L’atterrisseur Schiaparelli doit se poser sur la planète rouge le 19 octobre de manière autonome; une première pour l’ESA européenne. Surtout, un autre robot observera cet exploit depuis le sol martien: Opportunity, qui crapahute là-bas depuis 12 ans
Ils vont se guetter l’un l’autre, s’observer de leurs yeux robotisés, dans un décor rougeâtre. Le 19 octobre, l’atterrisseur Schiaparelli doit se poser sur Mars de manière entièrement automatisée. Une première pour l’Agence spatiale européenne (ESA), qui sera immortalisée en images durant toute la descente. Surtout, cette arrivée inédite devrait être vue en direct depuis le sol caillouteux de la planète rouge par un autre engin, américain lui, Opportunity, qui crapahute sur place depuis douze ans! Un croisement de regards (électroniques) exceptionnel qui promet son lot d’émerveillement.
Cette manœuvre hors norme a été révélée au Temps en mars à Baïkonour, lors du lancement de la mission russo-européenne ExoMars 2016 incluant l’orbiteur Trace Gas Orbiter (TGO) et l’atterrisseur Schiaparelli. «Il y a encore beaucoup d’incertitudes», disait alors l’ingénieur fribourgeois Albert Haldemann, responsable à l’ESA de l’intégration des instruments sur les plateformes martiennes. Aujourd’hui, Steve Squyres, l’un des responsables d’Opportunity, est en mesure de confirmer que la tentative aura bien lieu, sans préciser dans quelles circonstances exactes: «Les activités des rovers martiens sont planifiées deux jours à l’avance. Nous tenterons d’observer l’arrivée de Schiaparelli, et avons toutes les informations nécessaires. Nous planifions d’envoyer les commandes idoines à notre robot un ou deux jours avant l’atterrissage.» Des ordres qui se résumeront à lui faire tourner la tête et prendre une séquence de clichés.
Cette entreprise est rendue possible par le simple fait que les deux engins ont quasi exactement la même cible pour leur atterrissage, soit une ellipse de 100 km sur 15 située dans Meridiani Planum. Cette région plane a été choisie parce qu’elle abrite des sédiments argileux et des sulfates qui se sont probablement formés en présence d’eau; moult canaux sont d’ailleurs clairement visibles. Actuellement, Opportunity explore le cratère Endeavour, situé à quelques centaines de kilomètres de là.
Firme suisse très impliquée
«Ce qu’Opportunity devrait observer dans le ciel martien, c’est une traînée lumineuse blanche, tant sa caméra ne possède pas une résolution assez fine pour bien voir à distance, précise Nicolas Thomas. Mais même ainsi, le jeu en vaut la chandelle!» Cet astrophysicien de l’Université de Berne sait de quoi il parle. Il est le concepteur d’une autre caméra, nommée CaSSIS et embarquée sur le vaisseau mère TGO. Malheureusement, cet appareil photo-là restera déclenché ces prochains jours, afin de ne pas perturber la douce insertion de la sonde en orbite autour de la planète rouge, ce même 19 octobre.
Celle-ci aura pour tâche cruciale d’inventorier les gaz présents dans l’atmosphère martienne, avec une attention particulière pour le méthane dont il pourrait exister des sources actives sur Mars. TGO doit déterminer la répartition géographique et les variations saisonnières de ce méthane afin d’aider à déterminer si ces sources sont d’origine géographique ou… biologique. Ce qui indiquerait qu’il pourrait y avoir de la vie sur la planète rouge! Cette tâche, la sonde, protégée contre l’environnement spatial extrême par des dispositifs fabriqués par l’entreprise suisse RUAG Space, l’effectuera dès fin 2017. Avant, ce dimanche 16 octobre, elle doit d’abord larguer son passager au patronyme italien.
