La Confédération et Solar Impulse ont conclu un partenariat à 5,75 millions de francs pour permettre à la première d’utiliser l’avion solaire comme vitrine médiatique pour la science et la technologie suisse. Le périple à travers les Etats-Unis, quant à lui, doit débuter en mai en Californie pour s’achever début juillet à New York
Un gros écusson suisse sur la carlingue. Et, partout, le slogan: «An idea born in Switzerland» (une idée née en Suisse). Après des mois de discussions embrouillées, reprises souvent à tort et à travers dans les médias, Solar Impulse et la Confédération suisse ont conclu un partenariat. Cette dernière soutiendra le projet d’avion solaire de Bertrand Piccard et André Borschberg, en échange de quoi elle pourra l’utiliser comme vecteur de promotion à l’étranger. Et d’abord aux Etats-Unis, que le prototype HB-SIA doit traverser d’ouest en est dès mai prochain. Le Conseil fédéral a validé mercredi matin un plan mettant fin à des mois de querelles diffuses.
L’an dernier, à la suite d’un audit du Contrôle fédéral des finances, il avait été avéré que l’équipe de Solar Impulse avait bénéficié sans base légale d’un soutien indirect de la Confédération, essentiellement en occupant sans payer de loyer des hangars des aérodromes de Dübendorf et de Payerne, gérés respectivement par le Département de la défense (DDPS) et le Département de l’énergie et de l’aviation civile (DETEC). L’arriéré financier se serait monté à 1 million de francs (LT du 27.06.2012 ). Un montant fourni «en nature» duquel – ont critiqué certains – le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) n’a pas assez profité en retour en termes de vitrine médiatique pour le pays. Le sac de nÅ“uds impliquant tous ces départements a alors été pris en main par Présence Suisse.
«Nous serons considérés comme un partenaire important. Nous disposerons d’une grande visibilité pour, au-delà des clichés que véhicule encore la Suisse, valoriser notre savoir scientifique et technologique ainsi que notre tissu industriel», déclare au Temps son chef, Nicolas Bideau. Qui reconnaît qu’il a fallu casser la glace et ensuite pragmatiquement remettre à plat d’abord les implications mutuelles puis les futurs intérêts communs pour arriver à un accord.
Les services fédéraux ont ainsi financièrement valorisé, durant la période de 2007 à 2012, le prêt à l’équipe de Solar Impulse de la halle du Bureau d’enquête sur les accidents d’aviation à Payerne (531 000 francs) ainsi que ses coûts d’exploitation en 2009 (100 000 fr.), l’hospitalité dans le hangar de l’aérodrome militaire de Dübendorf (2,4 millions), un soutien dans les activités de communication (160 000 fr.), la mise à disposition de l’expertise et des données de MétéoSuisse (19 000 fr.) et l’octroi de concessions pour des fréquences télémétriques (3000 fr.), le tout pour un total de plus de 3,21 millions. Pour ces mêmes postes, la Confédération évalue un montant virtuel de 1,54 million pour la période 2013-2015, soit jusqu’au terme du tour du monde prévu d’ici à deux ans avec le deuxième avion solaire actuellement en construction. «A ces 4,75 millions s’ajoutent encore, dans cet accord global, tous les services rendus par notre réseau d’employés du DFAE en Suisse et l’étranger», poursuit Nicolas Bideau. Par ailleurs, «nous investissons 1 million supplémentaire en cash dans l’épopée américaine, avec des retours précis»: présence évidente du drapeau suisse sur les combinaisons des pilotes, mise à disposition des deux hommes pour trois événements de relations publiques aux Etats-Unis, et inscription du slogan précité et de la «suissitude» sur tout le matériel de communication de Solar Impulse. «Nous serons par ailleurs présents dans les hangars d’étape, avec une petite «maison suisse», car il faut être près de l’objet pour prendre la dimension du projet, ajoute Nicolas Bideau. Enfin, nos représentations (ambassade, consulats, sites SwissNex) pourront utiliser ces événements à leur guise pour développer leur réseautage, économique, industriel, social…»
Du côté de Solar Impulse, l’on se montre satisfait, mais pas soulagé de ce dénouement: «La situation n’a jamais été un problème pour nous, le pataquès a été créé par des personnes externes au projet, dit son directeur André Borschberg. J’étais plutôt attristé par cette polémique. Pour nous, rien ne va changer. La Confédération, elle, pourra utiliser de manière proactive notre projet pour promouvoir les atouts et les domaines d’expertise de la Suisse.» Le pilote militaire reconnaît néanmoins que le million accordé servira grandement à couvrir les frais de l’épopée américaine: «Ce périple n’était initialement pas prévu; ce n’était pas un projet opérationnel indispensable. Nous apprenons toujours de nos vols, mais cette étape n’était pas essentielle. C’est très bien si elle a été rendue possible par certains de nos partenaires.»
Comme l’indique en effet le site internet de Solar Impulse, une petite partie des sponsors, mais pas tous, ont accepté de remettre la main au porte-monnaie pour cofinancer cette traversée américaine, dont le budget opérationnel est de 2,5 millions. Deux des quatre partenaires principaux n’en font pas partie; «des discussions sont encore en cours», dit André Borschberg. Selon des rumeurs, des brouilles existeraient même avec l’un d’eux, Deutsche Bank. «Notre engagement envers Solar Impulse n’a pas changé», assure le porte-parole de la banque allemande, Klaus Winker, en coupant toutefois là la discussion.
A propos de gros sous, André Borschberg ne le nie pas: «La tournée américaine doit aussi servir à attirer de nouveaux partenaires, notamment pour trouver les 30 millions de francs qui manquent encore au budget du tour du monde», estimé à 130 millions. «Le but est d’être présent sur les écrans radar états-uniens, les Américains ne relatant souvent que les événements qui se passent chez eux.»
Pour la Suisse, abonde Nicolas Bideau, «ce périple représente une opportunité de positionnement aux Etats-Unis, qui se montrent d’emblée très intéressés. D’une part, parce que le projet a une dimension «esprit pionnier» qui plaît là-bas, mais aussi parce qu’il porte des éléments pertinents pour le futur de l’aviation, comme les possibilités de diminuer la consommation d’énergie électrique exploitant les cellules photovoltaïques; un aspect qui attire beaucoup l’attention. D’autre part, car, sur le plan politique, le pays est en plein débat sur les questions environnementales et en pointe dans le développement des technologies vertes.» Pour le diplomate, «l’aventure américaine servira aussi de terrain d’essai pour parfaire notre communication en vue des étapes futures du tour du monde en 2015 (Moyen-Orient, Inde, Asie du Sud-Est, etc.), pour lesquelles une nouvelle stratégie devra être développée.»
Mais dans l’immédiat, les activités ont lieu sur le tarmac de Payerne: l’avion HB-SIA vient d’y être démonté en trois parties. «Dès ce week-end peut-être, il sera transporté par avion à San Francisco, où nous le reconstruirons puis le testerons début avril», dit André Borschberg. Ensuite: tenue d’événements médiatiques, avec probablement, pour les photographes, un vol au-dessus du pont du Golden Gate. «Dès mai, enfin, départ pour la traversée des Etats-Unis, en trois ou quatre étapes, avant d’arriver à Washington à la mi-juin, puis New York début juillet, où l’on nous a assuré que l’on fera tout pour nous accueillir sur l’immense aéroport John Fitzgerald Kennedy.»