L’équipe de Bertrand Piccard et André Borschberg achève la construction du deuxième avion solaire, le HB-SIB, avec lequel ils doivent faire le tour du monde par escales en 2015. Visite exclusive du chantier de Dübendorf avec l’ingénieur en chef et directeur du projet, avant la présentation au public le 9 avril prochain
En pénétrant dans le hangar de Solar Impulse, sur la base aérienne de Dübendorf, on tombe nez à nez avec une tente hémicylindrique en plastique vert de maraîcher. Mais loin d’y cultiver des salades, l’équipe de Bertrand Piccard et André Borschberg cuit là l’aile de son second aéroplane, Solar Impulse 2, immatriculé HB-SIB, avec lequel un tour du monde est prévu en 2015! «Nous sommes dans la phase finale de fabrication, explique ce dernier. Nous apposons diverses petites pièces en carbone, et portons l’ensemble à 65°C pendant cinq heures pour uniformiser l’action des colles. Nous avons été obligés de le faire en trois fois.» L’aile est en effet si longue – 72 m, contre 64 pour le premier avion, le HB-SIA – qu’il était impossible de faire autrement.
Comme tous les mercredis, André Borschberg vient à Dübendorf pour vérifier la bonne marche des travaux. Depuis peu, il s’y rend en avion depuis l’aérodrome lausannois de la Blécherette, son hélicoptère étant en miettes depuis son crash en montagne en décembre 2013, dont il est sorti indemne, miraculeusement. Cette semaine, il a accepté que Le Temps l’accompagne pour passer en revue l’avion expérimental. Et l’ingénieur de commencer par l’incommensurable surface portante, car beaucoup se joue là.
Aile plus longue
«Il fallait que l’aile soit plus résistante car nous irons un peu plus vite – 90 km/h au maximum, contre 65 avec le HB-SIA. Mais aussi proportionnellement plus légère.» En collaboration avec la société North Thin Ply Technology, à Penthalaz, et en s’inspirant de technologies appliquées dans le monde de la voile, l’équipe du chantier Décision SA, à Ecublens, qui fabrique les pièces du squelette de l’engin volant, a développé des feuilles de fibres de carbone ne pesant que 25 g/m2 ; par comparaison, une feuille de papier ordinaire pèse 80 g/m2. Des plaques qui peuvent être modelées pour générer les structures voulues.
Parmi celles-ci, les 140 nervures oblongues qui, alignées tous les 50 cm, forment l’armature de l’aile. Mais aussi son longeron central. Un élément qui avait cédé à l’été 2012 lors d’un test de charge, faisant prendre un an de retard au projet. «On poussait le test de cette pièce aux limites», dit André Borschberg. Une erreur dans le design a conduit à la brisure. «Nous sommes revenus un peu en arrière, en concevant une pièce plus solide, mais aussi un peu plus lourde.» Et de préciser que le facteur «poids» joue un rôle crucial surtout de nuit, lorsque l’avion ne peut utiliser que l’énergie solaire accumulée durant la journée, chaque kilogramme supplémentaire faisant augmenter la consommation de «carburant». Tout faire pour le réduire au maximum s’avère donc essentiel, même si Solar Impulse 2 pèsera au total plus de 2 tonnes, contre 1,6 pour son aïeul.
Cellules plus efficaces
Un tel effort d’économie a aussi été réalisé dans la conception des cellules solaires, minces de 135 millièmes de millimètre: «Un gain de 20% par mètre carré a été possible.» Des cellules photovoltaïques dont l’efficacité est à peine meilleure que celles qui équipent le premier prototype – 22% contre 21% – mais qui seront plus nombreuses, environ 17 000 contre 11 628 sur le HB-SIA. Il a donc fallu aménager des aires supplémentaires, sur l’empennage arrière ainsi que sur le fuselage.
Les cellules ont par ailleurs subi un encapsulage total dans le film transparent qui constitue le dessus de l’aile. «Durant les longues étapes, nous pourrons devoir traverser des nuages ou voler dans une légère pluie», justifie le pilote; avec le premier avion, les périples avaient en effet lieu par temps dégagé.
