L’équipe de l’avion solaire, avec André Borschberg aux commandes d’un avion factice, a mené jusqu’à ce vendredi matin une simulation d’une étape de trois jours et trois nuits consécutives. Premier bilan
Assis dans son cockpit décapoté et immobile, alors que défilent devant lui des images de synthèse de paysages divers, André Borschberg, le corps bardé de câbles, vient d’achever son taboulé. «Il n’y a plus d’eau chaude. Je dois manger froid, des snacks, des pâtes végétariennes…» détaille-t-il au téléphone. Jeudi après-midi, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le pilote de l’avion Solar Impulse est «en vol» depuis 56 heures, ceci sans avoir dormi vraiment longtemps. Car même s’il ne s’agit pour l’instant que d’une simulation, celle-ci devait ressembler au mieux aux situations que cet aventurier du ciel et son compère Bertrand Piccard rencontreront en réalité en 2014.
Après les succès du premier avion HB-SIA, l’équipe de Solar Impulse est en train de construire un deuxième aéroplane HB-SIB, un peu plus grand et lourd, dans l’objectif de réaliser, dans trois ans, un tour du monde par étapes (lire LT du 10.02.2012). Une circumnavigation qui impliquera forcément la traversée d’océans. Et donc des trajets qui dureront jusqu’à cinq jours, à la vitesse où avance l’engin, soit quelques dizaines de kilomètre-heure.
Au défi technologique de construire un avion léger, fonctionnant à la seule énergie solaire mais assez solide pour braver les aléas de la météo, se greffe ainsi un challenge humain. Car, si le Solar Impulse sera équipé d’un système de stabilisation de vol automatique, il n’aura pas de pilote automatique. Impossible donc, pour celui qui tiendra le manche à balai, de dormir durant de longues périodes. D’où la nécessité de réaliser des simulations de trois jours complets, afin de permettre aux futurs pilotes d’apprivoiser des conditions de vols qui n’ont jamais été vécues jusque-là; celle d’André Borschberg doit prendre fin ce matin à 8h, dans une halle de l’aérodrome de Dübendorf.
L’inconnue la plus importante concerne la fatigue accumulée sur la durée. «Pour l’heure, je me sens mieux que ce que je pensais. J’ai l’impression d’avoir un bon niveau d’énergie. Notamment grâce aux exercices de respiration que je pratique», confiait jeudi le directeur de Solar Impulse depuis son cockpit. Pourtant, «André a moins dormi qu’il ne devait, peut-être à cause des conditions imposées par la simulation, avec les multiples sollicitations auxquelles il doit répondre», note Jean-Pierre Boss, coordinateur de l’équipe de médecins qui encadre le projet. Depuis le début de ce vol virtuel, le pilote ne s’est reposé au total que 2 heures par jour. «Mon objectif était de le faire dormir au total 5 à 6 heures, par microsiestes de 20 minutes», précise le médecin. Pourquoi des tranches si courtes? «Plus une période de sommeil est longue, plus l’inertie pour en sortir est grande.» Autrement dit, plus il faut du temps à l’organisme et au cerveau pour se montrer totalement éveillés. Un paramètre qui peut s’avérer crucial en cas de manÅ“uvre d’urgence en l’air.
Afin d’évaluer plusieurs capacités comportementales d’André Borschberg au fil du temps, des chercheurs de l’EPFL et du CHUV ont d’ailleurs installé sur son corps et sa tête diverses électrodes pour mesurer en continu son électrocardiogramme (ECG) et son électroencéphalogramme (EEG), ce dernier permettant de reconnaître les phases d’éveil, de somnolence ou de vrai sommeil. Régulièrement durant le vol virtuel, le pilote a dû s’adonner à des jeux vidéo «pousse bouton»: «L’objectif était de déterminer comment le temps de réaction, la vigilance et les prises de risque du pilote se modifiaient en fonction de l’état de fatigue», explique Ricardo Chavarriaga, spécialiste des interfaces hommes-machines à l’EPFL. «Mais aussi de comparer ces données avec les valeurs subjectives que leur attribuera le pilote en fonction de ce qu’il ressent», ajoute Raphaël Heinzer, du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. «Et peut-être y aura-t-il un écart», qui pourrait être riche d’enseignements sur les comportements à adopter en l’air, vers la fin des longues étapes. «Les humains ont tendance à sous-estimer leur état de fatigue», confirme Jean-Pierre Boss. Pour l’instant, il est trop tôt pour tirer des conclusions à ce sujet, avise Ricardo Chavarriaga: «Le dépouillement des données prendra un an.» Mais, jeudi, dans son siège, André Borschberg indiquait qu’il sentait à peine une perte de vigilance: «Peut-être est-ce dû au fait que nous avons longuement répété les exercices que l’on me fait entreprendre.»
L’autre paramètre essentiel, durant ces vols de plusieurs jours, sera lié à la manière dont le pilote s’alimentera. L’équipe de Solar Impulse s’est associée avec un géant de l’alimentaire pour créer des mets sur mesure. «L’idée est d’avoir des repas légers, mais riches en énergie, tout en s’assurant que le pilote ait encore du plaisir à manger», dit Jean-Pierre Boss. Et dans ce domaine, tout sera question de compromis: «Les aliments trop riches en sucres induisent plus rapidement le sommeil, tandis que les plats gras le retardent. Il faudra trouver le juste milieu.»
Le médecin se soucie par ailleurs des questions de sécurité alimentaire: «L’avion changera fréquemment d’altitude, si bien que les températures qu’il rencontrera passeront de +15 °C en basse atmosphère à –30 °C en haute atmosphère. Il faudra s’assurer que le conditionnement des aliments y résiste bien. Le pire serait de faire face à une intoxication alimentaire du pilote en l’air.» Ces aspects-là, par contre, n’ont pas pu être testés au cours de cette simulation.
Quant aux liquides, «le pilote devra boire environ 3 litres par jour, sans quoi il pourrait subir de petites baisses de pression artérielle, poursuit Jean-Pierre Boss. Si tel est le cas, ce n’est pas un grand désastre. Mais nous tentons de tout faire pour éviter de rendre plus compliquées encore des situations qui, en l’air, le seront parfois déjà passablement.»
Ce qui a été ingéré devant tôt ou tard être évacué, cette simulation a aussi été l’occasion de tester les toilettes à bord. En l’occurrence, un système de sacs incrustés dans le siège. «Il faut être un peu prudent, mais ça marche», a confié le pilote sur Twitter.
Plus que les WC, c’est toute l’ergonomie du cockpit qui aura été évaluée durant ce vol virtuel, «car certains détails n’apparaissent que sur la durée», dit André Borschberg. L’ingénieur a ainsi pu essayer d’enlever ou d’ajouter des couches d’habits, en fonction à nouveau de la température extérieure.
Avec toutes ces tâches à effectuer, le pilote confiait jeudi après-midi n’avoir jamais eu le temps de s’ennuyer. «J’avais pris des choses à lire, je n’y ai pas touché.» Et de rappeler que ce n’est pas que lui qui participe à tous ces exercices de simulation, «mais une équipe de 25 personnes, au sol, qui devra m’aider à faire face à toutes sortes de situations: changements météo, pannes diverses, maladies éventuelles. C’est d’ores et déjà une expérience fantastique!»