La première partie du 5e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) sera publiée en septembre 2013. La sortie du précédent compendium, en 2007, avait été suivie par diverses polémiques. Seront-elles évitées cette fois? A l’aide de quelles procédures? Le point avec Thomas Stocker, professeur de climatologie à l’Université de Berne et coprésident du Groupe de travail 1 du GIEC
Moins de six mois. C’est le temps qu’il reste aux scientifiques du Groupe de travail 1, l’une des trois sections du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), pour affiner le contenu de leur 5e rapport. Un document qui prendra en compte toutes les recherches menées jusqu’au 15 mars 2013, afin de dresser l’état des lieux des connaissances; il sera finalisé du 23 au 26 septembre à Stockholm, puis dévoilé dans la foulée. Un compendium d’autant plus attendu que le précédant, en 2007, avait suscité plusieurs controverses.
La première, fin 2009, a concerné une erreur sur la fonte des glaciers himalayens. Mais la plus vive, nommée «climategate», avait mis en question l’intégrité de climatologues liés au rapport. Des affaires qui ont permis aux climato-sceptiques, qui nient le réchauffement ou, pour le moins, ses causes anthropiques, de se faire entendre. Une dizaine d’enquêtes officielles ont été ouvertes. Mais aucune n’a confirmé les soupçons. Des manquements organisationnels au sein du GIEC ont toutefois été soulignés.
Dans quel contexte cette première partie du cinquième rapport du GIEC sera-t-elle divulguée? Le point avec Thomas Stocker , climatologue à l’Université de Berne et coprésident du Groupe de travail 1.
Le Temps: Sur le plan scientifique, quelles sont les avancées par rapport au 4e rapport du GIEC?
Thomas Stocker: Elles touchent trois champs d’activité. Premièrement, les observations: nous avons une bien meilleure vision des phénomènes naturels qui se passent sur la Terre. Concernant les océans, notamment; en 2007, on connaissait mal la quantité de chaleur qu’ils absorbent. Et, dans le 4e rapport, la fonte de la banquise et des calottes polaires était uniquement mentionnée. Aujourd’hui, grâce aux mesures satellitaires, on peut mieux quantifier celle-ci. Le Groenland, par exemple, perd chaque année environ 200 milliards de tonnes d’eau – l’équivalent de la surface de la Suisse recouverte de 4,8 m de liquide! Cette fonte et celle de la calotte polaire antarctique sont responsables d’un tiers de l’augmentation du niveau des mers.
Le deuxième domaine est celui de la compréhension de ces phénomènes. Un exemple crucial: le rôle des nuages et des aérosols. Nous consacrerons un chapitre central à leur impact sur les systèmes climatiques. Cela ne veut pas dire que toutes les questions sont résolues, mais que nous progressons grandement dans la compréhension.
Enfin, troisième secteur clé: les projections, auxquelles se consacrent beaucoup plus de chercheurs. L’effort de modélisation est aujourd’hui 50 fois plus important qu’en 2007. Nous utilisons quatre nouveaux scénarios d’émission des gaz à effet de serre, et une soixantaine de modèles climatiques, avec une meilleure résolution. Bien sûr, en tenant compte des incertitudes, liées notamment aux décisions politiques potentielles. Nous allons émettre des projections pour ce siècle, mais aussi – et c’est une première – pour les deux suivants.
– Quel impact espérez-vous de ce 5e rapport?
– On espère toujours que cela changera la donne. Notre but n’est pas de faire la une des médias, mais de fournir la base scientifique, solide et absolument crédible pour les décisions à prendre aux niveaux national et international.
– La crédibilité absolue du GIEC, justement, a été mise à mal ces dernières années…
– Il faut insister sur le fait que l’erreur concernant les glaciers himalayens, qui relève la littérature «grise» [pas systématiquement relue par les pairs scientifiques], ne concernait pas les travaux du Groupe 1, qui se base, lui, entre 97 et 100%, sur des études validées par notre communauté, mais ceux du Groupe 2, qui tente d’évaluer les impacts environnementaux. Ce qui ne veut pas dire que des erreurs ne peuvent pas apparaître, dans des commentaires, des corrections, etc. C’est aussi comme cela que se fait la science, et c’est humain.
– D’aucuns ont toutefois critiqué le fait qu’il fut très ardu de corriger toute erreur détectée…
– Nous espérons avoir mis sur pied un meilleur système de révision. J’ai plaidé pour que les responsables de chaque chapitre consultent beaucoup plus largement les auteurs qui y ont contribué – il y a en a à chaque fois entre 50 et 100. Cela garantit un filtre beaucoup plus important. Et si, malgré tout, une erreur se glisse dans le texte, le protocole sera clair: nous publierons les errata sur notre site internet.
