Alors que l’avion suisse Solar Impulse (Si2) est sur le point d’accomplir son tour du monde dès ce soir, avant de muer en drone solaire, Facebook a testé avec succès jeudi son engin autonome stratosphérique. Qui occupera le premier les cieux?
L’avion solaire Solar Impulse (Si2) doit décoller dans la nuit de samedi à dimanche (aux dernières nouvelles) du Caire vers Abu Dhabi pour l’ultime étape de son tour du monde. Mais son exploit n’est pas encore achevé que son avenir est déjà au centre de toutes les discussions: l’idée est de le faire muer en une nouvelle génération de drones stratosphériques. Or dans ce secteur en plein essor, un concurrent – et pas des moindres – vient de s’afficher au grand jour: Facebook a pour la première fois fait voler l’Aquila, son prototype de drone solaire géant.
Jeudi, l’engin automatique, aile large d’une trentaine de mètres affublée de quatre moteurs électriques comme le Si2, a survolé pendant 96 minutes la base de Yuma Proving Ground, dans l’Arizona. «Nous testons une version réduite à 1/5e d’Aquila depuis des mois, mais c’était la première fois que nous faisions voler l’appareil de taille réelle», a déclaré Jay Parikh, ingénieur en chef chez Facebook.
Voler durant six mois
Les avions solaires sans pilote existent depuis 1971. Depuis peu toutefois, les avancées technologiques ont replacé sur le devant de la scène les drones solaires, tant leurs atouts sont importants: pouvant demeurer des mois en vol sur une région (les batteries de leurs moteurs se rechargent avec l’énergie solaire à l’aide de cellules photovoltaïques placées sur les ailes), ces engins pourraient remplacer certains satellites, tout en étant plus modulables, économiques et écologiques. «On touche au but: faire voler durant six mois et assez haut [environ 20 km] pour survoler le transport aérien un engin tel qu’il puisse porter une charge assez lourde», expliquait en janvier 2015 au Temps André Borschberg, l’un des pilotes du Si2. Les débouchés possibles sont nombreux: celui que vise Facebook est d’exploiter de tels aéroplanes comme relais pour apporter une connexion sans fil à Internet dans les zones reculées de la planète. Equipés d’instruments et caméras, ils pourraient aussi permettre, outre les applications militaires, des études environnementales ou diverses activités de surveillance (pêche, déplacements de populations, pollutions, etc.).
«Vu que ces engins volent plus bas et plus lentement que les satellites, leur avantage indéniable est de fournir des données avec des résolutions spatiales et temporelles beaucoup plus fines», détaille Simon Johnson, cofondateur de la start-up OpenStratosphere installée en 2015 au parc de l’Innovation de l’EPFL, qui souhaite se lancer dans ce domaine. Et l’ingénieur d’expliquer rentrer d’un voyage à Djibouti, où il a présenté cette technologie aux experts de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Autre acteur de ce domaine, l’entreprise Airbus Defense&Space développe aussi un «pseudo-satellite», le Zephyr. En 2010, cet aéronef de 23 mètres a établi le record de 336 heures de vol à 21 562 m d’altitude. Et il intéresse désormais les gouvernements, puisque le Ministère britannique de la défense vient d’en commander deux exemplaires pour 14 millions d’euros.
En voulant transformer Solar Impulse en drone stratosphérique, André Borschberg n’arrive donc pas en terrain vierge. Mais «notre avantage est d’avoir acquis le savoir-faire, d’avoir testé la technologie, la méthode et la compréhension de ce mode d’aéroplane.» Et l’entrepreneur de relever que «l’équipe d’ingénieurs qui a construit et fait voler Si2 a une valeur; il serait bien de la garder.» Ceci si possible en développant des activités en Suisse, sur l’Arc lémanique plus précisément.