Batteries similaires
Alors que l’on progresse sous l’aile titanesque, André Borschberg pointe quelques palettes et caisses de bois. Dans ces dernières, les batteries lithium-polymère, les «réservoirs à énergie» de l’avion. «Ce sont sensiblement les mêmes que sur le HB-SIA, si ce n’est qu’elles sont un peu meilleures, d’une puissance de 260 Wh/kg contre 220 auparavant.» Comme pour la plupart des éléments liés à l’avion, l’équipe de Solar Impulse bénéficie en effet des plus récentes avancées technologiques mises à disposition sur le marché; elle ne fait pas elle-même de développement à proprement parler, se reposant pour ces tâches sur des entreprises partenaires.
Moteurs 100% suisses
C’est ainsi que, de la collaboration avec des PME comme ETEL, à Môtiers, ou Micro-Beam, à Yverdon, sont nés «les moteurs électriques presque 100% suisses» qui feront tourner les hélices de l’engin. «Ils ont un rendement de 94%, contre 88% sur le premier avion. Ce qui veut dire que 94% de l’énergie (électrique) qui entre dans le moteur est transformée en énergie (mécanique) dans l’arbre de propulsion; pour rappel, dans une voiture à essence, ce rendement est de 25 à 30%.»
Cockpit à yoga
Le plus impressionnant reste à venir. Le futur cockpit, pour l’heure encore désossé, et d’où jaillissent mille fils électriques, repose à même le sol. «Il est plus cossu, imposant, et spacieux. En baissant le siège, je pourrai faire mon yoga dedans», rit André Borschberg. Durant les étapes de cinq jours (et nuits), le pilote devra en effet pouvoir bouger à sa guise dans cet habitacle. Sur le tableau de bord, des dizaines de boutons et interrupteurs. «Il y a beaucoup de redondance dans les équipements (GPS, radio, etc.). Ceci afin de pouvoir se débrouiller dans les situations les plus délicates.»
Plus loin, trois des quelque 50 ingénieurs impliqués dans ce Meccano géant manipulent avec précaution une volumineuse mais légère pièce de mousse solidifiée – toujours cette obsession du poids –, qui viendra, comme un capuchon, envelopper la charpente en carbone du cockpit. Sa conception diffère un peu de celle du HB-SIA, dans lequel la verrière amovible permettait au pilote de s’installer. Dans la nouvelle version, il y aura – bêtement – une porte latérale. «De quoi, en cas d’urgence, sauter en parachute avec tout le matériel nécessaire (radeau de survie, vivres pour des jours, etc.). Le pare-brise est fixe aussi pour éviter les infiltrations d’air, que nous avons expérimentées avec le premier avion. Car à 9000 m, il peut faire –ā€45°C!» dit André Borschberg, en montrant le HB-SIA, encore en pièces détachées depuis son retour du périple américain qui a permis à l’équipe de communication de glaner de beaux clichés, notamment au-dessus du Golden Gate Bridge de San Francisco.
Etapes à venir
Au cours de cette visite, nous n’obtiendrons aucune nouvelle image du successeur du HB-SIA, les pères du projet souhaitant garder la surprise pour son dévoilement, le 9 avril. André Borschberg consent toutefois à révéler l’agenda proche: dès mi-février, transport des pièces à Payerne. En mars, tests de vibrations de chaque pièce, «menés avec l’équipe de l’agence spatiale allemande DLR, qui a travaillé sur l’Airbus A380». Présentation le 9 avril donc, puis essais au sol, et en vol vers mi-mai avec un pilote d’essai. Enfin, les vols d’entraînement pour André Borschberg et Bertrand Piccard, jusqu’en octobre. Quant au tour du monde en 2015, «il partira dès mars du Moyen-Orient vers l’est, ceci afin d’éviter la mousson, avec des escales voulues en Inde et en Chine», conclut l’ingénieur en chef, qui dit chercher encore une vingtaine de millions pour boucler le budget. «Mais nous sommes à bout touchant, le projet ne va plus s’arrêter.»