Réinventer la roue! C’est ce que fait la société Venturi Space, qui a une antenne à Corminboeuf, près de Fribourg, en développant les roues qui équiperont le prochain rover américain à rejoindre la Lune fin 2025 à bord d’une mission privée. Car rouler sur notre satellite naturel, dans un environnement des plus hostiles, n’est pas une sinécure.
A Corminboeuf, dans la zone industrielle près de Fribourg, un bâtiment tout à fait banal. C’est pourtant là qu’est construite une roue révolutionnaire qui – la confirmation vient de tomber – partira vers le pôle Sud de la Lune fin 2025, à bord de l’alunisseur Griffin-1 de la société américaine Astrobotic. Le petit engin FLIP de la société Astrolab, avec ses roues « suisses », doit servir de démonstrateur roulant à 15km/h au moins sur le sol très meuble de la Lune.
La surface du satellite est parsemée de cailloux restés saillants à cause de l’absence de toute érosion, ce qui rend la navigation encore plus compliquée: « Pour garantir la mobilité des rovers sur la Lune, il faut une roue très fortement déformable », explique Antonio Delfino, cofondateur, CEO et directeur des Affaires spatiales de la société Venturi Space, qui a son antenne dans la banlieue fribourgeoise. « Cette déformabilité est assurée par la structure suivante », poursuit-il en montrant une roue au design inédit de 93 centimètres de diamètre: « des ressorts, qui retiennent 192 câbles, eux-mêmes liés à une partie externe rigide, mais qui permet souplesse et déformabilité de l’ensemble. »
Des roues déformables, un concept sur lequel d’autres équipes travaillent à travers le monde. Comme en Corée du Sud, où l’Institut de machinerie et des matériaux (KIMM) a mis au point une roue dont l’intérieur ressemble à un tissage de fils et de pièces de plastique, qui permet à des chaises roulantes de gravir des escaliers! Une invention décrite récemment dans la revue Science Robotics.
Un environnement hostile
Mais sur la Lune, l’environnement est bien plus hostile pour les matériaux que sur la Terre: vide spatial, rayons cosmiques délétères, écarts de températures extrêmes et néfastes (entre -240 degrés dans la nuit et +130 degrés dans les zones éclairées par le Soleil) sont autant de contraintes à prendre en compte dans la fabrication des roues.
Les scientifiques de Venturi Space ont cependant trouvé la parade, comme le décrit Milan Fedurco, cofondateur et responsable du Département physique et chimie chez Venturi Space: « Dans les réacteurs de nos laboratoires, on fabrique des matériaux hyper-élastiques pour les basses températures, qui sont des produits qu’on ne trouve nulle part ailleurs: on est aux limites de la science, car ce sont des nouvelles matières qu’on a découvertes chez nous. »
Un environnement hostile
Ces matériaux sont ensuite évalués à Payerne, où Venturi Space vient d’installer ses bancs de test des roues: d’abord une chambre thermique fabriquée pour l’occasion, qui reproduit le vide et la température spatiale. Mais aussi une « rouleuse »: un système qui permet de faire rouler et tester la roue comme si elle avançait sur de très longues distances: « Ce qu’on a appris avec les premiers tests, c’est que la roue a une très grande endurance. On a pu rouler plus de 5000 kilomètres sans voir de dégât notable », détaille l’ingénieur mécanicien Guillaume Kohler.
Ces résultats permettent à l’équipe d’ambitionner faire mieux que les rovers déployés il y a plus de 50 ans sur la Lune, qui furent finalement assez artisanaux, souligne Gerry Griffin, l’ancien directeur des missions Apollo de la NASA, joint au Texas: « J’applaudis toutes avancées technologiques. Les rovers Apollo étaient bien, mais soulevaient beaucoup, beaucoup de poussière lunaire abrasive. Ce nouveau design de roue va minimiser ce problème. Avec, au final, un véhicule qui sera certainement beaucoup plus opérationnel. »
Deux véhicules, plus précisément. Car après le petit démonstrateur FLIP et ses 500 kilos, il y aura FLEX, un engin plus grand, équipé des mêmes roues mais capable, lui, d’embarquer des humains. Il a déjà été testé dans le désert de Californie et devrait être lancé (sans équipage) sur la Lune avec la mission Artemis 3 en 2027 comme chargement privé d’une fusée SpaceX, contracté toujours par Astrobotic. Et si ces deux preuves de concept sont concluantes, la NASA pourrait bien choisir ce rover parmi les trois candidats restants, en vue de ses missions habitées dès les années 2030.