Malgré les avancées, il reste utopique d’évoquer des manipulations du cerveau, des traits de la personnalité ou des pensées, fruits d’intrications neuronales infiniment complexes
Longtemps considéré comme une boîte noire, le cerveau voit ses rouages apparaître en pleine lumière. Au tournant du millénaire, on venait à peine de découvrir que cet organe, loin d’être définitivement formé à la naissance, peut régénérer ses neurones; à condition de les mettre à contribution en ne cessant d’apprendre, de raisonner, de rester curieux. En peu de temps, plusieurs techniques ont été mises au point pour l’explorer, le décrypter, voire le stimuler.
En se servant d’un électroencéphalogramme couplé à un ordinateur, il est ainsi possible de guider par la pensée une chaise robotisée. La stimulation cérébrale profonde à l’aide d’électrodes, utilisée pour soigner la maladie de Parkinson, laisse entrevoir une nouvelle façon de traiter la dépression. Surtout, l’optogénétique permet de commander des neurones au préalable modifiés génétiquement, en les illuminant d’un simple rai de lumière bleue, diffusé sous le crâne par une fibre optique implantée.
Et voilà que des chercheurs genevois arrivent, avec la «iontoporation», à transformer l’identité et la fonction de certains neurones chez des souris vivantes!
Devant ces avancées fulgurantes, il est légitime de s’interroger sur les dérives, réelles ou fantasmées, qu’elles pourraient induire. Sera-t-il possible de doper techniquement le cerveau? De le trafiquer pour asservir son propriétaire? De viser un eugénisme intellectuel? De toucher à l’âme au point d’attribuer une nouvelle nature à l’homme?
Il s’agit de ne pas perdre de vue que cet organe est une pelote de 100 milliards de neurones, connectés par des milliers d’axones. Des réseaux dont le raffinement ne cesse justement d’être révélé par toutes ces techniques novatrices; l’éternel constat, en sciences, qu’une réponse trouvée pose une myriade de questions inédites…
Oui, il pourrait être possible d’influer, à but thérapeutique, sur certains mécanismes du fonctionnement cérébral, telles la peur, l’anxiété ou la faim, ou de traiter des pathologies, comme l’autisme, car ceux et celles-ci dépendent de régions précises.
Mais il reste utopique d’évoquer des manipulations, avec ces techniques, des traits de la personnalité ou des pensées, fruits d’intrications neuronales infiniment complexes. D’autant que, comme l’a joliment formulé un poète polonais, «les pensées métamorphosent le cerveau lui-même».