LE TEMPS || L’ATV, le véhicule de transfert automatique de l’Agence spatiale européenne, a été lancé hier avec succès. Avec lui, l’Europe entre dans la cour des grands de l’aventure spatiale.
«C’est LE lancement que toute l’Europe attendait!» Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), ne cachait pas sa satisfaction dimanche matin.
1h03, heure de la Guyane. Dans un boucan à faire tressaillir la forêt tropicale, le lanceur Ariane-5, tous moteurs allumés, fait brièvement se lever un jour factice dans le ciel pluvieux de Kourou. Dans sa coiffe, l’ATV. Ce vaisseau-cargo totalement automatisé est l’engin le plus complexe que l’ESA ait jamais développé. Il est parti pour ravitailler la Station spatiale internationale (ISS). «Depuis hier, l’Europe en est un partenaire incontournable!»
Baptisé «Jules Verne» en hommage à l’auteur des Voyages extraordinaires, ce module cylindrique pressurisé pèse 19,4 tonnes. Quelque 7,7 tonnes sont constituées de vivres et de matériel à livrer à l’ISS. Dix pays membres de l’ESA ont participé à sa construction, d’un coût de 1,3 milliard d’euros. La contribution suisse, sous forme de contrats attribués à des entreprises, se monte à 4,1% du total.
Bien plus qu’un semi-remorque, l’ATV (pour Automated Transfer Vehicle) est un véhicule d’une complexité extrême. «L’acheminer vers l’ISS n’a rien d’une partie de plaisir», dit John Ellwood, chef du projet. Chaque étape nécessite des capacités techniques que les ingénieurs ont dû développer, pour coller au scénario prévu (LT du 6.2.08). Ce dimanche, aucun grain de terre rouge de la Guyane n’est venu gripper la belle mécanique spatiale.
Peu après un décollage parfait – le bruit des tuyères a longtemps résonné dans la nuit -, il n’a fallu que trois minutes et demie à Ariane-5 pour sortir de l’atmosphère terrestre. Une heure plus tard, débarrassé de sa coiffe protectrice, le lanceur injectait l’ATV sur son orbite à 260 km, abandonnant en chemin les sections ayant assuré sa propulsion. Puis à 2h33, le déploiement réussi des quatre panneaux solaires assurait un succès total à ce début de mission.
Il faudra maintenant une douzaine de jours à l’ATV pour atteindre l’ISS, à 350 km d’altitude. Ou plutôt sa banlieue: l’engin se placera d’abord en attente à deux kilomètres de sa cible. Car demain doit s’envoler vers elle la navette Endeavour, avec à bord le module japonais Kibo. Une fois l’oiseau spatial de retour sur Terre, l’ATV et la station se lanceront dans un lent tango de rapprochements feints ou concrets, pour autant d’exercices démontrant les capacités du vaisseau. Et le 3 avril, celui-ci tentera son abordage final, dans une scène digne d’un film de James Bond. Il dirigera sa tête conique à la vitesse relative de 3 cm/s vers un orifice de l’ISS large de 80 cm en s’autoguidant notamment à l’aide de rayons laser. Perles de sueurs garanties.
«Grâce à ces propulseurs, l’ATV rehaussera l’orbite de la station spatiale, qui perd imperceptiblement de l’altitude au fil du temps», ajoute un John Ellwood heureux. C’est six mois plus tard que sa vie prendra fin. Vidé de sa cargaison, le cargo ravitailleur se muera en camion-poubelle. Et ira se désintégrer dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique.
Avec cette nouvelle réussite, après l’installation du laboratoire Columbus sur l’ISS le 11 février, le Vieux Continent consolide son rôle d’acteur majeur dans l’aventure spatiale. Daniel Sacotte, directeur des vols habités à l’ESA: «Avec le Centre spatial guyanais, l’Europe héberge le troisième site de lancement vers la station spatiale», les deux autres restant Cape Canaveral (Etats-Unis) et Baïkonour (Kazakhstan). «Et avec le centre de contrôle de Columbus à Oberpfaffenhofen, près de Munich, puis maintenant celui de l’ATV à Toulouse, l’ESA gère deux des quatre endroits stratégiques liés à l’activité de l’ISS.»
«Sans l’ATV, l’exploitation de la station spatiale n’aurait plus été possible après 2010 et le retrait des navettes américaines. Je suis donc convaincu que d’ici à 10 ans, nous obtiendrons des résultats scientifiques inédits réalisés en microgravité», insiste Jean-Jacques Dordain. Qui voit déjà plus loin: «Les technologies développées pour le «Jules Verne» depuis vingt ans, dont celle du rendez-vous dans l’espace, constituent les clés pour le futur de l’exploration humaine ou robotisée. En le dotant d’un bouclier thermique pour la rentrée dans l’atmosphère, cet engin pourrait aider à ramener sur Terre des échantillons, martiens par exemple. Modifié, il servirait aussi de laboratoire ou de mini-station spatiale.»
Et quid de l’idée de le transformer en lanceur habitable? «L’Europe doit, à terme, développer son propre système de transport spatial d’équipage. Mais, en tenant compte des contraintes budgétaires, les priorités de l’ESA portent aujourd’hui sur la recherche scientifique, la surveillance environnementale de la Terre, et la mise à disposition publique des services fournis par les satellites. Je doute que le Conseil des ministres européens sur l’espace décide en novembre de lancer l’ESA dans un développement de ses propres vols habités.» Au mieux ces politiciens avaliseront-ils des activités préparatoires. Pour l’heure, seule la construction de quatre autres ATV est acquise, qui s’envoleront tous les 18 mois dans le sillage du «Jules Verne.»
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