Pouvoir deviner où, mais surtout quand se produiront les tremblements de terre occupe des centaines de chercheurs. Deux études parues tout récemment dans la revue «Science» nourrissent le débat
Haïti, Nouvelle-Zélande, Japon: la question revient lors de chaque séisme majeur. Les scientifiques seront-ils capables, un jour, de prédire ces événements catastrophiques? A savoir ceux, de magnitude supérieure à 7, qui surviennent environ 18 fois par an? Même si, de l’avis général, on en est encore loin, deux études parues dans Science permettent de croire que cet objectif n’est plus impossible. Mais d’abord faut-il s’entendre sur le type de prédictions attendues.
Depuis la postulation de la théorie de la tectonique des plaques en 1967, les géophysiciens sont mieux à même de quantifier l’«aléa sismique», soit la probabilité qu’un lieu subisse un séisme dépassant une certaine intensité d’ici à un certain nombre d’années (sans dire à quel moment précis). Cela en se basant sur l’historique sismologique de l’endroit. Quoique certaines zones de friction géophysique restent encore mal connues. Au Japon par contre, l’activité de la faille sur laquelle se trouve l’archipel étant avérée, l’aléa sismique est très grand.
A l’opposé sur l’échelle temporelle, il est possible d’avertir la population d’une secousse géante quelques poignées de secondes avant que celle-ci ne survienne. Cela grâce à des systèmes d’alerte sismique. Le pays le plus en pointe, avec le Mexique, la Turquie et Taïwan, est… le Japon. L’idée? Une batterie de capteurs est déployée dans la zone à contrôler. Ils détectent les premiers frémissements d’un tremblement (les «ondes-P»), qui ont une petite longueur d’onde et font peu de dégâts. Ceux-ci sont suivis par les ondes secondaires (ondes-S), moins rapides mais plus destructrices. Entre les deux, un laps de temps de plusieurs secondes, souvent suffisant pour prendre des mesures urgentes (stopper un train, arrêter une centrale nucléaire, etc.).
Le pays du Soleil-Levant a inauguré son système en 2007. Après quelques «ratés», il s’est avéré efficace: en mars 2010, un séisme de magnitude 6,6 s’est produit au large des côtes. Le système d’alerte l’a annoncé à travers les médias, la chaîne de TV NHK interrompant un combat de sumos pour prier la population de se mettre à l’abri.
Toutefois, selon divers experts, ces systèmes sont encore dans leur phase de rodage; aucune alerte du séisme du 11 mars n’a été transmise à temps, selon des témoins. «Ces systèmes sont efficaces si l’épicentre est éloigné des zones sensibles, notait Ramon Arrowsmith, professeur de géologie à l’Université d’Arizona, lors d’un récent congrès en Californie. Mais si le séisme a lieu juste sous vos pieds, l’effet d’avertissement est quasi nul.» Par ailleurs, cette technologie nécessite d’installer des milliers de senseurs sur de larges aires géographiques. Difficile et cher. Ainsi la Californie hésite-t-elle à se doter d’un tel système.
Pour augmenter les capacités de prévention aux grands séismes, les scientifiques cherchent donc à les prédire des heures, voire des jours, à l’avance, en repérant toutes sortes d’«éléments précurseurs», des plus subtils aux plus farfelus parfois.
Ainsi, il a été postulé que le comportement de certains animaux pouvait être annonciateur d’un séisme. Par exemple, trois jours avant le tremblement de terre de L’Aquila (Italie), en avril 2009, les crapauds communs ont subitement cessé de s’accoupler, cela en pleine saison des amours, décrit Rachel Grant, biologiste à l’Open University (Angleterre), dans le Journal of Zoology de janvier 2010. Mais aucune de ces observations animalières n’a pu, au fil des ans, être suffisamment étayée et expliquée pour s’avérer conclusive.
Lors de la même catastrophe, un chercheur italien a ressorti une vieille théorie, en affirmant avoir prédit l’événement: juste avant les séismes, du radon serait détectable en grande quantité dans l’air. Ce gaz radioactif naturel se trouve enfoui en profondeur dans le sol. A l’approche du séisme, les frictions entre les roches, créant des fractures, permettraient sa remontée jusqu’à la surface. Mais cette technique de prédiction reste controversée, car il est difficile d’attribuer l’augmentation du radon uniquement à la survenue possible d’une secousse et non à des variations météorologiques. Les autorités italiennes n’ont d’ailleurs accordé que peu de crédit aux dires du scientifique.
Dans les années 1980, une méthode mise au point par trois chercheurs grecs, appelée VAN (d’après leurs noms, Varotsos, Alexopoulos et Nomicos), a consisté à mesurer des courants électriques naturels présents dans la terre. Ceux-ci changeraient juste avant les séismes, permettant d’établir un outil de prédiction. Mais leur origine reste un mystère. «On sait maintenant que cette méthode est sans fondement scientifique sérieux, déclarait en janvier 2010 dans Le Point Vincent Courtillod, directeur de l’Institut de physique du Globe à Paris. Car il a été montré que les prédictions VAN faites une certaine année avaient le même taux de succès l’année suivante, donc le même succès à peu près que des dés lancés au hasard!»
Pour augmenter les chances de viser juste, pourquoi ne pas recouper l’apparition de plusieurs de ces signes annonciateurs? C’est la démarche suivie par les spécialistes chinois dans les années 1970 déjà. Avec succès, puisqu’en 1975, près de Haicheng, plusieurs indices («gonflements» des sols, apparition de bulles dans les puits, anomalies de comportement chez des animaux, etc.) ont incité les autorités à évacuer la population, juste avant qu’un séisme de 7,3 ne se produise. Las. L’année suivante lors du tremblement de terre de Tangshan (7,6), la même méthode n’a pas permis d’éviter la mort de 250 000 personnes. Elle a donc été marginalisée.
