La découverte de la célèbre particule serait sur le point d’être annoncée, ce qui constituerait l’un des plus grands moments de la science depuis un demi-siècle. Le CERN a convoqué l’ensemble des physiciens ainsi que la presse à un colloque le 4 juillet
La partie de cache-cache – qui aura duré 48 ans! – semble terminée. Les physiciens seraient sur le point d’annoncer la découverte de leur Graal: le boson de Higgs. Même au paradis – qui sait –, on attend des révélations sur celle que le physicien Leon Lederman avait malicieusement nommée «la particule de Dieu», parce qu’elle serait la pièce manquante pour expliquer le fonctionnement de l’Univers. Si tel est le cas, cela constituerait l’un des événements les plus importants de la science de ces 50 dernières années.
Rumeur ou vérité? Le CERN a convoqué le 4 juillet ses milliers de physiciens à un grand raout pour parler des ultimes avancées. Ceci juste avant l’ICHEP, leur grand-messe bisannuelle, du 4 au 11 juillet à Melbourne. Une invitation qui a mis le feu aux poudres des blogs. Sur l’un des plus connus, NotEvenWrong, son auteur, le mathématicien Peter Woit, écrit: «Le message est clair: il y a là [dans les données], quelque chose qui ressemble au Higgs!»
Des travaux convergents réalisés par les Belges François Englert et Robert Brout, d’un côté, et l’Ecossais Peter Higgs, de l’autre, la communauté des physiciens n’a gardé que le nom de ce dernier pour nommer les éléments de leur théorie proposée en 1964: tout l’espace serait rempli d’un «champ» qui, lorsqu’il est traversé par des particules, leur donnerait leur masse. Explications?
Une bonne métaphore est celle d’un hall rempli uniformément par des invités, symbolisant ce «champ de Higgs». Entre alors une célébrité, symbolisant une particule: tous les convives se rapprochent d’elle, rendant sa progression plus difficile, et l’alourdissent en quelque sorte. De même, chaque particule (proton, électron, etc.) acquiert sa masse propre lorsqu’elle se trouve dans le champ de Higgs et interagit avec lui.
A ce champ de Higgs, les physiciens ont associé une particule, le «boson de Higgs». Replongeons dans cette pièce: cette fois, ce n’est plus une personne qui y pénètre mais une rumeur qui y est répandue. Les hôtes se groupent pour l’entendre et la propager, formant une grappe massive qui semble se mouvoir. C’est à l’image de ce conglomérat que les physiciens décrivent le «boson de Higgs»: une particule virtuelle qui serait le vecteur, comme la rumeur, de ce qui explique la masse.
Cette particule est la brique cruciale qui fait défaut au Modèle standard, la théorie la plus aboutie pour décrire la matière et les forces qui nous entourent, tel l’électromagnétisme. Sa masse serait très grande, si bien que les physiciens n’ont longtemps pas eu d’instrument assez puissant pour la débusquer. Jusqu’à l’achèvement du Grand collisionneur de hadrons (LHC), au CERN, en 2008. Le principe? Faire entrer en collision frontale des protons à des énergies faramineuses, et espérer détecter dans ces feux d’artifice de désintégrations successives, à l’aide de détecteurs aussi grands que des cathédrales de technologie (nommés ATLAS et CMS), des traces du furtif boson.
«La tâche n’est pas simple, dit Rolf Heuer, directeur général du CERN. C’est comme de vouloir voir un flocon de neige à la forme bien précise tombant au milieu d’une tempête, et en ayant comme fond d’image une plaine recouverte d’un manteau blanc… Tout est question de calibration parfaite des détecteurs, de finesse des mesures, etc.» Cela posé, il se réjouit car «la machine fonctionne au-delà de nos espérances.»
