LE TEMPS || Le Sédunois Sébastien Barrault dirige depuis peu la base franco-allemande à Ny-Alesund, ancien village minier reconverti en vaste poste de recherche avancé au Svalbard, l’archipel habité le plus septentrional au monde, situé à 78° de latitude Nord
«Quand tu feras paraître ton article, avertis-moi. Que je puisse le signaler à mes proches en Valais. Je ne suis pas très fort pour donner des nouvelles…» Des nouvelles, en voilà donc. Sébastien Barrault va bien. Très bien, même. Puisqu’il officie depuis peu comme chef de base à Ny-Alesund, ancien village minier du Svalbard reconverti en poste avancé pour la recherche scientifique en Arctique. Et pas de n’importe quelle base, puisqu’il s’agit de celle, conjointe, de l’Alfred Wegener Institut (AWI) allemand et de l’Institut Paul-Emil Victor (IPEV) français, deux des plus grands organes de recherche polaire au monde.
Pour ce chaleureux Sédunois de 33 ans, «c’est mon expérience du terrain et mes contacts auprès des autorités locales, plus que le fait d’être Suisse – et neutre –, qui a dû peser dans la balance» pour décrocher ce poste. Car la région, Sébastien Barrault la connaît comme sa poche, sur mer comme sur terre. «J’étais parti pour 6 mois, avec juste assez d’argent, et je suis resté depuis 6 ans», souligne-t-il avec son accent valaisan que ces années n’ont pas gommé.
C’est grâce au bouche-à-oreille, à travers un copain norvégien, que l’ingénieur en mécanique de l’EPFL postule à Longyearbyen, à l’Université du Svalbard, archipel situé au faîte de l’océan Atlantique, par 78° de latitude Nord, et dernier lopin de roche avant le pôle, qu’ont d’ailleurs utilisé moult aventuriers comme base de départ. «J’y suis allé pour étudier les mécanismes de déformation de la glace d’eau salée, et l’océanographie.» Mais surtout pour effectuer du travail de terrain: «Mes meilleurs souvenirs resteront ces «croisières» scientifiques, à dériver avec les glaces dans les fjords. Tout est calme, statique, croit-on. Mais le paysage change chaque demi-heure.»
Plus que de simples études, l’aventure à satiété, dont l’incertitude reste le pain quotidien: «On doit faire attention aux ours, aux glaciers, aux avalanches. On doit faire attention quand on navigue… On n’a jamais aucune sécurité au niveau du timing non plus. Selon la météo, les conditions, le temps qu’on mettra pour se rendre d’un point à un autre peuvent varier énormément. Un petit redoux (de -20°C à -15°C) et vous restez embourbé dans la neige… Dans le Svalbard, il faut avoir confiance en soi, mais avant tout pouvoir compter sur les autres!» expliquait-il en 2007 au quotidien Le Nouvelliste, à qui il a conté son expérience sur plusieurs épisodes durant l’Année polaire internationale.
Au fait, l’ours, l’homme l’a-t-il vu? «Oui, environ 150 fois. Très rarement nez à nez. Mais cela reste à chaque fois une fascination de le voir marcher à l’amble, d’un pas lourd, drôle mais finalement assez gracieux. Et il ne faut jamais oublier que c’est un prédateur, très loin de la vision Coca-Cola qu’on peut en avoir. Au début, on a plus peur de la peur de l’ours que de l’animal lui-même, notamment quand on ne le voit pas mais qu’on sait qu’il traîne aux alentours. Ensuite, on relativise: il y a en fait plus de risques de se blesser avec un fusil en faisant une mauvaise manipulation que d’être attaqué par un ours.»
La liberté, le silence, la pureté des paysages, mais surtout cette nature hostile, «devant laquelle il faut rester humble, comme un alpiniste en montagne», voilà ce qui retient ce jeune scientifique dans ces confins glacés. «Etre vite déconnecté, quand les glaces empêchent les bateaux d’accoster, le vent les avions d’atterrir, ça me plaît», résume-t-il en souriant. Loin de tout, certes, mais très proche des humains aussi.
Si Ny-Alesund voit débarquer des centaines de scientifiques durant les mois d’été, à l’année, 30 à 35 personnes seulement vivent dans le village de maisons en bois multicolores. «Cela crée une ambiance de quartier. Et durant l’hiver, il n’y a quasiment plus de séparation entre vie privée et vie publique: je ne suis vraiment seul que lorsque je me douche et que je sors mes six chiens de traîneau.» Une passion «qui prend beaucoup de temps», à côté de son travail.
En quoi celui-ci consiste-t-il? «A accueillir les chercheurs de passage, à assurer leur sécurité sur le terrain, à coordonner la logistique de leurs projets, à servir de relais avec les deux instituts où tout est organisé, en France et en Allemagne. A faire tourner la baraque, en somme. Mais nous officions aussi comme opérateur scientifique, et effectuons diverses mesures à l’année, comme le déploiement quotidien de ballons-sondes pour réaliser des profils atmosphériques.»
La vie sociale suisse lui manque quand même parfois: «Ici, à chaque fois que tu sors, il faut s’équiper, s’armer, s’annoncer, prévoir d’être en retard au retour. Cela devient certes routinier. Mais quand tu rentres en Europe, cela fait du bien de sortir léger, sans sac à dos, de prendre ta voiture et ta carte de crédit, et d’aller où tu veux.»
Rien, pour l’heure, ne le ferait toutefois rentrer dans sa vieille ville de Sion. «A part peut-être un bon apéro, empreint de fraternité, avec des rebibes, du fromage, et du fendant», salive-t-il. Avant d’ajouter qu’une autre raison le retient dans le coin: «Mon amie norvégienne vient de décrocher un contrat de 5 ans auprès du gouverneur de Longyearbyen», la capitale administrative du Svalbard, distante de 20 minutes en avion, avec ses 2000 habitants, ses mines de charbon, sa piscine, sa salle de gym, ses quelques restaurants, et ses motoneiges figées durant l’été, «bref tout ce qu’il faut pour que la vie soit agréable».
Pour Sébastien Barrault, le Svalbard s’est en quelque sorte imposé dans sa vie, pour un temps du moins: «Quand tu viens ici, tu comprends vite que c’est un lieu de transition, de passage. Il y a beaucoup d’instabilité dans les relations humaines, parfois courtes. Cela peut être usant. Et tu sais d’emblée que tu ne vas pas y rester pour la vie; le Svalbard, tu le quittes quand vraiment tu le sens, quand tu vis un ras-le-bol. Mais tant que tu n’es pas prêt à partir, que tu n’as pas tout expérimenté, tu le ressens aussi. C’est ce que je vis maintenant.»
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