L’un dans l’autre, les géophysiciens continuent pourtant les recherches, souvent largement soutenues dans les pays les plus à risques – dès 1965, le Japon a lancé un programme doté de 1 milliard de dollars. Ils se concentrent sur l’apparition de secousses primaires, sans pour autant savoir si elles sont en rapport avec le tremblement majeur, ou si même elles sont toujours présentes. Ainsi au Japon, plusieurs secousses, dont une de 7,2, se sont produites dès le 9 mars dernier dans la même zone.
Le 18 février 2011, un groupe du CNRS français a publié dans Science une étude qui pourrait faire date. Michel Bouchon et ses collègues turcs ont repassé à la loupe les données glanées lors du séisme d’Izmit (Turquie), l’un des mieux enregistrés au monde, qui a fait 17 000 morts en 1999. En utilisant de nouvelles techniques d’analyse, «nous avons observé plusieurs fois, durant les 44 minutes qui ont précédé l’événement, une même vibration de quelques secondes, explique le chercheur. Quasi continu, ce mouvement du sol est trop faible pour être ressenti par la population. Il a persisté jusqu’au séisme, tout en augmentant en intensité. Son analyse indique qu’il est causé par le glissement lent et saccadé de la faille au niveau de la zone où le séisme se déclenchera.» Reste à vérifier si la même signature est aussi présente dans les autres grands tremblements de terre. Le cas échéant, elle pourrait aider à prédire la rupture de la faille. «Le fait que les signaux émis sont très caractéristiques est encourageant.»
Surtout, les caractéristiques de ce glissement confirment ce qui est prédit par les théories et observé dans les reproductions en laboratoire. Comme celle menée par des chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem, et décrite fin novembre 2010 aussi dans Science.
L’équipe de Jay Fineberg a réalisé une expérience simple: deux blocs sont posés l’un sur l’autre, et l’ensemble est petit à petit incliné. Le moment auquel l’élément supérieur commence à glisser dépend de ce que les physiciens appellent le coefficient de friction entre les deux objets. Décrite par Léonard de Vinci, cette loi du mouvement est si communément acceptée qu’elle figure dans tous les livres d’introduction à la mécanique.
Les chercheurs ont cependant opéré deux modifications au dispositif. D’abord, les deux blocs n’étaient pas en contact sur toute leur surface commune, mais uniquement à travers d’infimes points. Ensuite, ils ont installé un système optique qui scrutait la tension sur chacun de ces points. Et là: surprise! Ceux-ci ne «cédaient» pas tous en même temps à la mise en mouvement, mais l’un après l’autre, générant différentes «ondes de rupture» voyageant à des vitesses différentes. «Un tremblement de terre peut être représenté par le même système, mais en mille fois plus grand», dit Jay Fineberg.
Ce que semble confirmer, en grandeur nature, l’étude de Michel Bouchon: comme dans l’expérience israélienne, le séisme d’Izmit a mis en présence deux plaques tectoniques coulissant l’une contre l’autre, mais dans ce cas horizontalement. Selon le chercheur, c’est dans une zone de quelques centaines de mètres de large, située à 15 km de profondeur, qu’a commencé la rupture entre les deux plaques, avant de se propager sur leur entière surface. «Pour la première fois, à Izmit, nous voyons la faille glisser en profondeur, avant le tremblement de terre!» explique-t-il dans Science.
Selon Jay Fineberg, ses résultats pourraient permettre d’imaginer une méthode à même de déterminer comment un tremblement de terre établit les conditions de tensions géophysiques initiales pour le séisme suivant.
Les travaux de Michel Bouchon sont «la preuve la plus solide, à ma connaissance, qu’il y a, avant le séisme, une phase de frottement accélérée, qui pourrait être observée assez tôt avant sa survenue, commente Phil Cummins, expert à l’Université de Canberra, sur le site de la chaîne australienne ABC. Nombre de sismologues vont se replonger dans leurs données. Et je serais déçu, voire surpris, si personne ne trouvait quelque chose de similaire. Mais de là à imaginer un système d’alerte opérationnel, il y a encore beaucoup de travail.»
Un travail que d’autres chercheurs mènent en dirigeant leur regard vers le ciel. Non pas pour y chercher des signes divins, mais parce que la prédiction des séismes pourrait se faire depuis l’espace. Comment? Avant les tremblements de terre, des ondes électromagnétiques sont émises, qui causent des perturbations dans la ionosphère, à 100 km d’altitude. Celles-ci ont été mesurées, notamment en 2010 lors du séisme en Haïti, par le satellite Demeter, conçu par le Centre national français d’études spatiales (CNES) et lancé en 2004. Mais les processus à l’origine de ces phénomènes, qui se traduiraient aussi par des flashes visibles même de jour, ne sont pas encore élucidés; l’on évoque la fracture de roches cristallines (quartz) dans la faille.
«La mission de Demeter consiste à mesurer ces phénomènes et à vérifier leur caractère systématique», déclarait à l’époque Pascal Ultré-Guérard; les milliers de données sont actuellement en phase d’analyse. Et la géophysicienne du CNES de conclure: «Ce n’est qu’une fois que nous disposerons de paramètres fiables de l’activité sismiques que nous pourrons, peut-être, anticiper les séismes.» Mais, à nouveau, «nous en sommes encore très loin».