La start-up israélo-américaine veut imposer la voiture électrique sur un pays entier, Israël. Ceci à l’aide d’un système inédit d’échange de batteries aussi bref qu’un plein d’essence. Une première station a été inaugurée le 23 mars 2011 non loin de Tel-Aviv. Visite.
En silence, la voiture – une Renault FluenceZE – s’avance sur la rampe. Ses roues avant se coincent sur des rouleaux. Sous elle, une trappe s’ouvre. Dans un cliquetis mécanique, un robot vient décrocher la batterie de 250 kg de son châssis, et la remplace; l’opération, suivie sur des écrans attenants, dure moins de quatre minutes. Moins qu’il n’en faut pour faire un plein d’essence. Applaudissements.
A Kiryat Ekron, au sud de Tel-Aviv, la première station d’échange de batteries pour voitures électriques a été inaugurée le 23 mars par les dirigeants de la start-up israélo-américaine BetterPlace. Et Shai Agassi, son fondateur, de déclarer fièrement, après avoir levé 700 millions de dollars auprès d’investisseurs: «Il y a trois ans, ce n’était qu’une promesse. Désormais, notre solution est concrétisée, en partenariat avec Renault. Nous sommes prêts à la déployer.» Les premiers utilisateurs devraient en profiter d’ici fin 2011. La solution? Libérer le monde de l’automobile de sa dépendance au pétrole et réduire les émissions de gaz à effet de serre en favorisant l’adoption massive de véhicules électriques. Avec un modèle inédit.
La limite des voitures électriques est leur autonomie, environ 150 km. Et comme la recharge des batteries prend des heures, il restait difficile de convaincre les utilisateurs effectuant de longues distances des bienfaits de ces véhicules propres. «Mais en installant un maillage dense de stations d’échange de batteries, cette limite saute», dit Moshe Kaplinsky, directeur de BetterPlace Israël. Une quarantaine seront construites dans l’Etat hébreu d’ici à neuf mois. La technologie a été testée au Japon, sur une flotte de taxis électriques: «Nous avons effectué 40 000 changements de batteries en six mois», dit Tal Agassi, responsable du développement des infrastructures.
A cela s’ajoutera un réseau de dizaines de milliers de bornes, séparées au plus de 40 km, sur lesquelles l’utilisateur rechargera sa voiture le temps d’aller faire des courses, au cinéma ou au travail. Mille ont déjà été installées. Une borne privée sera aussi posée au domicile de chaque propriétaire de ce type de véhicules.
Ceux-ci, d’ailleurs, n’acquerront que la voiture, et non la batterie. «Cette dernière sera «louée» dans le cadre d’un abonnement qui verra le conducteur acheter des kilomètres à parcourir, et non des kWh d’électricité», détaille Shai Agassi. A la manière des offres de téléphonie mobile, qui voient les consommateurs payer des minutes de conversation tout en recevant presque gratuitement le téléphone idoine.
Pour Michael Bielmann, expert en mobilité propre à l’EMPA de Dübendorf, «le système d’échange permet de contourner nombre de problèmes. Vu que l’utilisateur n’est pas propriétaire de la batterie, il ne craint pas ainsi, lors de l’échange, d’en recevoir une de moindre qualité». Le spécialiste se demande toutefois si l’installation du réseau de bornes s’avérera rentable: celles-ci coûtent chacune entre 1000 et 2000 francs, mais une recharge de quelques heures ne rapporte, au fournisseur d’électricité, que quelques francs. Si bien qu’il faut longtemps à l’exploitant avant de rentrer dans ses frais. Tout cela sans compter que l’autonomie des batteries diminue dans certaines conditions (utilisation du chauffage, de la climatisation, etc.), ce qui peut imposer de densifier encore davantage le réseau.
«Pour les investissements, nous comptons sur le soutien des gouvernements, rétorque Nicolas Remise, directeur des projets de voitures électriques chez Renault. Et il y a d’autres voies de financement possibles: des centres commerciaux pourraient acquérir ces bornes, car c’est un moyen d’attirer les clients qui ont une voiture électrique.» Et concernant l’autonomie? «Avec la FluenceZE, elle est de 185 km en conduite douce. Et lors d’un test, par 35 °C, en utilisant la climatisation, nous avons parcouru 182 km!» Avant d’admettre: «En conduite brusque, c’est plutôt 100 km».
Selon, Shai Agassi, la question des investissements doit se poser à l’aulne de l’ambition du projet: l’installation d’un réseau complet, comme en Israël, coûte autant (175 millions de dollars) qu’une seule semaine de consommation d’essence dans le pays…
Et quid des besoins accrus en électricité, qui provient parfois de centrales polluantes? «Sur le pays, la consommation n’augmentera que de 6 à 10%, qui plus est hors des pics quotidiens. Et nous miserons sur les énergies renouvelables, dont le solaire», dit le fondateur de BetterPlace, qui avance même: «Il est possible d’extraire totalement un pays de sa dépendance au pétrole, sans aucun impact sur le réseau électrique, pour autant que celui-ci soit géré avec un système [de production et de stockage de l’énergie] intelligent.» Les stations d’échange de batteries de BetterPlace pourraient d’ailleurs y contribuer.
Dès lors, l’homme d’affaires en est convaincu, sa société sera rentable d’ici deux ans. «Et d’ici 2015, nous atteindrons le point de bascule: une voiture commercialisée en Israël sur deux sera électrique.»
Pour l’heure, aucune n’a été vendue – 25 subissent des tests ces jours. Les véhicules, tous des FluenceZE, seront disponibles vers fin 2011, à un prix qui sera dévoilé sous peu. «Mais qui sera compétitif avec celui des voitures à essence», promet Agassi, qui annonce que des centaines de clients et 350 entreprises ont déjà manifesté leur intérêt.
Restent deux questions. «Les autres constructeurs suivront-ils, ce qui permettrait de changer vraiment d’échelle», se demande Michael Bielmann, pour qui rien n’est moins sûr. D’aucuns estiment que le système d’échange de batteries manquerait de robustesse.
«En 2008, dans le domaine des véhicules électriques, chacun a dû placer ses billes, et défend maintenant ses positions», justifie Shai Agassi. Chez Renault, «nous investissons 4 milliards d’euros, et 2000 ingénieurs dans ces projets, ajoute Kastumi Nakamura, vice-président exécutif. Nous sommes convaincus que c’est la solution. D’ici à 2020, un véhicule sur 10 sera électrique.
Et dans quelle mesure cette infrastructure est-elle transposable dans d’autres pays? BetterPlace va bientôt la tester au Danemark, où sont installées 19 stations d’échange. Le contrat avec Renault prévoit la livraison de 100 000 véhicules d’ici à 2016 dans ce pays et en Israël. Des projets sont aussi en route en Australie, au Canada ou à Hawaï. «Ailleurs, nous aurons besoin du soutien des gouvernements, redit Shai Agassi. Ceci par l’octroi de taxes favorables.» En Israël par exemple, les voitures électriques sont taxées à 10% seulement des modèles conventionnels. «Mais si nous montrons que notre projet est possible ici, il l’est partout.»
«Ces taxes sont toutefois importantes pour les gouvernements, car elles leur permettent de construire les infrastructures…», rappelle Michael Bielmann. Qui conclut: «Au final, c’est le client qui décidera…»