En 2012, la mesure de la surface de glace de mer a fait exploser le précédent record minimum de 2007. Toute la région est au coeur d’énormes enjeux géopolitiques et économiques mais d’abord sociétaux et environnementaux
C’est un nouveau record, mais pas une surprise. Encore que… La banquise arctique atteint ces jours son minimum de superficie. Et comme l’annoncent les glaciologues depuis fin août, elle a fondu encore davantage qu’en 2007, année du record absolu: «Les satellites indiquent qu’elle n’occupe plus que 3,5 millions de km2, contre encore 4,28 millions il y a cinq ans à cette époque, dit Walt Meier, du NSIDC de Boulder (Colorado), le plus important centre de collecte de données météo du monde. On s’attendait à ce que la valeur de 2007 soit battue, mais pas si vite et avec une telle marge! C’est une nouvelle preuve des changements majeurs qui se jouent dans cette région.» Avec des répercussions autant géopolitiques et économiques que sociétales et environnementales (lire ci-contre).
«Et même si le minimum est atteint à la mi-septembre, il n’est pas exclu que cela continue un peu cette année», poursuit Walt Meier. Il y a peu, les scientifiques ont en effet découvert un phénomène qui constitue l’un des rouages du moteur climatique faisant se réchauffer le Grand Nord deux fois plus vite que le reste de la planète: des cyclones. Un tel cyclone pourrait encore se créer sur l’océan Glacial Arctique.
«Il s’agit d’orages phénoménaux, locaux ou arrivant des basses latitudes, qui ont deux effets, dit David Barber, glaciologue à l’Université de Manitoba. Le premier est de faire se mélanger les couches d’eau, ce qui fait remonter les eaux plus chaudes vers la surface, et de créer des vagues qui rongent la banquise. Deuxièmement: ces cyclones apportent des précipitations. Si elles tombent sous forme de neige sur la glace de mer, elles créent une couche isolante qui empêche cette dernière de bien s’épaissir ensuite.»
Ces cyclones sont alimentés en énergie par le facteur principal de réchauffement en Arctique: la chaleur émanant d’un océan de moins en moins froid. «L’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère enclenche un cercle vicieux», poursuit David Barber. Alors que la glace réfléchit 80% de l’énergie incidente (qui provient à la fois directement du soleil mais est aussi réfléchie sur terre par la couche de gaz de plus en plus dense), l’eau de mer, très sombre, en absorbe, elle, 90%. Ce qui surchauffe les couches liquides superficielles, et fait davantage fondre la glace. Bilan: plus la glace fond, moins elle joue donc son rôle de «miroir», et plus elle fond, etc.
Tout s’enchaîne alors: «Habituellement, lorsque la glace se forme sur de grosses épaisseurs, elle repousse le sel dans l’eau, créant une couche dite «halocline» où le gradient de salinité varie beaucoup», explique David Barber. Cette couche maintient d’ordinaire à grande profondeur l’eau plus tempérée qui remonte de l’Atlantique et du Pacifique dans le bassin arctique. Or, la glace ne se formant plus aussi vigoureusement en automne, ce système très subtil de stratification joue moins bien son rôle.»
L’on peut s’étonner que le précédant minimum de superficie ait eu lieu en 2007, et que les années suivantes n’ont pas vu une fonte aussi catastrophique, avant 2012. «Il existe des variabilités annuelles», admet Walt Meier. «Il ne faut pas oublier que l’on observe une immense région, abonde David Barber. Ce qui compte, c’est la tendance à long terme. Or, six des années les plus chaudes depuis le début des mesures météorologiques, il y a plus d’un siècle, ont été observées depuis 2004.» «Il est clair que nous ne sommes pas en face d’un cycle naturel, mais d’un trend: en moyenne, la banquise perd 8% de surface par décennie», précise le chercheur du NSIDC. D’autant que disparaît surtout aussi la glace pluriannuelle, plus solide et résistante et donc moins vulnérable que celle qui se forme durant l’hiver arctique sur l’océan libre (voir graphique ci-contre).
Ce grand chambardement climatique à hautes latitudes ne sera pas sans avoir des impacts sur les régions plus tempérées du globe. Les jet-streams, ces puissants vents d’altitude générés grâce aux différences de températures entre les tropiques et les pôles, pourraient s’en trouver modifiés. Or ce sont eux qui déterminent en grande partie les régimes météorologiques ailleurs sur la planète. «Pour le nord de l’Europe, cela peut signifier davantage de précipitations, tandis que le sud du continent pourrait devenir plus aride», a expliqué à la BBC Kim Holmen, directeur international de l’Institut polaire norvégien. Mais les chercheurs se gardent encore de toute certitude, ce domaine étant en pleine exploration.
Quant aux prédictions concernant la disparition totale de la banquise en été, les estimations aussi varient. Les plus prudents évoquent 2080 ou 2090. «Cela arrivera entre 2015 et 2030, avance, lui, David Barber, très grand connaisseur du système arctique pour y mener depuis des années des recherches à bord du brise-glace Amundsen . Les modèles le prédisent depuis trente ans, mais là, on s’aperçoit que cela va encore plus vite que prévu.»