemment, et pas pour tout de suite. «Les travaux sur le nouveau moteur à bas coût et réutilisable: c’est parti!» a dit le 23 janvier à Paris Alain Charmeau, directeur d’Airbus Safran Launchers (ASL), société co-détenue par Airbus Defense and Space et le groupe de haute technologie Safran.
«La réutilisabilité peut être utile, et SpaceX l’a démontré, a admis mi-janvier Jan Wörner, directeur de l’Agence spatiale européenne (ESA) devant la presse. Mais ce n’est pas la seule solution. Sinon, pourquoi fait-on encore des bouteilles en PET?» Le bilan économique de ce concept doit encore être évalué: «Pour l’heure, confirme le Romand Daniel Neuenschwander, directeur des lanceurs à l’ESA, nous nous concentrons sur la maturation des technologies et les processus de fabrication, ce qui permettra aussi de réduire les coûts», de moitié par rapport à l’actuelle Ariane 5. «La future Ariane 6 a été initiée avec pour but premier l’optimisation des coûts.»
En 2015 toutefois, le Centre national d’études spatiales français (CNES), avec ASL, a lancé des réflexions sur un moteur inédit à maints égards en Europe. Nommé Prometheus, «celui-ci permettrait de diviser par dix le prix de série par rapport au moteur actuel Vulcain (10 millions d’euros), et pourrait être réutilisé cinq fois», assure Alain Charmeau. Cela grâce à l’intégration de capteurs permettant une maintenance prédictive. Les premiers tests sont prévus en 2020, la même année que le prototype d’Ariane 6.
L’hydrogène est irremplaçable
«Ce moteur fait partie des éléments de démonstration qui, lorsque des choix devront être faits, permettront d’améliorer les lanceurs du futur», précise Daniel Neuenschwander. Son développement a bénéficié d’un sérieux coup de pouce lors de la Conférence des ministres européens de l’Espace, début décembre 2016 à Lucerne, puisque 82 millions d’euros y ont été alloués, sur un budget total de plus de 200 millions.
Contrairement aux propulseurs actuels, qui utilisent un mélange d’hydrogène liquide et d’oxygène – une filière complexe à gérer au sol –, Prometheus brûlera de l’oxygène liquide mixé avec un hydrocarbure (kérosène ou méthane). «Cela simplifie la conception de l’engin, dit Alain Charmeau. Du point de vue des performances de poussée, l’hydrogène est irremplaçable. Mais sur le plan économique, il y aura un gain.»
Autre nouveauté: la grande partie de ce moteur sera fabriqué avec des pièces imprimées en 3D, par dépôts en couches de poussières métalliques (titane par exemple) fusionnées par laser ou faisceau d’électrons. Un processus parfois long – il faut 350 heures pour produire une pièce –, mais qui permet de réaliser des éléments plus complexes et d’économiser du matériau brut; par usinage, les déchets peuvent se monter à 90% du volume originel.
Selon Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique à Paris et expert de l’espace, «la réutilisabilité d’éléments de fusées a été démontrée par SpaceX. Mais y a-t-il un business plan solide derrière? Rien n’est moins sûr. En effet, plus l’on va réutiliser un lanceur, plus les risques de pépin sont grands. Ce qui va inciter les clients des lancements à négocier leurs prix à la baisse. La clé à terme, c’est la fiabilité: là, des preuves restent à faire.» En ce sens, «tandis que SpaceX essuie les plâtres, avec peut-être l’avantage de positionner les Etats-Unis pour l’avenir, l’Europe a pour l’heure choisi une voie avec un risque minimal, celle de la sagesse».
D’autant que, d’après Daniel Neuenschwander, ce ne sont pas seulement 82 mais au total 207 millions d’euros que les ministres européens ont attribués à l’entier du programme préparatoire des futurs lanceurs: «Nous explorerons des voies novatrices dans d’autres domaines que la seule propulsion: réservoirs cryogéniques, avionique, etc. Nous travaillons aussi sur la réutilisabilité de la coiffe détachable», produite par la société zurichoise RUAG.
Alain Charmeau voit toutefois une autre source de préoccupation: «Arianespace [la société qui commercialise les places à bord des fusées européennes] ne glane qu’un quart des lancements institutionnels de l’Europe», dit le directeur d’ASL, dont le chiffre d’affaires est estimé à 2,5 milliards d’euros, et qui emploie 8000 personnes. En clair: il faudrait que les entités publiques européennes (ESA, Communauté européenne, agence de météo européenne Eumetsat, agences spatiales nationales, etc.) choisissent davantage les lanceurs européens (et avant tout Ariane 6, dont la commercialisation s’ouvrira cette année) que leurs concurrents russes, américains ou indiens. «Cela nous aiderait, dit Alain Charmeau, à avoir une bonne visibilité sur la production des lanceurs», cadencée aujourd’hui à une dizaine par an. «C’est vrai, admet Daniel Neuenschwander. Et l’ESA devra montrer l’exemple. Il s’agirait d’assurer cinq lancements institutionnels par an en moyenne par l’ensemble du secteur public européen.» Selon tous les acteurs concernés, la compétitivité européenne sur le marché des lanceurs serait à ce prix.
Les succès de SpaceX et Blue Origin, fin 2015, ont marqué les esprits: ces sociétés américaines ont réussi à récupérer tout ou partie de leur fusée après le décollage. (DR)
Plus l’on va réutiliser un lanceur, plus les risques de pépin sont grands. Ce qui va inciter les clients à négocier les prix à la baisse