Le virus de l’influenza survivrait jusqu’à 17 jours sur les billets de banque, qui pourraient donc servir de vecteur de transmission de la maladie. C’est ce qu’ont découvert des virologues des Hôpitaux genevois.
L’expression «argent sale» ne pourrait être utilisée à meilleur escient, à un moment où le seuil d’épidémie de grippe vient d’être dépassé en Suisse: des chercheurs des Hôpitaux universitaires de Genève ont montré que le virus de l’influenza pouvait survivre dix-sept jours sur les billets de banque! Et que ceux-ci pourraient donc servir de vecteur de transmission de la maladie. Leur étude doit être publiée sous peu dans une revue scientifique spécialisée.
Les virologues genevois, emmenés par Yves Thomas, responsable du Centre national Influenza, ont agi sur demande d’une banque. L’établissement, inquiet des possibles risques de pandémie en cas d’émergence d’un virus inédit (aviaire ou non), les a approchés pour savoir si les numéraires pouvaient contribuer à propager l’infection. Il s’échangerait en effet de 20 à 100 millions de billets de banque en Suisse chaque jour, et des milliards dans le monde.
La banque a gracieusement mis à disposition des chercheurs des… moitiés de billets de 50 francs usagés. Y ont été déposées diverses souches de virus grippal conservées en laboratoire (sauf la fameuse H5N1, dangereuse à manipuler), dans différentes concentrations. Puis les scientifiques ont laissé sécher la préparation à température et humidité ambiantes. Ils ont enfin réalisé un état des lieux, en mettant en culture les dépôts viraux. Les résultats étaient parfois surprenants.
De manière générale, la durée de survie augmentait en fonction de la concentration du virus. Les souches «influenza A» (H1N1) – similaires à celles qui sévissent en Suisse cet hiver – et «influenza B» sont mortes dans les heures suivant leur inoculation. Par contre, un des virus «influenza A» (H3N2) utilisé a vécu environ 24 heures, et un autre le triple, lorsque sa concentration était importante. Pire: lorsque ce dernier était mélangé à des sécrétions humaines (mucus), il pouvait survivre deux semaines et demie!
Ces premières expériences se sont déroulées en laboratoire. Pour vérifier si elles pouvaient être extrapolées au «monde réel», les virologues ont demandé à quatorze enfants grippés de faire don de leurs sécrétions nasales à la science. Puis ils ont à nouveau déposé ces dernières sur des bribes de billets. Conclusions: dans sept cas sur quatorze, le virus avait survécu pendant un jour au moins, et deux jours dans un tiers des cas.
Pour Yves Thomas, «cette stabilité inattendue du virus suggère que ce genre de support inerte non biologique ne doit pas être totalement ignoré dans la préparation d’une pandémie.» Tout comme les poignées de portes ou les mains courantes dans les bus. «Le virus pourrait donc théoriquement infecter les personnes qui touchent des billets «contaminés», puis mettent leurs doigts en contact avec leurs muqueuses supérieures (nez, bouche)». Le virologue le reconnaît toutefois, cette stabilité dépend fortement de paramètres comme le taux d’humidité ou la température. «Le taux de survie du virus est optimal lorsque l’air contient une certaine dose d’humidité, mais pas trop, et lorsqu’il fait froid, idéalement moins de 10 °C.»
Une partie de ces résultats a déjà été présentée en juillet dernier lors d’un congrès de virologie à Toronto. A cette occasion, l’experte en maladie infectieuse Allison McGeer, de l’Hôpital Mount Sinaï local, s’était montrée sceptique: «Même si les virus peuvent survivre sur un tel environnement, ils ne sont pas pour autant forcément transmis.» Yves Thomas l’admet: «Dans notre étude, nous avons attesté de la stabilité du virus sur les supports inertes, pas de sa transmissibilité. Les étapes supplémentaires des recherches consisteront à déterminer quel taux de virus peut passer des billets aux doigts, quelle fraction est ensuite réellement mise en contact avec les muqueuses supérieures, et enfin quelle dose est nécessaire pour que la personne tombe malade. Et étudier cela ne sera pas facile, puisque cela dépend encore de la souche virale, ou de l’individu cible (personne âgée, enfant, etc.)»
En attendant, doit-on particulièrement s’inquiéter? «Les billets de banque portent germes et bactéries, ce n’est pas nouveau. Donc pas d’affolement particulier, modère le biologiste. Et puis, nous ne manipulons pas tous des milliers de billets chaque jour…» Pas tous. Mais ceux qui passent leurs journées à tripoter de grosses quantités d’argent, comme les banquiers? «Ces personnes peuvent fortement réduire le risque en prenant des mesures simples, comme mettre des gants le cas échéant, ou porter un masque pour ceux qui ne peuvent éviter de regarder les billets de très près…»
Selon le chercheur, ce mode de contamination par support inerte, qui est d’ailleurs encore controversé parmi les scientifiques, a lieu principalement lors des épidémies. «Mais durant ces périodes, ce sont avant tout les particules en suspension dans l’air et les contacts directs interhumains (bises, poignées de mains) qui sont les causes premières de la transmission du virus. On peut donc notamment rappeler à tout un chacun de se laver régulièrement les mains.» Et, pourquoi pas, de payer avec des cartes bancaires.