Ainsi, en décembre 2011, les équipes des deux expériences ATLAS et CMS annonçaient avoir vu, chacun de leur côté, l’ombre d’un «Higgs» pesant respectivement autour de 124 et 126 giga-électronvolts (ou GeV, l’unité de masse utilisée par les physiciens), soit environ 125 fois plus qu’un proton. Gros souci: l’incertitude sur les mesures restait grande, de «3 sigma» disent les physiciens. Il y avait en effet une chance sur mille que les signaux repérés correspondent à du bruit de fond, autrement dit ne valent encore rien aux yeux des scientifiques. Pour pouvoir vraiment parler de «découverte», il faut que cette incertitude soit au plus de 5 sigma, soit d’une (mal) chance sur 3,5 millions. Et pour cela, il s’agissait d’acquérir encore plus de données de base.
«Or, depuis la relance du LHC en mars 2012, et jusqu’au 18 juin, nous en avons collecté deux fois plus, issues de quelque 700 000 milliards de collisions, que durant tout 2011, dit Fabiola Gianotti, porte-parole de l’équipe d’ATLAS. Nous travaillons jour et nuit pour les analyser avant la conférence ICHEP.» Et du côté de CMS, bien sûr, on fait pareil.
Les deux groupes comportant plusieurs milliers de physiciens, les fuites sont inévitables. Peter Woit prétend sur son blog en avoir profité: «Des rapports des expériences indiquent qu’au moins l’une d’elles, sinon les deux, va atteindre la limite significative des 5 sigma avec les données de 2011 et de 2012. Ce sera définitivement l’annonce de la découverte du Higgs. Et la fête chez les physiciens.» Ce d’autant que Rolf Heuer indique sur le site du CERN que «suite à des analyses affinées des données 2011, les indices annoncés en décembre persistent…»
Un autre blogueur, Philip Gibbs, écrit lui sur viXra log : «Les dernières rumeurs suggèrent que des mesures à 4 sigma ont été atteintes des deux côtés. Combiner ces deux résultats devrait être assez pour franchir la limite des 5 sigma.»
«Ce qui se dit sur les blogs n’est pour le moment qu’une plaisanterie», assène Joe Incandela, porte-parole de l’équipe CMS. «Ces assertions n’ont très souvent pas été validées par tous les membres du groupe, et ne sont pas assez solides», abonde Rolf Heuer, qui considère qu’en ce moment les physiciens doivent la jouer comme les footballeurs: «Il y a des tactiques qui doivent n’être discutées que dans l’intimité du vestiaire, pas devant tout le stade.»
«Lorsqu’il y aura une découverte importante, nous en discuterons d’abord avec l’autre groupe ainsi qu’avec le directeur, pour tomber sur une déclaration cohérente. Un jour, cela se fera. Mais nous n’en sommes pas encore là», disait mardi soir Fabiola Gianotti. Et d’ajouter: «Il ne faut pas que les deux groupes se consultent trop vite, sous peine de s’influencer mutuellement.» Avant, tout de même, de promettre, «avec les données magnifiques glanées en 2012, des choses très intéressantes».
Philip Gibbs pense ainsi que les choses sérieuses se précisent: «En décembre 2011, Rolf Heuer avait déclaré qu’aucune réelle découverte ne serait faite. Rien de tel n’a été déclaré cette fois. Par ailleurs, une raison possible pour expliquer l’organisation du colloque du 4 juillet au CERN est que le directeur souhaite que l’annonce soit faite là où les équipes ont généré ces résultats, et pas en Australie, un Etat qui n’est pas membre du CERN.»
L’intéressé l’assurait vendredi dernier: «Vraiment, je ne sais pas encore ce qui va être dit.» Parierait-il sur une découverte du Higgs? «Je suis comme les gens du sud de l’Allemagne: je ne parie que si je suis sûr… En fait, je ne le fais jamais sur la science, monde en évolution constante.» D’autres n’hésitent par contre pas à miser tous leurs kopecks. Des bookmakers anglais proposent régulièrement de parier sur la capture du Higgs avant fin 2012; à l’été 2011, chez Paddy Power, les chances de gain étaient encore à 12 contre 1. Au vu des annonces faites cette même année, la cote ne cesse de baisser…