Mercredi à 21:37 UTC, depuis la Guyane française, une fusée Soyouz doit placer dans l’espace les six premiers satellites de la constellation OneWeb. Constituée à terme de 650 entités, voire peut-être 2000, elle fournira un accès à un « Internet spatial » partout dans le monde – promet-on.
Pourquoi c’est important. Environ 3 milliards de personnes sur la planète n’ont toujours pas d’accès (fiable) à la toile; OneWeb promet une couverture ubiquitaire pour 2027. Par ailleurs, placer en orbite autant de satellites représente un marché économique énorme autant pour leur production que pour leur lancement ou leur exploitation.
Maints services pourraient être développés à partir d’un Internet couvrant toute la planète depuis l’orbite basse (quelques centaines de kilomètres d’altitude): communication, sécurité et accès à l’aide d’urgence, développement socio-économique.
Quel est l’intérêt de ces projets? Les constellations proposées seront sur des orbites faciles d’accès. L’avantage, outre la redondance et leur capacité de haut débit, est de diminuer le temps nécessaire à l’information pour circuler. Même s’il ne s’agit que de fractions de secondes, cet élément est crucial pour certaines applications, telles les vidéoconférences ou le jeu en réseau.
Quel sont les enjeux. Ils sont multiples, attisés par une lutte à couteaux tirés entre surtout deux grands acteurs, SpaceX, société privée connue pour ses lanceurs réutilisables, mais qui a aussi un projet de flottille de 4425 satellites nommée Starlink, et OneWeb, entité que soutiennent d’autres géants comme Virgin Group, Qualcomm ou Coca Cola.
- Fabriquer des satellites en série reste complexe. Airbus a construit les six premiers éléments de OneWeb à Toulouse. Mais l’entreprise a aussi érigé en Floride une usine entière pour faire sortir de chaînes de production les centaines de suivants. L’efficacité de l’automatisation reste à démontrer.
- Le marché des lancements est très concurrentiel. SpaceX a cassé les prix ces dernières années, avec sa fusée Falcon9 en partie réutilisable. L’Europe espère beaucoup d’Ariane-6, flexible et compétitive, qui devrait voler en 2021 – mais que d’aucuns disent déjà dépassée. Et la Chine développe ses propres engins. Tous espèrent remplir leur carnet de lancements avec des réservations liées aux gigantesques flottes de routeurs spatiaux, qui serviraient de relais de croissance pour leur marché des lanceurs.
- Les investissements de départs sont gigantesques, et donc ardus à trouver. En 2016, OneWeb a bien levé 1,2 milliard de dollars d’un fonds lié à SotfBank. La semaine dernière, l’Agence spatiale britannique a mis 24 millions de dollars dans l’aventure. Aujourd’hui, OneWeb disposerait 1,7 milliards. Or le projet total coûterait environ 3 milliards. Mais la rentabilité pourrait être au rendez-vous: selon le Wall Street Journal, Starlink pourrait générer 30 milliards de dollars de revenus d’ici à 2025.
- L’entretien des satellites est un casse-tête. Contrairement aux objets en orbite géostationnaire (36 000 km), qui durent 15 ans, les satellites en orbite basse ont une espérance de vie de 5 ans. Ainsi, pour en garder des centaines constamment en fonction, leurs opérateurs devront régulièrement en lancer des dizaines de nouveaux pour remplacer ceux devenants inopérants.
L’avis de l’expert. José Achache, directeur d’AP-Swiss, une entité chargée de développer des services spatiaux, basée à l’EPFL, est circonspect:
«Les millions de destinataires de cette technologie pourront-elles se l’offrir? Un besoin d’Internet global existe. Mais le business modèle n’est certainement pas classique: ce ne seront pas les gens qui devront utiliser ces services qui les payeront, mais peut-être ceux qui voudront les promouvoir, comme Facebook.»
Quant aux aspects technologiques, l’expert voit un gros défi:
«L’inconvénient reste que les satellites sont toujours en mouvement par rapport à la Terre. Pour les suivre, les antennes au sol devront pouvoir bouger. Une mécanique qui, à nouveau coûtera cher. Ou alors, devront être développées des “antennes plates”, dont la direction de pointage est choisie électroniquement, et qui ne dépendent plus de rouages mécaniques. Il est curieux d’observer que Greg Wyler, fondateur de OneWeb, développe de telles antennes dans son coin. Avec probablement l’intention ensuite de les vendre à ceux qui exploiteront son réseau…»
Et la Suisse dans tout ça? C’est la société RUAG Space, près de Zurich, qui fournira les structures de la constellation de satellites OneWeb. Un contrat portant sur la livraison de structures pour 900 entités d’ici la fin 2020 a été signé en novembre 2016. L’entité suédoise du groupe avait déjà reçu une première commande portant sur la fourniture des « égreneurs » qui, en tant qu’interface entre le lanceur et les satellites, permettent à une même fusée Soyouz de larguer successivement et en toute sécurité jusqu’à 32 satellites OneWeb.