Le Swiss Space Office et l’Agence spatiale européenne veulent développer les applications intégrées découlant de l’utilisation croisée de différents satellites (géolocalisation, télécommunications, observation de la Terre). Traque au trafic de drogue, surveillance de prisonniers, suivi des glissement de terrains: plusieurs projets ont déjà été lancés.
En Suisse, les bracelets électroniques permettant de surveiller les déplacements des prisonniers assignés à résidence devraient être équipés, dès 2015, d’un GPS de localisation, dont ils sont dépourvus pour l’heure. Les Chambres fédérales évaluent cette modification du Code pénal. Si elle est validée, la start-up Geosatis, lancée à l’EPFL il y a trois ans, sera au premier rang des entreprises intéressées puisqu’elle a imaginé un tel système 100% suisse.
Cette société y est parvenue au travers d’un programme dont l’objectif est l’utilisation de technologies satellitaires pour le développement de services. Une initiative baptisée Integrated Applications Promotion (IAP) et développée en Suisse en 2012 par le Swiss Space Office (SSO) et l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette dernière vient d’ailleurs de signer un contrat de 250 000 euros avec Geosatis «pour intégrer au bracelet les signaux de géolocalisation du futur système européen Galileo ainsi que les cartes géographiques de l’ESA plutôt que celles de Google», précise son directeur, José Demetrio.
Ce succès est la preuve du bien-fondé du programme IAP, se réjouit José Achache, directeur d’AP-Swiss, la structure chargée de faire connaître cette initiative en Suisse. Le responsable participait d’ailleurs précisément dans ce but à la conférence Lift14 à Genève jeudi dernier.
«Il y a cinq ans, l’ESA s’est dit qu’il fallait combiner les technologies satellitaires principales – observation scientifique de la Terre, télécommunications, géolocalisation – pour développer des applications intégrées», dit José Achache. L’agence a alors lancé un programme optionnel, auquel peuvent ou non participer les pays membres de l’ESA, en sus de leur participation aux programmes «obligatoires» consacrés surtout à la science. Pour l’ESA, en ces temps de crise, l’intérêt est de montrer ses intentions vertueuses, au-delà de la recherche scientifique pure et des lanceurs et infrastructures spatiales nécessaires pour la mener, de permettre le développement de l’économie avec des applications industrielles. «Nombreux sont ceux qui pensent que, si l’on agit ainsi, les gouvernements qui financent l’ESA seront davantage enclins à continuer à le faire», glisse José Achache.
Or en Suisse, qui copréside le Conseil de l’ESA, la volonté a été affichée de faire du spatial un moteur de croissance. «Ces applications intégrées liées aux satellites recèlent des opportunités pour de nouveaux marchés», dit Daniel Neuenschwander, directeur du SSO à Berne. Mais «il y a ici, pour des raisons culturelles, un manque de capacité à générer des initiatives entrepreneuriales dans le domaine du spatial», analyse Daria Lopez-Alegria, de la société de consulting S2B | Space Bridges & Science Bridges, basée à Genève, et qui veut favoriser les ponts commerciaux, scientifiques et politiques entre acteurs internationaux.
En 2012, la Suisse a donc versé 5 millions de francs au pot commun de l’ESA pour le programme IAP, et ouvert un appel d’offres aux entreprises pour proposer des projets. «L’intérêt de le faire à travers l’ESA est d’intégrer un marché de collaboration européen davantage susceptible de faire aboutir les projets», dit le directeur d’AP-Swiss, nommé «ambassadeur IAP» en Suisse. Et de présenter quelques exemples.
A Zoug, la société DFRC, comme Geosatis, tire profit de techniques GPS d’analyse de trajectoire pour traquer non pas les condamnés mais, dans le cadre du projet SeaSearch, les navires marchands voguant à travers le globe. Cette technologie intéresse aussi les services douaniers dans la lutte contre le trafic de drogue ou de migrants: un bateau faisant des allers-retours entre l’Afrique et l’Europe tout en restant dans les eaux internationales ne commet aucun délit, mais est suspect; il est probable qu’une autre embarcation vienne chercher la cargaison. Des va-et-vient qui peuvent être repérés à l’aide des satellites.
L’imagerie satellitaire, c’est aussi l’une des ressources utilisées par la société tessinoise Sarmap, impliquée dans TransparentForests, l’un des premiers projets du programme IAP. L’idée est de pouvoir vérifier d’où provient le bois labellisé FSC issu d’exploitations supposément durables. Car le sont-elles vraiment? Des images prises depuis l’espace devraient aider à le savoir.
D’autres initiatives concernent une meilleure prévision des avalanches par une analyse du terrain et du manteau neigeux par des satellites; utile surtout dans les régions où les stations de mesure au sol sont trop éparses – c’est le projet AAF, dont font partie l’Institut WSL à Davos et la firme bernoise Gamma RS. Ou encore, une aide au déminage, avec le projet Safedem géré par la Foundation for Mine Action, à Genève: «Avant d’envoyer des démineurs faire leur travail, l’intérêt est de pouvoir observer, grâce aux satellites, là où le sol a été remué et si besoin d’y dépêcher des drones d’abord», dit José Achache, qui ajoute que «les engins téléguidés couplés aux technologies satellitaires sont un marché qui va exploser».
Encore? Deux des projets soumis tirent profit de la technique de l’interférométrie différentielle radar couplée au GPS: en comparant des images radars satellites d’une même région, l’on peut repérer le déplacement du terrain à l’échelle du centimètre sur de vastes surfaces. De quoi scruter le glissement de routes construites sur les flancs de montagne (projet Matist) ou la stabilité des sols autour des barrages hydroélectriques et des pompages d’eau en Jordanie (projet Isteria).
José Achache se dit satisfait de voir qu’«une dizaine de projets sont lancés, dont certains déjà solides». «Grâce à ce programme, nous avons accédé au marché européen pour commercialiser notre bracelet sécuritaire, dit José Demetrio. Nous approchons les gouvernements des pays voisins; la Belgique est très intéressée. Ce d’autant que notre système de sécurité est entièrement européen»; les concurrents de Geosatis sont américains ou israéliens.
Pour José Achache, le secteur des applications satellitaires est vaste et prometteur. Les principaux contributeurs au programme IAP sont les Britanniques (30 millions d’euros) et les Italiens (15 millions): «Ces pays veulent devenir leaders dans ce domaine. Les Anglais ont même lancé, en parallèle à l’IAP, leur propre incubateur d’entreprises, le Space Applications Catapult, soutenu avec 30 millions de livres. La bonne nouvelle est que la Suisse réfléchit à faire la même chose!»
Daria Lopez-Alegria souligne positivement cet essor, mais tempère: en Suisse, «il est crucial que ces actions soient coordonnées avec tout ce qui se fait d’autre dans le domaine spatial, par exemple au Swiss Space Center basé à l’EPFL ou au Group on Earth Observations. Ce secteur n’est pas assez vaste pour que chacun agisse dans son coin ou tire la couverture à soi. Il faut fédérer l’ensemble des activités spatiales, politiques, industrielles et académiques.» Pour José Achache, le programme IAP se veut complémentaire aux activités plus larges et fondamentales du Swiss Space Center. Et, pour la question de la coordination, de renvoyer au SSO.
Son directeur, Daniel Neuenschwander, rappelle justement que «ce sont les infrastructures qui doivent suivre la stratégie nationale liée au spatial, et non l’inverse. Or cette dernière a été revue et est en train d’être implémentée.» Le Swiss Space Implementation Plan pour les années 2014-2023, qui définit les priorités, a en effet été validé le 13 décembre 2013.