Là aussi, l’opération sera réalisée par le biais d’un mécanisme de séparation mis au point par RUAG Space. «Une manœuvre qui requerra une précision toute helvétique, a souligné l’entreprise dans un communiqué: l’atterrisseur doit se détacher de l’orbiteur avec la bonne vitesse pour atteindre la cible choisie, car une fois largué, sa course ne peut plus être modifiée.» «La descente finale sera entièrement automatisée, complète Frédéric Béziat, de l’entreprise franco- italienne Thales Alenia Space, maître d’œuvre de la mission. Vu qu’elle durera six minutes, et que la Terre se situe à 10 minutes de communication, impossible de commander cette opération en direct.»
Cette arrivée se déroulera en trois séquences durant lesquelles un appareil sommaire prendra 15 images de la surface: chute libre sous protection d’un bouclier thermique d’abord, puis déploiement d’un parachute, et enfin allumage de neuf rétrofusées régulées par un système de guidage, qui permettront à l’engin de freiner d’une vitesse de 250 à 4 km/h.
S’écraser de façon contrôlée
A deux mètres du sol, ces petits réacteurs s’éteindront. Schiaparelli et ses 600 kg s’«écrasera» doucement, le choc étant amorti par des couches structurées en nids d’abeille, et donc compressibles. «Vu les poids de plus en plus grands des engins martiens, il n’est plus possible d’utiliser des airbags pour l’atterrissage, comme avec Beagle 2 en 2003», dit Frédéric Béziat. Pour rappel, ce petit laboratoire européen devait se poser sur Mars après une chute non contrôlée, mais la mission avait finalement échoué; son «cadavre» a d’ailleurs été repéré depuis l’espace en janvier 2015.
Une fois posé, normalement le 19 octobre à 16h48 précises, Schiaparelli, doté de batteries mais dépourvu de panneaux solaires, aura quelques jours seulement pour faire diverses mesures (vitesse du vent, taux d’humidité, pression, température); à noter que l’anémomètre sera le même que celui qui avait été installé sur Beagle 2.
La plateforme immobile va aussi effectuer «la première caractérisation des champs électriques à la surface de Mars, a indiqué l’ESA. Combinée avec les mesures de la concentration de poussière atmosphérique, celle-ci donnera de nouvelles perspectives sur le rôle des forces électriques dans le soulèvement de la poussière, l’élément déclencheur des puissantes tempêtes» qui ont lieu sur la planète rouge – et qui lancent le récent et saisissant film Seul sur Mars.
Mais toutes ces mesures, quoique très utiles, ne seront pas de nature à bouleverser la planétologie martienne. «Schiaparelli est avant tout un démonstrateur qui permettra à l’ESA de tester ses technologies pour se poser sur Mars, et ainsi se doter de capacités inédites et cruciales pour la conquête spatiale», expliquait récemment au Temps Jorge Vago, l’un des responsables d’ExoMars.
Tous les savoirs techniques acquis grâce à Schiaparelli seront appliqués sur le clou de la mission Exo-Mars 2020: l’arrivée d’un rover gros comme une voiture, nommé Pasteur, qui aura pour tâche de forer sous la surface martienne afin de détecter d’éventuelles traces de vie. Un exploit d’abord prévu en 2018, mais qui a finalement été repoussé à 2020, en raison des délais de réalisation technique non tenus et du fait que l’ESA a dû changer de partenaire en cours de route, l’Agence spatiale américaine (NASA) étant sortie du projet au profit de sa pendante russe Roscosmos.
L’année 2020 sera d’ailleurs celle de la ruée mobile vers la planète rouge. La NASA prévoit l’atterrissage de son rover Mars 2020, et la Chine ainsi que peut-être l’Inde envisagent de se poser sur l’astre tant avec un atterrisseur qu’avec un engin motorisé. Les Emirats arabes unis, eux, devraient se contenter de lancer un orbiteur. De quoi, tous ensemble, préparer ensuite l’arrivée de missions habitées, dès la décennie 2030.