Max-Olivier Bourcoud a fondé, il y a pile 10 ans, la Swiss Cetacean Society, pour protéger les mammifères marins. Ce Lausannois a anticipé l’actuelle vague pro-environnementale en mêlant écovolontariat et passion pour la mer
Sous l’eau. «Face à face avec une baleine. Quand l’animal majestueux, de son œil lilliputien, se demande ce qu’est cet appendice qui gigote autour de la coque. Voilà l’un des meilleurs moments de ces dix ans!» En deux phrases, il vous entraîne au large, dans le sillon du Nautilus, du rafiot de Moby Dick ou de la Calypso.
Dans son imper impeccable, souliers parfaitement cirés et montre en étain, Max-Olivier Bourcoud a pourtant plus du chef d’entreprise aguerri aux rendez-vous médiatiques que du capitaine au long cours à la peau burinée. Si la mer a pris ce Lausannois de 46 ans, du moins son temps et son énergie, il ne renie pas sa formation en sciences politiques. «C’est là que j’ai commencé à prêter ma voix aux cétacés.» Voilà juste dix ans que celle-ci résonne dans le mégaphone qu’est la Swiss Cetacean Society, l’ONG vouée à la protection des mammifères marins qu’il a créée en 1997.
«On nous prenait pour des hurluberlus»
«Je devais choisir un thème pour mon mémoire de maîtrise. J’ai opté pour un terrain connu: la mer. Pendant mon adolescence, je partais en vacances à Oualidia, au Maroc, d’où vient ma mère. Un endroit magnifique avec une lagune lovée entre des falaises. En deux décennies, j’ai vu se dégrader la qualité de l’eau et des plages, fléchir les stocks de poisson; j’ai découvert combien les océans, ces monstres pour moi imperturbables, s’avéraient en fait fragiles. Et je m’intéressais déjà aux dauphins.» Comme la Suisse venait d’adhérer, en 1979, à la Commission baleinière internationale (CBI), le sujet était tout trouvé.
«Je voulais étudier les enjeux, pour un pays sans côtes, d’en faire partie.» Mais les archives helvétiques ne sont pas aussi riches sur les cétacés que sur les vaches… «Par chance, à la Fondation Bellerive du prince Sadruddin Aga Khan, observatrice à la CBI, j’ai eu accès à des documents précieux. Après deux ans à disséquer ces archives, le prince m’a proposé d’être son conseiller en la matière.» Pour étoffer ses savoirs, le jeune licencié, qui vient de fonder avec son père une entreprise de conseils en vinification, consacre toutes ses vacances à aider des équipes de cétologues, en Angleterre, en Floride, à Hawaï.
«Petit à petit, je voulais aussi partager ce que je découvrais, ainsi que mes inquiétudes concernant la détérioration de l’environnement.» Ses amis à qui il raconte ses expériences lui demandent de l’accompagner. Porté par son esprit de militant forgé à Sciences Po, il fonde un groupe de travail, puis une antenne romande au sein de l’Association suisse de protection des cétacés (ASMS). «L’idée était de fournir des capacités logistiques à des chercheurs voulant mener des recherches sur les cétacés, mais manquant de moyens financiers. En 1997, le professeur Pierre Beaubrun, avec qui nous collaborons encore, devait par exemple naviguer en planche à voile pour étudier les orques, car il n’avait pas assez d’argent pour affréter un bateau…»
Sont alors organisés en Méditerranée les premiers séjours d’écovolontariat, les participants se mettant à disposition pour des expéditions scientifiques au grand large, ainsi que des visites dans les écoles. «Les profs nous invitaient pour parler des baleines. Nous en profitions pour dériver sur les fléaux qui menacent leur écosystème, certains trouvant leur source en Suisse dans les polluants qui se retrouvent tôt ou tard dans la mer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre pays a intégré la CBI. A l’époque, on nous prenait pour des hurluberlus à sonner des alarmes concernant l’environnement. Mais des hurluberlus sympathiques, puisque l’on parlait des cétacés.»
Dix ans plus tard, l’association romande, devenue la SCS, compte plus de 5000 sympathisants et une quarantaine de collaborateurs «de milice», répartis en six départements. Elle a organisé près de 200 expéditions en mer ayant impliqué plus d’un millier d’écovolontaires, qui ont permis d’observer 12 000 cétacés. Depuis peu, des ateliers de sensibilisations pour jeunes de 12 à 16 ans sont aussi mis sur pied: plus de 4000 jeunes y ont déjà participé. Et Max-Olivier Bourcoud ne compte plus ses interventions dans les médias: «Environ 200 articles, 40 passages à la radio, une vingtaine à la télévision…»
«Désormais, je n’ai plus l’air d’un original. Prendre mon bâton de pèlerin n’est plus vital. Un tsunami pro-environnemental attire aujourd’hui l’attention mieux que je ne pourrais le faire. La SCS peut se concentrer sur la sensibilisation sur le terrain, et la collecte de données scientifiques en mer.»
«Nous ne pouvons pas sauver toutes les baleines»
En dix ans, les menaces sur les cétacés se sont précisées. «La pollution marine constitue un danger imminent. Le dauphin du Yangzi est déjà considéré comme disparu. Les jours des bélugas sont comptés. Et la baleine de Biscaye devrait s’éteindre du temps de notre génération.» En Méditerranée aussi, les mille jours d’expédition organisés par la SCS portent leurs fruits. «On peut déterminer les régions en Méditerranée nord-occidentale où viennent se nourrir les cétacés en été. Nous les superposons aux cartes du trafic maritime, qui explose. Or certaines zones se chevauchent, et les collisions sont nombreuses. Nos données permettent de redessiner les routes de navigation.» Des démarches menées avec perspicacité: «Les compagnies de transport jouent souvent le jeu, car tout dégât sur un navire, suite à un impact avec un cétacé, peut entraîner des réparations coûteuses.»
Au fil des ans, Max-Olivier Bourcoud avoue ainsi avoir calmé sa fougue, et peaufiné ses stratégies d’actions, tout en apprenant à mieux gérer son ONG en parallèle à ses nouvelles activités professionnelles – enseignant à l’Ecole professionnelle de Lausanne et organisateur d’activités de «team-building» liées à l’environnement. «Je n’ai rien contre les coups d’éclat de Greenpeace; c’est aussi une façon de faire. Mais nous savons que nous ne pourrons pas sauver toutes les populations de cétacés. Nous ciblons donc nos missions.»
Et la chasse à la baleine? Max-Olivier Bourcoud se dit bien sûr révolté, mais précise: «C’est surtout le petit rorqual qui est touché. 1000 à 2000 par an. Mais les populations sont très importantes. Par rapport aux dégâts liés à la pollution, on peut presque dire que les impacts sont moindres…»
Le meilleur ami des cétacés est-il désabusé devant l’inertie dont fait preuve le public à mesurer l’ampleur réelle de ce genre d’atteintes à l’environnement? «Ce n’est pas ma nature. Les changements déterminants ne sont jamais nés d’une mobilisation immédiate de la majorité, mais parce qu’une minorité surtout était déterminée à agir. Ce qui me touche le plus, c’est que cette aventure naturaliste s’est muée en aventure humaine. Je me suis rapproché des hommes, fasciné par l’énergie et le temps qu’ils consacrent à la nature. Et j’ai toujours eu confiance dans le changement, d’où ma devise: Mobilis in mobile, mobile dans l’élément mobile.»
C’est, d’abord, la maxime du capitaine Nemo. Sous la chemise au col boutonné, le marin n’est jamais loin.