Sommes-nous vraiment seuls dans l’Univers? Une équation tente de quantifier les civilisations avancées potentiellement présentes dans la Voie lactée. Mais à quel point est-elle fiable? Car, depuis 50 ans, les scientifiques écoutent l’espace pour capter le moindre signal d’une vie extraterrestre. Et toujours rien
Un demi-siècle plus tard, N est toujours égal à 1! Au grand dam de Frank Drake et de son équation, qui décrit le nombre (N) de civilisations existant dans la Voie lactée. La seule répertoriée à ce jour reste… la nôtre. C’est le 8 avril 1960 que ce scientifique, dans la frénésie de la conquête spatiale, lance le projet Ozma en utilisant le télescope de 26 m de l’observatoire NRAO, à Green Bank, afin d’«écouter le ciel». Objectif: balayer le cosmos pour débusquer des signaux extraterrestres intelligents.
Depuis 50 ans, une centaine de programmes similaires ont été mis sur pied, d’abord dans la discrétion la plus stricte, enfin soutenus par la NASA. Le plus célèbre est SETI (pour Search for ExtraTerrestrial Intelligence); impliquant plusieurs institutions, il mène la traque avec une rigueur toute scientifique et des instruments de pointe, dont le Allen Telescope Array, un réseau de 42 antennes situé en Californie. Le tout en se départissant des visions parfois loufoques des ufologues, et en faisant participer le public: l’interface SETI@home propose à tout un chacun de mettre à disposition la puissance de son ordinateur pour aider au tri des données recueillies.
Que vaut aujourd’hui l’équation de Drake, qui aurait été proposée en 1961 comme une boutade à l’heure du café? Que dit chacun de ses termes à l’aune des dernières avancées scientifiques? Décryptage.
Taux de formation de «soleils» dans la galaxie?
«Ce chiffre peut être bien estimé», dit Didiez Queloz, de l’Observatoire de Genève. Il y a 100 à 300 milliards d’étoiles dans la Voie lactée, qui se sont créées en 13,7 milliards d’années (l’âge de l’Univers). Frank Drake arriva donc, par division, à un taux de 10 par an. En 2006, la NASA a fait des calculs, et obtenu 7.
Fraction des étoiles qui sont accompagnées de planètes
Là aussi, la recherche a avancé. Depuis la découverte de la première exoplanète en 1995 par Didier Queloz et Michel Mayor, les astronomes ont repéré 443 planètes orbitant autour d’étoiles autres que notre Soleil. «Et des planètes de tous types, chaudes, froides, rocheuses, gazeuses, proches ou éloignées de leur soleil», précise Didier Queloz. Qui ne doute pas que «presque 100% des étoiles sont accompagnées de planètes». Son collègue Stéphane Udry se veut plus prudent: en octobre 2009, il plaçait ce taux à 40%.
Nombre de planètes situées dans la «zone habitable»
Depuis avril 2009, l’on sait qu’il existe au moins une planète – tournant autour de l’étoile Gliese 581 située à 20,5 années-lumière – qui se trouve dans la zone «habitable», soit le périmètre de l’étoile-hôte où les conditions permettent la présence d’eau liquide en surface. Cette zone «couvre environ 5% du disque dans lequel se trouve tout système planétaire», dit Didier Queloz, qui estime que ce terme vaut entre 5 et 10%.
Lancé au printemps 2009, le télescope spatial américain Kepler est parti à la chasse aux «super-Terres», et devrait permettre de bientôt mieux répondre à cette question.
Pourcentage de planètes sur lesquelles la vie est née
C’est à partir de là que les choses se compliquent… Pour Didier Queloz, «en faisant abstraction du fonctionnement même de la vie – c’est le domaine de l’exobiologie –, on se dit qu’il n’y a pas de raison pour qu’il n’y ait pas de vie ailleurs dans l’Univers. La vie sur Terre est apparue très tôt dans l’histoire de la planète, ce qui tend à faire penser que c’est un processus simple et rapide.»
Pas si vite, rétorque Louis d’Hendecourt, astrochimiste à l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay (France), dans la revue Ciel & Espace : «Les ingrédients prébiotiques (carbone, molécules organiques, acides aminés, etc.) ont été largement identifiés dans des objets naturels extraterrestres (milieu interstellaire, comète, météorite). Toutefois, l’importance des conditions initiales et surtout de la sensibilité à ces conditions, un paramètre décisif dans les phénomènes non linéaires probablement liés à l’émergence des systèmes autoréplicatifs, n’est absolument pas comprise, parce que ces conditions initiales ne nous sont pas accessibles.» Et de rappeler qu’il n’y a pour l’heure même pas de consensus pour expliquer l’apparition biochimique de la vie sur Terre.
