LE TEMPS || Dès le printemps 2012, le public pourra effectuer des vols en apesanteur simulée. A Cologne, Olivier Dessibourg a fait une virée à bord du seul aéronef européen apte à approcherles conditions d’absence de gravité régnant dans l’espace
«5… 3, 2, 1, pull up!» crachote le pilote. Brusquement, mes bras deviennent lourds. A travers le hublot, l’horizon bascule. Sur mes joues, ma peau s’affaisse, comme si je vieillissais d’une décennie à chaque seconde. Impossible de faire le moindre mouvement sans ressentir une résistance énorme. A ce moment-là, je subis presque «2 g», comme disent les passionnés d’aviation. Autrement dit, je pèse presque deux fois mon poids habituel. Je fixe un point, comme on me l’a conseillé, pour que mon système vestibulaire logé dans mon oreille et responsable de l’équilibre, n’envoie pas des ordres abracadabrants à mon cerveau et à mon estomac…
«Thirty», reprend le pilote dans un anglais teinté de l’accent du Sud-Ouest. Trente degrés, s’entend. L’avion s’incline de plus en plus, perd de la vitesse. «40… Injection!» Moteurs coupés. L’engin ne vole plus qu’à 370 km/h. A cette allure, en fait… il tombe. Et nous, avec, dedans! Petit haut-le-coeur, dans nos salopettes bleues. Pas celles des garagistes. Plutôt l’habit des astronautes (en herbe), le sigle de l’Agence spatiale allemande (DLR) griffé dans le dos.
Dans la cabine baignée d’une lumière laiteuse, exclamations de surprise et cris de joie. A l’image des bonzes dans Tintin au Tibet, mon corps s’élève du plancher où j’étais assis en tailleur. Extraordinaire sensation que cette simulation d’apesanteur. Je bats de mes bras sans plume: inutile, bien sûr. C’est uniquement en se poussant – ne serait-ce que d’un auriculaire – contre les parois, filets et sangles tendues dans la carlingue capitonnée que l’on peut se déplacer. Comme mes 40 autres compagnons d’aventure dans l’«a-peu-près-espace», je flotte dans l’air. Me retourne, culbute et gigote en totale liberté. Comme si j’évoluais sous l’eau, la résistance du liquide en moins. Autour de moi, Daniel Stämpfli, ancien leader de la Patrouille suisse, tourne en boule, à hauteur d’homme. «Gé-nial, u-nique», lâche simplement le pilote militaire qui, dans ses jets, en a pourtant vu d’autres… Dans le compartiment voisin, trois (vrais) astronautes, l’Italienne Samantha Cristoforetti, le Français Jean-François Clervoy et l’Allemand Alexander Gerst, se tenant par les mains, forment un cercle comme les parachutistes en chute libre, en souriant pour le photographe.
Exactement 22 secondes plus tard, tous les apprentis astronautes retombent un peu lourdement sur les matelas. D’un coup, le pilote vient de reprendre son aéronef en main, de remettre les gaz, une manÅ“uvre annulant toute apesanteur. Suit une nouvelle brève phase d’hypergravité à «2 g». Fin de la première parabole, et des premières bouffées d’adrénaline. «La prochaine dans 3 minutes!»
Jusque-là, cette expérience était réservée aux scientifiques désireux d’étudier, par exemple, le comportement de l’organisme humain en absence de gravité, en vue des futurs voyages interplanétaires. Voire aux politiciens et aux journalistes, à qui les agences spatiales souhaitaient montrer l’utilité de ce genre de travaux, comme durant ce week-end de mi-septembre lors des Journées de l’espace de la DLR, à Cologne. Depuis le printemps 2012, et pour la première fois en Europe, toutefois, ces «vols paraboliques» seront ouverts au grand public, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. La société Novespace, qui gère l’avion, est sur le point d’ouvrir son carnet d’inscriptions.
«Nous souhaitons permettre aux gens d’approcher les sensations physiques que ressentent les astronautes dans l’espace, de découvrir en quoi l’apesanteur est déterminante en recherche spatiale», explique Jean-François Clervoy, président de Novespace. Selon lui, les vols, à Bordeaux, contiendront une douzaine de paraboles de 22 secondes chacune, soit un peu plus de 4 minutes d’apesanteur au total. Aucune expérience scientifique à bord ne sera prévue. «Mais nous aurons des dispositifs ludiques mettant en évidences les effets de l’absence de gravité.» En prime toutefois, deux paraboles spéciales: l’une simulera la gravité régnant sur Mars, une autre celle que le capitaine Haddock et dès 1969 douze astronautes américains, tels des antilopes sauteuses, ont pu expérimenter sur la Lune.
Pourra s’inscrire pour ces vols toute personne adulte en santé, sans problème cardiaque et ne souffrant pas d’épilepsie. «Les participants devront réussir les mêmes contrôles médicaux que ceux qui préparent leur licence de pilote privé [pour avions de tourisme], indique le président. Nous voulons faire les choses en ordre.»
En ordre, l’avion le sera aussi. Il s’agit d’un «vieil» Airbus A300, prototype qui n’a pas été construit en série. Mais il n’est vieux que par sa date de construction, 1973: l’engin, qui a été renforcé, ne dénombre qu’environ 4000 heures au compteur, soit beaucoup moins qu’un avion de ligne. «Pour l’instant, comme il est encore considéré comme un prototype, chaque vol est encore… un vol d’essai, précise Jean-François Clervoy. Afin d’accueillir du public, nous devons obtenir le dernier feu vert des autorités compétentes»; des démarches en voie d’aboutissement. «Et aussi former notre équipage aux procédures d’urgence avec des passagers.»
Chaque vol accueillera 40 personnes. Il devrait y en avoir «entre huit et dix par an», selon Thierry Gharib, directeur général de Novespace, avec un premier décollage prévu durant le deuxième trimestre de 2012. L’Airbus ZERO-G subissant un très minutieux entretien après chaque vol, le billet pour une session reviendra «entre 4000 et 5000 euros», estime Thierry Gharib, qui indique que le marché potentiel pour ce genre d’aventure est difficile à évaluer. «Avec ce montant, les participants compenseront leurs émissions de CO2, ajoute Jean-François Clervoy. Ils contribueront aussi à financer une fondation de soutien à la recherche spatiale.»
Cette offre de voler dans l’«a-peu-près-espace» tombe d’ailleurs à une période où la conquête spatiale habitée subit des turbulences. Les Etats-Unis ont garé leurs navettes, la Russie a des soucis avec son lanceur Soyouz, les Européens dépendant de ces deux puissances, seuls les Chinois avancent, qui viennent de lancer le premier module de leur station spatiale «Palais céleste». S’agit-il là d’un moyen de maintenir l’attention sur le cosmos? «Il y a deux idées reçues au sujet du spatial, répond Jean-François Clervoy: la première que c’est un domaine très onéreux, la deuxième qu’il ne sert à rien. Or le budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) revient à un euro par habitant dans les pays membres», dont la Suisse. «Par ailleurs, 95% des fonds servent à payer les salaires d’ingénieurs et de scientifiques qui ne font qu’augmenter les savoirs. Les retombées ne sont parfois pas directes, mais elles sont toujours présentes, sur l’économie, les sciences des matériaux, les sciences de la vie. Le spatial fait donc partie de la société de la connaissance dont l’Europe, et notre monde moderne, se prévaut.»
En attendant les autorisations finales, Novespace cherche un intermédiaire pour commercialiser ces «vols paraboliques». Les personnes intéressées peuvent se préinscrire sur www.novespace.fr, onglet «@contact».
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