Dès février 2008, la nouvelle station belge fonctionnera uniquement avec des énergies renouvelables.
Perchée sur son éperon rocheux, au milieu du désert blanc, elle semble sortie tout droit de La guerre des étoiles. Mais cette construction ne doit son allure futuriste, sur les images de synthèse, ni à des exigences cinématographiques ni à une simple vision architecturale: dès 2008, la Station Princess Elisabeth deviendra la première base scientifique en Antarctique dite «zero emission», car fonctionnant exclusivement au moyen d’énergies renouvelables. Elle a été montée pour vérification à Bruxelles et inaugurée mercredi par le prince Philippe de Belgique.
A l’origine du projet, un aventurier des glaces: Alain Hubert. Avec la Fondation Polaire Internationale (IPF) qu’il a fondée dans la capitale européenne, puis avec l’appui du gouvernement, l’ingénieur-explorateur souhaite relancer les activités de la Belgique sur le continent blanc; ce pays fut l’un des douze à signer le Traité antarctique en 1959, et y a entretenu une base entre 1958 et 1968. Y retourner, oui, mais pas n’importe comment: «La problématique énergétique est un point essentiel si l’on veut viser un développement durable. Si nous atteignons cet objectif de «zero emission» dans les conditions extrêmes de l’Antarctique, nous montrerons qu’il est possible de faire de même ailleurs dans le monde.» De plus, les pôles sont aux avant-postes des changements climatiques: «C’est là-bas que leurs effets se font sentir en premier, et de la manière la plus marquée. Disposer de bases dernier cri sur place pour étudier cette évolution est crucial.»
Tout, dans la conception de la station, a donc été pensé «écologique». «Le bâtiment de 800 m2, qui doit durer vingt-cinq ans, est construit à 80% avec du bois», dit l’ingénieur en chef Johan Berte. Durant l’été austral, il sera alimenté en électricité par des panneaux solaires photovoltaïques (pour 32%) et thermiques (5%) situés sur ses murs et son toit recouverts d’inox. Mais ce sont surtout huit turbines éoliennes qui fourniront 60% de l’énergie en tirant profit des vents catabatiques. Ces courants d’air pouvant atteindre 300 km/h naissent lorsqu’une masse d’air très froid dévale les pentes de l’Antarctique depuis son centre. Enfin, l’installation de deux générateurs diesel a tout de même été prévue. En cas de pépin, mais aussi pour assurer l’alimentation des instruments scientifiques qui ne cesseront pas de fonctionner durant les mois nocturnes de l’hiver austral, lorsque la base sera inhabitée.
Les 12 à 20 personnes qui y vivront chaque année entre novembre et février recycleront tout, des déchets à l’eau. Ce qui a contraint la firme Electrolux, fournisseur des appareils électroménagers, à les adapter à ce régime. Au final, aucune énergie ne sera perdue puisque même les surplus de chaleur parfois générés dans la base, où il fera 18-20°C, pourront être réutilisés. D’ailleurs, si les chercheurs belges auront bien chaud, c’est grâce à une entreprise suisse. Swisspor, à Steinhausen, a en effet fourni des panneaux isolants en polystyrène (sagex) avant-gardistes; l’adjonction d’une poudre de graphite lors de leur fabrication permet un gain d’efficacité de 25%. «Les chercheurs n’iront pas là-bas pour souffrir, résume Johan Brete, mais pour faire leur travail.»
Celui-ci touchera à plusieurs disciplines. La géologie et la glaciologie bien sûr. La microbiologie, aussi: «L’Antarctique était vu comme un désert, dit Alain Hubert. Or, il y a peu, on a trouvé des bactéries, survivant sur les rochers dans cet environnement extrême et hostile. En point de mire: de possibles percées pharmaceutiques.» Mais l’essentiel des études concernera la climatologie. «Le rôle des régions polaires dans le réchauffement est encore mal connu», souligne André Berger, climatologue et cofondateur de l’IPF.
L’un des autres buts du projet est d’ailleurs de sensibiliser la population à ce problème, et avant tout les jeunes. L’IPF le fera par le biais d’un site Internet interactif (http://www.educapoles.org) déjà à la disposition des classes. Son initiateur est Laurent Dubois, chargé d’enseignement en sciences de l’éducation à l’Université de Genève, et président de l’antenne suisse de l’IPF: «Ce site pourrait permettre aux élèves de converser avec les habitants de la base et de leur demander de réaliser sur place de modestes expériences pour eux. L’idée ultime est que les enfants s’approprient ce concept de «zero emission» et le reproduisent, à l’école ou à la maison.»
Mais avant, Alain Hubert et ses 45 collègues devront d’abord construire la station. Ce Meccano géant sera démonté dès lundi à Bruxelles, puis acheminé par bateau en Antarctique et ensuite par chenillettes à 190 km à l’intérieur du continent. Les travaux s’achèveront en février 2008. Il s’agira pour les ingénieurs de ne pas oublier le moindre outil, les voisins les plus proches vivant à 750 km à l’est (base japonaise) et à 450 à l’ouest (base russe)…
Quant aux coûts, ils se montent à 11,5 millions d’euros, dont la moitié concerne la logistique de construction. Ils sont en majorité couverts par des mécènes et firmes privés. Ce qui réjouit Alain Hubert: «Cela permet d’impliquer ces entreprises dans les discussions sur les changements climatiques.» Il manque toutefois encore 3 millions au budget. L’explorateur a donc lancé une souscription publique. Quiconque peut «acheter» un boulon de la base, et ainsi se sentir gardien d’une bribe d’aventure en Antarctique.