En mars dans le magazine Physics World , l’astrobiologiste Paul Davies (Université de l’Arizona) expose son idée: «Si la vie est vraiment amenée à «exploser» sur des planètes similaires à la Terre, il n’y pas meilleur astre que notre planète – justement – pour vérifier si la vie n’y serait pas née… deux fois!» A ce jour, les scientifiques ont découvert divers extrémophiles – des organismes vivant dans des conditions très salées ou acides par exemple. Mais tous peuvent être rattachés au même «arbre de la vie», le nôtre. «Parce que les biologistes ont customisé leurs techniques pour traquer la vie standard, ils ont pu ne pas remarquer des microbes vivant d’une biochimie radicalement différente», justifie Paul Davies. Or montrer que la vie pourrait naître de deux manières disjointes appuierait l’argument ubiquitaire de Didier Queloz.
Autre espoir: celui d’analyser à distance l’atmosphère d’exoplanètes et y trouver des signatures de la vie (oxygène, ozone, etc.) dans son spectre lumineux. Une première analyse directe de ce type a été testée en janvier, sur une exoplanète située à 130 années-lumière dont on sait toutefois qu’elle n’abrite pas la vie (il fait 800°C à sa surface!).
Pourcentage de planètes sur lesquelles une vie intelligente s’est développée
Premier argument: sur Terre, une seule espèce, sur quelque 50 milliards, s’est développée de manière à communiquer vers l’extérieur de la biosphère (à l’aide d’ondes électromagnétiques): l’homme. Le facteur fi serait donc très réduit. Mais la réflexion se base surtout autour du célèbre paradoxe de Fermi: si aucune autre forme de vie extraterrestre intelligente n’a été détectée, c’est tout simplement parce que celle-ci n’existe pas! «Il suffit de constater l’accélération fantastique des progrès scientifiques», éclaire Louis d’Hendecourt, mentionnant la conquête spatiale alors que l’aviation n’est vieille que d’un siècle. «La colonisation de la Galaxie semble être donc, une fois notre intelligence acquise, une échéance de quelques millions d’années.» Ainsi, «il est difficile d’imaginer qu’une autre forme de vie intelligente n’ait pas encore essaimé dans la Voie lactée», dit Didier Queloz. Toutefois, «il a fallu des milliers d’années à l’humain pour se rendre compte que ses proches voisins, les singes, avaient aussi une organisation sociale, esquinte le sociologue des sciences Pierre Lagrange. Comment peut-on donc prétendre pouvoir reconnaître une civilisation intelligente ailleurs?»
Fraction des civilisations intéressées par une com munication interstellaire «Wow!» C’est ce qu’écrit le 15 août 1977 un astrophysicien du radiotélescope américain The Big Ear en marge d’un signal imprimé sur papier. Celui-ci a duré 72 secondes, mais n’a été détecté qu’une fois. Ni sa nature ni son origine ne sont connues. Mais c’est plus ou moins le seul capté en provenance du ciel. «Le problème, explique Pierre Lagrange, c’est qu’on cherche des signaux classiques avec notre science habituelle. En fait, le saut dans la réflexion doit être qualitatif, car on ne sait tout simplement pas quelle forme peuvent prendre les données sur lesquelles il faut raisonner.» Certains scientifiques théorisent sur d’éventuels autres vecteurs de communication, comme les ondes gravitationnelles, qui plisseraient l’espace-temps, ou des particules ultra-énergétiques. Et le sociologue d’ajouter que – pourquoi pas – «une forme de vie ou communication extraterrestre est déjà présente parmi nous, sans qu’on puisse la voir…»
L’exobiologiste vaudois Claude-Alain Roten voit les choses autrement, et se réfère à l’«hypothèse du zoo»: «Il y a peut-être déjà un tel décalage entre d’autres civilisations intergalactiques et nous que ces dernières nous regardent comme nous observons des animaux enfermés. Elles se disent qu’elles ne vont pas déranger une forme de vie primitive (nous) qui doit encore évoluer en lui envoyant des signaux…»
Durée de vie d’une civilisation technologique
Ce terme influe sur le précédent: à l’échelle temporelle de l’Univers, une civilisation extraterrestre, aussi communicative soit-elle, peut avoir disparu avant que la nôtre éclose. «L’équation a aussi été postulée en pleine Guerre froide, les deux camps possédant l’arme nucléaire susceptible de détruire le monde», rappelle Didier Queloz, qui place la limite à 50 millions d’années (!), en raison de la fréquence moyenne des cataclysmes astrophysiques.
Au final, selon l’astronome genevois, «l’équation de Drake est scientifiquement très mauvaise, tant ses paramètres sont hétéroclites. Mais elle reste utile pour se poser des questions philosophiques.» Quant à Giuseppe Cocconi et Philipp Morrison, qui avaient proposé cette traque systématique en 1959 dans un article de Nature, ils concluaient simplement que «si l’on ne se met pas à chercher, la chance de trouver quelque chose est, de facto, nulle!»