Premier vol totalement réussi hier à Payerne pour l’avion solaire, les performances de l’aéroplane dépassant même les espérances de ses concepteurs. Récit de l’aventure dans l’hélicoptère-suiveur de l’initiateur du projet, Bertrand Piccard
«J’avais tant de larmes dans les yeux que je ne l’ai pas vu en entier!» Peu après le décollage de Solar Impulse hier, l’initiateur du projet Bertrand Piccard, badin, se lâche à peine, avant de replonger dans sa concentration. La tension est à son paroxysme. Casque audio vert menthe collé au crâne, vielles jumelles de l’armée suisse autour du cou, le «savanturier» ne perd pas une miette de la progression lente et majestueuse de son avion solaire dans le ciel pastel, depuis l’hélicoptère suiveur dans lequel Le Temps a embarqué avec lui. «L’envol a été si parfaitement maîtrisé…»
Quelques minutes plus tôt, à 10h27, l’aéroplane aux ailes larges de 63,4 m s’est élevé pour la première fois dans les airs, comme une plume, n’utilisant pour y parvenir que 200 m de la longue piste de l’aérodrome de Payerne et la vitesse d’un vélomoteur, soit moins de 40 km/h. A tel point qu’il était possible de voir tourner les quatre hélices. «C’est incroyable comme l’avion a l’air stable. Les performances semblent excellentes, souffle Bertrand Piccard dans son micro, entre deux recommandations au pilote de l’hélico de bien garder ses distances. L’altimètre indique déjà 5300 pieds (1615 mètres) au-dessus des cultures de la Broye. Au photographe, qui a les pieds dans le vide: «Attention, il arrive dans le soleil, ça va être magnifique!»
Et l’aérostier-psychiatre d’abonder: «Dans les virages, on a l’impression qu’il vire à plat simplement en orientant la gouverne arrière», ceci à cause de sa vitesse très réduite (entre 40 et 60 km/h). «Cela dit, je ne suis pas dans le siège du pilote d’essai. Je ne connais donc pas les efforts qu’il doit peut-être faire pour garder l’avion dans la ligne voulue.» Au fait, aurait-il aimé être à sa place? «Chacun son job. Car le succès d’aujourd’hui, au-delà du pilotage, est vraiment celui de toute une équipe» de 70 personnes.
De retour à la base de Payerne, qu’en pense le pilote allemand, justement? «Ce premier vol a été un moment très intense!» dit Markus Scherdel devant la presse internationale. «Le HB-SIA s’est comporté comme l’avait laissé prévoir le simulateur de vol! Malgré son immense envergure et son poids plume (1600 kg), la contrôlabilité de l’appareil correspond à nos attentes!» Voire plus, se réjouit Claude Nicollier, un directeur des vols d’essai soulagé après l’échappée aérienne d’hier qui aura duré 88 minutes. «Le taux ascensionnel, que nous avions estimé de 80 à 100 pieds (24 à 30 m) d’altitude par minute, fut une fois et demie meilleur.» Ce qui est une très bonne nouvelle pour une équipe qui avait même prévu le scénario inverse. «Toutes les données recueillies en direct avec la centaine de capteurs installés sur et dans Solar Impulse auront beaucoup de choses à nous apprendre sur son comportement», ajoute l’astronaute suisse.
De manière plus directe, les ingénieurs ont pu, durant ce premier vol, tester pléthore de manÅ“uvres et interventions (lire ci-contre). «En altitude, nous avons simulé un atterrissage, en sortant le train et les volets, et en réduisant la vitesse. Puis une remise de puissance brusque consécutive à un atterrissage avorté, explique André Borschberg», directeur du projet. Les moteurs électriques disposaient, eux, encore de 75% de leur charge sur le tarmac du retour. Quant à la météo, cruciale, elle fut de la partie puisqu’elle a permis un décollage vers l’est, et donc un premier survol de zones moins mamelonnées en cas de pépin. Dans chaque secteur d’activité, «tout s’est donc excessivement bien passé!»
Bertrand Piccard en sourit: «L’avion a atterri, mais nous, pas encore…» André Borschberg partage ce sentiment. C’est seulement une fois l’émulation générale passée, Solar Impulse sommeillant à nouveau dans son hangar, que l’ancien pilote de chasse, habitué aux moments de tension, avoue réaliser pleinement l’exploit accompli. «Le succès de ce premier vol nous permet d’envisager la suite avec plus de sérénité!» La suite? Une belle fête d’abord, hier soir. Puis bien quelques autres vols d’essai – «pour mieux connaître et optimiser l’avion» –, une tentative de passer une nuit complète en l’air ensuite, cet été, et enfin la construction du deuxième avion qui permettra de faire le tour du monde par étapes, dès 2013, indique André Borschberg.