Sans excès de candeur ou de crédulité, les Helvètes sont avides de savoirs, mais aimeraient être mieux informés. C’est le résultat du dernier Eurobaromètre, un vaste sondage réalisé dans l’UE et en Suisse tous les 5 ans environ
Préféreriez-vous aller voir un match de foot ou vous rendre au CERN, visiter l’exposition sur la physique des particules? La réponse ne figure pas telle quelle dans le dernier Eurobaromètre européen, publié fin juin. Mais ce vaste sondage réalisé tous les cinq ans dans l’UE ainsi qu’en Suisse conclut que près de 80% des Européens s’intéressent aux découvertes scientifiques et aux évolutions technologiques, alors que 65% disent s’intéresser au sport.
En Suisse, où l’enquête a été menée auprès de 1021 personnes de 15 ans et plus, les tendances se calquent sur l’image européenne: «Les citoyens ont une vision assez positive de la science», selon Fabienne Crettaz von Roten, qui a fait partie du groupe de travail européen pour le compte de l’Observatoire science, politique et société de l’Université de Lausanne. Tour d’horizon.
Intérêts vs informations
«Plus de 83% des Suisses se disent beaucoup ou moyennement intéressés par les thèmes scientifiques, dit-elle. Par contre, seuls 64% des répondants sont très bien ou moyennement informés sur les découvertes scientifiques.» A quoi est dû ce décalage? «Ces résultats plaident pour une meilleure communication scientifique, dans les médias notamment. Mais aussi à travers des manifestations comme les journées portes ouvertes dans les universités, qui font à chaque fois le plein.» Dans ce contexte, une personne sur deux considère que les chercheurs ne font pas assez d’efforts pour informer le public de leurs travaux.
Presque paradoxalement par rapport à ce déficit d’informations, 39% des Suisses estiment que le public devrait être systématiquement consulté lors des prises de décisions en matière de science et de technologie. Même si la discrépance entre le niveau public général des savoirs et la complexité des recherches est souvent grande? «Les votations sur des sujets scientifiques, comme les cellules souches en 2004, sont justement l’occasion de bien expliquer des concepts complexes. D’autre part, des initiatives comme les publiforums, qui font discuter des citoyens sur les enjeux des domaines naissants (comme les nanotechnologies) sont profitables. Même si ces aréopages ne sont pas 100% représentatifs de la population, ils permettent de décortiquer la formation des attitudes envers la science.»
Quelle image des sciences?
Par rapport au dernier sondage, en 2005, les sondés suisses reconnaissent davantage l’importance des connaissances scientifiques dans leur vie quotidienne (57%, contre 46%). Ils sont ainsi 60% à marquer leur désaccord devant l’affirmation que «la science et les technologies ne peuvent pas vraiment jouer un rôle dans l’amélioration de l’environnement». Mais trois quarts des sondés (57% dans l’UE) contestent l’idée que «la science et les technologies peuvent résoudre n’importe quel problème».
Selon Fabienne Crettaz von Roten, les Suisses expriment d’ailleurs bien leur ambivalence: seuls 40,3% estiment que «les bienfaits de la science sont plus importants que les effets nuisibles qu’elle pourrait avoir», et 26,9% ne sont pas d’accord avec ce postulat. Le premier pourcentage était encore de 43% en 2005; la chercheuse se réjouit pourtant d’une certaine stabilité dans les chiffres, «surtout dans le climat actuel de grande incertitude». Au plus attribue-t-elle la baisse de 3 points aux polémiques récentes qui ont mis en évidence les limites de réflexion et d’actions dans les milieux scientifiques (vaccination contre le H1N1, expérimentation animale, marée noire aux Etats-Unis, etc.)
De manière générale, ces taux montrent aussi «que les gens n’ont pas une attitude naïvement positive envers la science et la technologie. Au contraire, on voit apparaître une vision mature envers ce domaine.»
Question de confiance
Envers le domaine, peut-être. Et envers ceux qui y Å“uvrent? Là aussi, certaines crises récentes (tohu-bohu autour de la grippe porcine, du rôle de l’OMS et de l’intégrité de ses experts, mais aussi polémique enflammée concernant l’origine, anthropique ou non, du réchauffement climatique) ne sont pas restées sans traces: 62% des sondés suisses (UE: 58%) estiment que l’«on ne peut plus faire confiance aux scientifiques pour nous dire la vérité sur des controverses en matière de science car ils dépendent de plus en plus de l’industrie». «C’est là plus une pique d’ordre général que le résultat d’une réflexion creusée ou qu’une critique sur ce qui se passe réellement en Suisse, remarque Fabienne Crettaz von Roten. Pas sûr en effet que les gens sachent qu’une très grande partie de la recherche est menée grâce à des fonds privés.»
D’autre part, l’affirmation «Grâce à leurs connaissances, les chercheurs ont un pouvoir qui les rend dangereux» est validée par 60% des Suisses (53% dans l’UE). A nouveau, «il faut lire ces résultats pour ce qu’ils sont: les sondés attestent que les scientifiques peuvent effectivement disposer d’un pouvoir de nuisance. Ce qui ne veut pas dire qu’ils croient forcément que ces derniers l’utilisent.» Pour preuve, face à l’énoncé «Une découverte scientifique n’est en soi ni «bonne» ni «mauvaise», c’est uniquement son utilisation qui compte», 84,6% des personnes répondent «D’accord».
Report sur les jeunes
Dernier aspect mis en exergue: «Les sondés estiment que la science est importante non seulement pour eux, mais aussi pour les jeunes générations, car ceux qui s’intéressent ont plus de chances de trouver un emploi (61,5% d’adhésion), car cela améliore leur culture (66,7%) et car la science prépare la jeune génération à agir en tant que citoyens avisés (63%). «Un tel report d’intérêt sur les jeunes est très positif», conclut Fabienne Crettaz von Roten.