Par ailleurs, nous avons ouvert la possibilité à toute personne montrant qu’elle connaît bien les sciences du climat – donc vous aussi, comme journaliste! – de faire partie de notre pool d’experts relecteurs externes. Jusqu’aujourd’hui, après deux consultations au niveau mondial, nous avons reçu près de 53 000 commentaires des 1459 relecteurs.
– C’est précisément l’un deux, un blogueur nommé Alec Rawles, qui a publié, fin 2012 sur Internet, un brouillon de votre 5e rapport. Etait-ce donc une si bonne idée?
– Faire partie de ces experts ne contenait qu’une clause de confiance: respecter la confidentialité. Cette personne n’a simplement pas joué le jeu, qui plus est en diffusant un texte alors largement inachevé.
– Mais cela a eu pour effet de relancer la polémique climato-sceptique, Alec Rawles citant des passages indiquant que la cause du réchauffement serait liée aux cycles du Soleil.
– Le climato-scepticisme ne disparaîtra pas. Je préfère donc largement, sur 1459 experts, avoir 1458 personnes sérieuses et un «mouton noir», plutôt que restreindre drastiquement la révision du rapport. Cela dit, comme l’ont très vite souligné la majorité des climatologues dans les médias, ce type s’est rendu ridicule en extrayant une ou deux phrases de leur contexte.
– Mais le grand public n’a-t-il pas l’impression que le débat perdure? Et que faire pour en changer?
– La dissémination d’informations est désormais devenue un droit et un bien public – ce fut longtemps votre privilège à vous, journalistes, mais avec Internet ça ne l’est plus. La situation a complètement changé, elle permet à quiconque de dire au monde ce qu’il veut; et je tiens en plus haute estime la liberté de parole. Il faut vivre avec. Or, cela profite également à la communauté scientifique, qui peut contrer tout aussi rapidement.
Cela dit, je doute que des pseudo- «bombes médiatiques» comme le «climategate» fassent à nouveau leur effet. J’ai, par exemple, eu d’intéressantes conversations par courriels avec mes homologues sur le Freedom of Information Act [loi américaine pour la liberté d’information]. Et je sais que ces échanges ont aussi été piratés lors du «climategate». Je m’attendais, juste avant la Conférence sur le climat, à Doha, en décembre 2012, à ce qu’ils soient divulgués. Mais personne n’en a parlé. Même en Grande-Bretagne, où le terreau du climato-scepticisme est très fertile… En fait, c’étaient les mêmes polémiques, et c’eût été lassant aux yeux du public. Donc, je ne suis plus inquiet.
– Dès lors, qu’avez-vous tiré comme leçon(s) du «climategate»?
– Qu’il est crucial d’être totalement transparent. C’est pourquoi nous avons implémenté une mesure importante. Pour notre Atlas des projections climatiques régionales et globales,comme nous ne pouvons pas expliquer chaque détail à chaque climato-sceptiques individuellement, nous allons rendre publiques sur CD-rom les données ainsi que les méthodes statistiques qui ont servi à en constituer les graphiques. Bien sûr, nous n’avons pas pu contraindre les centres de recherches à livrer tous les codes de leurs modèles climatiques, dont le développement a parfois nécessité des millions de francs d’investissements. Mais de cette manière, quiconque peut se faire son avis.
Par ailleurs, nous savons que nous devons être davantage proactifs dans notre manière de communiquer. L’objectif des trois groupes du GIEC est de pouvoir trouver un consensus sur les faits scientifiques. Mais il est possible qu’une telle vision univoque ne soit pas immédiatement atteinte. Dans ce cas, il faut le dire. Et expliquer où l’information se trouve dans le rapport détaillé. Ceci afin que les messages succincts qui composent le Résumé à l’intention des décideurs [l’unique et très bref document que la majorité des politiciens et du public lira] puissent être mis en perspective et ne servent pas de base pour une contestation. Nous souhaitons, aussi, mieux communiquer auprès des journalistes pour expliquer comment ces imposants rapports sont générés.
– Mais pensez-vous que cela intéresse vraiment le grand public, que seuls les grandes lignes et messages forts, le plus souvent, atteignent?
– C’est un «paquet complet». Dans vos articles, il y aura les gros titres, et j’espère aussi les encadrés explicatifs. Je doute cependant que cela intéresse effectivement tout le monde; l’on ne peut pas non plus faire des miracles pour rendre toutes ces informations simplement digestibles.