Rencontre au Conseil fédéral
D’autres observateurs l’espèrent comme lui. A commencer par le conseiller national radical Fathi Derder, qui a même, dans une interpellation au Conseil fédéral en 2014, incité celui-là à tout faire pour que la Suisse joue les premiers rôles dans ce champ technologique. «Avec Solar Impulse, la Suisse a désormais une longueur d’avance dans ce domaine, ce serait dommage de la perdre», résume-t-il, en regrettant que le parlement reste peut réceptif à ce message. Une réunion a déjà eu lieu avec Doris Leuthard, chargée du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) et le directeur de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), a appris Le Temps. Ce que confirme Dominique Bugnon, chef de l’information du DETEC: «Les questions usuelles se sont posées, concernant les objectifs de ce projet et les attentes vis-à-vis des pouvoirs publics» dans ce qui devient désormais une aventure avant tout industrielle. «Il a été convenu que les discussions avec les responsables du projet se poursuivraient sous la conduite de l’OFAC.»
Par ailleurs, au eSpace de l’EPFL, chargé d’implémenter les recherches spatiales, son directeur adjoint Simon Dandavino expliquait récemment au Temps qu’«il y a beaucoup d’activités sur les drones dans la région. Nous souhaitons les structurer.» Enfin, la start-up OpenStratosphere y existe donc déjà. Sans avoir encore ni d’aéroplane ni l’expérience acquise par l’équipe de Solar Impulse, son instigateur Simon Johnson est convaincu que ce domaine d’activité vaut son évaluation, parfois avancée, de l’ordre du milliard de francs. Il explique aussi «être en discussion étroite avec André Borschberg. Mais il s’agira pour nous de trouver des investisseurs avant de concrétiser quoi que ce soit.»
Du côté de Solar Impulse, dont un des partenaires n’est autre que Google qui a aussi des projets de diffusion d’Internet depuis le ciel, on n’attend pas. Pour l’heure, «nous allons garder toutes ces (futures) activités sous l’égide de l’entité Solar Impulse», dit André Borschberg. Selon nos informations, tout serait déjà prêt pour fonder une nouvelle société, à but industriel celle-là. «Une société suit les besoins, mais ne les précède pas», se borne à commenter l’ingénieur.
De même, les ingénieurs de Solar Impulse travailleraient depuis quelques mois sur un prototype de drone solaire un peu plus petit, toujours en collaboration avec les chantiers Décision SA, ceux-là mêmes qui ont construit le Si2. «Ce sera beaucoup plus facile pour nous de descendre en taille et de faire quelque chose de plus léger que de monter en taille pour ceux qui fabriquent déjà de petits modèles», détaillait en janvier André Borschberg à Swissinfo.
Espère-t-il une aide étatique dans son entreprise? «Pour ce qui est de la recherche ou la concrétisation de concepts technologiques, c’est bien que ce soit l’Etat qui le fasse, à travers des institutions comme l’EPFL. Mais ensuite, ce qui concerne la commercialisation doit se réaliser en mains privées. Cela dit, l’Etat peut favoriser le développement de ce genre de projet.» A ce titre, il se murmure l’idée que la Confédération puisse commander deux prototypes de drones à la future société qui se bâtirait sur le succès de Solar Impulse.
Des défis subsistent
Enfin, quelques défis subsistent, tempère Simon Johnson. Ils sont d’ordre réglementaire (ces drones volant aussi sur des zones habitées, ils devront être certifiés), commercial (il s’agit d’évaluer en détail les meilleurs secteurs où ils remplaceront les satellites) ou technologique: «Solar Impulse a apporté beaucoup d’informations, dit l’expert. Désormais, ce n’est plus un avion pour un vol, mais des centaines d’aéroplanes devant effectuer des centaines de missions qu’il faut produire.»
Chez Solar Impulse, André Borschberg est conscient du fait, mais indique, sur son blog: «Si2 a été conçu pour voler 2000 heures. A la fin du tour du monde, il en sera à 700. Il en restera 1300. Nous pensons donc utiliser l’avion pour apprendre comment rendre ce genre d’engins entièrement autonomes, quitte à avoir un pilote à bord» pour valider ce développement.
Plusieurs entités, dont l’équipe de Solar Impulse (à gauche) et Facebook, avec son engin automatique Aquila qui a volé jeudi pour la première fois, visent le marché des drones atmosphériques. (SOLARIMPULSE/FACEBOOK) «Ce qui concerne la commercialisation des drones solaires doit se réaliser en mains privées»
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