L’avion solaire Si2 de Bertrand Piccard et André Borschberg se trouve devant son étape la plus cruciale: la traversée du Pacifique, possible dès le 9 mai. Le second explique comment s’est fait le choix du pilote. Claude Nicollier, membre du comité de sécurité du projet, détaille les défis techniques, météorologiques et humains de ce vol de 5 jours et 5 nuits pour 8172 km
Cinq jours et cinq nuits, pour 8172 km d’un périple qui restera parmi les exploits de l’aviation, s’il est accompli: c’est à partir du 9 mai que le Solar Impulse 2 (Si2), avec André Borschberg aux commandes, pourrait s’élancer pour sa traversée du Pacifique, entre Nanjing (Chine), où il se trouve, et Hawaï. «C’est notre plus grand challenge!» admet le pilote de Nyon, qui, entre deux séances de yoga pour évacuer la pression, se dit quasi constamment dans les «starting-blocks».
Car c’est bien lui qui va effectuer ce vol historique. Cette décision découle d’une «longue discussion et pas mal de réflexions». «On avait le choix entre, d’un côté, l’explorateur, l’aérostier qui a déjà fait une ou deux traversées. De l’autre, le pilote expérimenté. Vu qu’il s’agit d’un avion, et que c’est finalement le pilotage qui peut devenir très important, surtout en cas de grosse fatigue, on s’est dit que l’expérience de pilote était plus importante, et que ce serait moi pour LE vol d’exploration, le moment de vérité.» Une exploration «au niveau de l’avion, mais aussi personnelle et intérieure». Quant à écrire l’histoire, l’homme aux 4500 heures de vol estime que «l’on va l’écrire ensemble. C’est un projet qui se fait à deux. On a eu besoin l’un de l’autre, on s’est développés mutuellement. J’apporte à Bertrand mon expérience d’entrepreneur et de pilote sur cet avion extraordinaire et complexe. Et lui me donne la possibilité de faire ce vol d’exploration, de sortir de ma zone de confort.» Mais au final, «c’est le projet entier qui compte».
Le défi à relever est de plusieurs ordres. Géographique d’abord: une fois le Japon passé, le premier jour, il n’y aura plus de base d’atterrissage d’urgence, si ce n’est les îles Midway, un atoll de 6,2 km2 situé à un tiers de la distance entre Honolulu de Tokyo. «A part le fait de nous éviter de nager – ce qui serait le cas si nous devions agir d’urgence ailleurs –, ce n’est pas vraiment une solution, ces îles étant balayées par les vents, qui nous immobiliseraient», dit André Borschberg. En cas de gros pépin sur l’océan, le pilote devra en effet abandonner son aéroplane, se jeter dans l’océan, gonfler son canot de sauvetage, et attendre deux à trois jours les secours avec ses rations de survie.
Pour éviter ce cas ultime, le plus difficile restera d’éviter le mauvais temps, l’avion n’aimant pas les turbulences et ne pouvant voler longtemps à travers les nuages. Durant les dernières années, l’équipe de Solar Impulse a fait moult simulations météorologiques. «Il n’y a que deux ou trois «fenêtres» adéquates de cinq jours consécutifs durant chaque été, durant lesquels il faut une combinaison d’absence de turbulences, de bonne position du jet-stream, de ciel clair en altitude, et pas trop de nuages dans les basses couches où se déroule le vol en fin de nuit», dit l’astronaute Claude Nicollier, du Safety Review Board, chargé de la sécurité qui donne le feu vert à tout décollage du Si2. «Il faut trouver un corridor, ou plutôt un volume de beau temps, qui se déplace avec l’avion, précise André Borschberg. Nous avons découvert des schémas plus propices. Ainsi, il faut que nous partions alors que le front météorologique situé entre la Chine et Hawaï est en diminution.» Reste que la tâche relève presque de la lecture dans une boule de cristal. «Si la fiabilité des prévisions est acceptable (80%) sur 48h, elle est plus modérée entre 48 et 96h (65%) et souvent médiocre au-delà», a dit à l’ATS le météorologue Luc Trullemans.
Un paramètre crucial sera la gestion des vents. «Pour continuer sur la trajectoire prévue, explique Claude Nicollier, l’avion peut avancer en crabe», soit en se plaçant selon un angle de correction par rapport à sa direction de vol. «Mais en cas de trop fort vent latéral, on ne peut plus corriger, avec pour conséquence pour l’avion de faire du sur-place ou d’être poussé dans une direction indésirable. Il faut alors changer d’altitude, où les vents sont plus faibles. Or si pendant la journée l’avion ne peut pas monter assez haut pour accumuler assez d’énergie, ses batteries ne lui permettront pas de passer la nuit.» Tout est donc question de compromis.
L’astronaute insiste aussi sur un autre facteur déterminant: la capacité d’autonomie du pilote. «Lors des vols précédents, l’on a parfois observé une forte dépendance du centre de contrôle de Monaco (MCC). Or il se peut que l’avion perde le contact pendant des heures, voire durant la fin du vol. Seuls, les pilotes doivent pouvoir aller se poser à destination, avec leur GPS, indépendant du système de communication, mais donc sans les informations météo transmises par le MCC». Le plus critique serait qu’une panne radio survienne alors que les données à la disposition du pilote ne sont pas les plus récentes. André Borschberg dit s’être «longuement entraîné pour ce cas de figure».
D’un point de vue purement technique toutefois, l’équipe du Si2 estime que l’avion est parfaitement prêt. L’aéroplane est construit selon un principe de redondance qui lui confère une certaine sécurité. «Si un des moteurs tombe en panne, on peut continuer, dit Claude Nicollier. Et si deux d’entre eux défaillent, ce n’est pas perdu, mais plus difficile.»
Quant au défi physique, il ne sera pas moindre. «Quel sera l’état du pilote après 3 à 4 jours, à dormir par tranches de 20 minutes, alors qu’il y aura une grande incertitude quant à la météo à l’arrivée?» se demande l’astronaute. A nouveau, André Borschberg assure avoir déjà testé avec succès ce rythme de sommeil.
Et pour se sustenter, le pilote emporte avec lui huit bouteilles d’oxygène, 21 litres d’eau et 15 kilos de nourriture. Des mets à tiédir pour le soir, des lunchs froids et des petits-déjeuners de céréales au lait en poudre. Une logistique qui impose de connaître sur le bout des doigts l’équipement du cockpit et l’emplacement du moindre objet. Ainsi, pas question d’égarer la petite cuillère pour manger son bircher, comme c’est arrivé par le passé, a glissé à l’ATS Daniel Ramseier, responsable de l’équipement des pilotes.
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