Les biobanques, définies comme collections structurées de données et d’échantillons biologiques (sang, ADN, urine, etc.) récoltés à des fins de recherche, constituent un rouage essentiel dans la mise en place d’une «médecine de précision». Celle établie entre 2005 et 2010 au Royaume-Uni, incluant 500 000 personnes, est l’une des plus vastes; c’est en partie sur le modèle de UK Biobank, dirigée par le biologiste Rory Collins, que se construit la Biobanque institutionnelle de Lausanne (BIL), forte d’environ 23 000 patients recrutés depuis 2013 à leur entrée au CHUV. Interview.
Quel est l’objectif d’une biobanque?
Cela dépend de ce que l’on comprend par ce terme. Longtemps, il couvrait des collections de données sur des patients ayant une maladie particulière. Celles-ci servaient alors à tenter de décrypter les causes de l’affection. Depuis quelques années, le sens du mot a été élargi: l’idée (suivie autant dans UK Biobank que désormais à la BIL) est de récolter autant d’informations que possible chez un très grand nombre de patients sains suivis durant des années, en vue d’études épidémiologiques prospectives de longue durée, dans le but de retrouver les marques de maladies qui se développeraient ultérieurement chez une fraction d’entre eux non négligeable. Certes, au début, l’effort est énorme et peut sembler incommensurable. Or sur le temps, ces biobanques acquerront de plus en plus de valeur et de pertinence.
Quels sont les défis majeurs?
D’abord, de persuader des gens sains de prendre part à une étude dont ils ne bénéficieront eux-mêmes pas, dans l’immédiat du moins. Il s’agit d’établir des explications claires pour leur faire comprendre l’importance de leur suivi sur le long terme. Ensuite, il faut convaincre les institutions détenant les dossiers médicaux des patients de bien vouloir les mettre à disposition à des fins de recherche; celles-ci craignent de se voir ensuite critiquées de l’avoir fait, si les études elles-mêmes sont controversées. Pour cela, il faut absolument garantir la protection et l’anonymisation des données. Mais même ainsi, un patient participant à une autre étude peut se faire reconnaître si les informations génétiques qu’il a fournies à une biobanque sont corrélées avec celles données dans un deuxième contexte. Il faut alors aussi poser des règles strictes aux scientifiques menant de telles recherches sur ces données, pour qu’ils s’engagent à éviter toute identification de personnes. Enfin, le plus grand obstacle est de pouvoir relier les données de ces biobanques avec d’autres registres (de mortalité, du cancer, des premiers soins, etc.).
Une crainte souvent évoquée lors de la création de ces biobanques, qui coûtent cher, est la menace que fait peser sur elles un tarissement de leur financement.
Il faut s’assurer d’abord que les coûts de fonctionnement sont minimaux (ils sont de 7 millions de francs par an pour UK Biobank), puis disposer d’un excellent système d’archivage. Ceci afin qu’une biobanque qui aurait dû stopper ses activités faute de financement puisse être revitalisée sans souci. Il faut ensuite développer des idées de financement originales et incrémentales. Par exemple, nous venons de lancer une étude visant à imager par IRM 100 000 de nos patients. Ces données viendraient s’ajouter à celles existantes sur eux. Les images permettront d’identifier la répartition de la graisse dans l’organisme. Or une start-up suédoise a développé un logiciel idoine; tout est financé par Pfizer, sans que cette société pharmaceutique n’ait accès aux patients eux-mêmes. Cela dit, il est clair que les pourvoyeurs de fonds doivent réaliser que créer une biobanque n’est pas une décision triviale, tant le retour sur investissement ne sera que tardif.
La question de l’accès aux biobanques, très large ou restreint, fait aussi débat.
La volonté de UK Biobank est qu’elle soit ouverte à tout chercheur. D’autres biobanques ou cohortes sont moins accessibles, car les créer a été le fruit d’un engagement nourri d’un groupe de scientifiques, œuvrant souvent en amont d’un financement. Il est normal que ceux-là gardent un accès préférentiel à leurs données, ce qui n’empêche pas des collaborations externes avec eux. Sans ce privilège admis, l’on va dissuader ce genre d’initiatives. Le modèle de UK Biobank est non usuel, puisque l’argent a été investi avant et massivement (entre 200 et 280 millions de francs au total de 2005 à 2020 alloués par le gouvernement et des fonds de charité), ce qui nous permet de mener des recherches inimaginables sinon. De très nombreux scientifiques nous ont, ab initio, aidés à la mettre sur pied selon leurs besoins, ce qui garantit l’investissement dans la recherche.
Comme dans d’autres cas, les biobanques donnent parfois l’impression que la technologie précède la réflexion publique sur leurs enjeux et leur pertinence.
Avant le lancement de UK Biobank, une vaste consultation a été menée durant deux ans auprès des scientifiques, des éthiciens et du public. Le mode de bonne gouvernance qui en a découlé a été rendu public. Et ces réflexions éthiques n’ont jamais cessé, lors du développement de l’institution. C’est non seulement indispensable, mais aussi très riche d’enseignements.