A Bordeaux, quatre étudiants de l’EPFL ont, pour la deuxième fois, eu le privilège de mener des expériences de physique dans un avion simulant une situation d’apesanteur. Reportage dans la cabine, pieds par-dessus tête.
«Un immense plaisir!» «Une saveur prolongée.» «Des sensations retrouvées.» La tête encore dans les nuages, les quatre amis de l’équipe Flash & Splash ne manquent pas d’expressions pour décrire une aventure unique. La semaine dernière à Bordeaux, Nicolas Dorsaz, Philippe Kobel, Aurèle de Bosset et Danail Obreschkow, jeunes ingénieurs issus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ont eu le privilège de revivre quelques minutes d’apesanteur dans l’avion spécial affrété par l’Agence spatiale européenne (ESA). Une opportunité venue récompenser leur succès de l’an dernier. Le Temps les accompagnait.
Chaque année, l’ESA organise un concours incitant des étudiants à concevoir une expérience incluant l’apesanteur comme paramètre. Les meilleurs projets sont concrétisés à bord d’un Airbus A300 modifié qui accomplit une succession de paraboles. Arrivé au faîte de chacune de ces trajectoires en forme de cloche, l’aéroplane a perdu tellement de vitesse qu’il se retrouve momentanément en chute libre. Et ses passagers avec…
Flotter librement
Durant ces quelques secondes, ceux-ci se mettent à flotter librement, tels des astronautes dans l’espace. L’été dernier, les quatre Lausannois étaient du voyage avec leur projet de cavitation (lire l’encadré). «Leur dispositif était très intéressant, explique Vladimir Pletser, coordinateur des vols paraboliques à l’ESA. Et leur travail sérieux et consciencieux. C’est pourquoi nous les avons choisis pour prendre part à cette nouvelle campagne de trois vols, réservée aux scientifiques professionnels.»
Lundi dernier. Treize équipes de toute l’Europe se retrouvent à l’aéroport de Bordeaux pour installer leur expérience dans l’avion. Certains appareillages impressionnent par leur taille, ou par leurs objectifs: des ingénieurs français envisagent d’étudier la propagation d’un incendie en apesanteur… Dans une chambre à combustion sécurisée, bien sûr. En face, des chercheurs allemands veulent découvrir pourquoi les plantes poussent verticalement sur Terre (lire ci-dessous). Plus loin, d’autres groupes souhaitent étudier la circulation sanguine ou déterminer comment varie la perception visuelle. L’expérience de l’EPFL, elle, se situe à l’avant de la cabine. «La meilleure place, explique Danail, car elle est proche de la zone où l’on peut flotter librement.» C’est d’ailleurs là que, durant le vol de mercredi, j’ai expérimenté mes premières secondes d’apesanteur.
«5…3, 2, 1. Pull-up!» L’avion se cabre. Brusquement, mes bras et mon torse deviennent lourds. La peau de mes joues semble s’affaisser un peu, comme si des poids y étaient agrafés. Accroupi sur le sol capitonné, je subis presque 2 «g», soit deux fois le poids de mon corps. Je reste immobile. Sans quoi, m’a-t-on prévenu, je risque d’utiliser le sac en papier que j’ai dans ma poche… Mais le petit déjeuner reste là où il est, tandis que l’avion s’incline de plus en plus, avec bientôt un angle de 45 degrés.
« Injection! »
«Injection», lâche le pilote. Lifting immédiat: la peau de mes joues se remet en place. Je sens un haut-le-coeur, mais aucune nausée. A l’image des moines dans Tintin au Tibet, mon corps s’élève. Etrange impression. Je bats des bras comme un volatile. Inutile. C’est uniquement en se poussant ou se tirant sur les parois que l’on peut se déplacer. La sensation est fantastique. Je bascule, me retourne. Comme en plongée, la résistance de l’eau en moins.
>>> VIDEO: 22 secondes d’apesanteur
Puis, d’un coup, le pilote redresse l’avion qui piquait du nez. Je retombe sur le matelas. Vingt secondes d’apesanteur qui ont passé comme cinq. Suit une nouvelle phase d’hypergravité à presque 2 g, avant de retrouver les conditions d’un vol de croisière.
Pendant cette première des 31 paraboles prévues – ce qui correspond à un temps cumulé de 10 minutes d’apesanteur –, j’étais si focalisé sur mes sensations qu’il me serait impossible de décrire ce qui s’est passé dans la cabine. Même le puissant flash utilisé dans l’expérience de l’EPFL est passé inaperçu. Celle-ci s’est pourtant bien déroulée; j’aperçois Danail s’affairer sérieusement sur l’appareil avec Mohamed Farhat, le responsable du groupe de cavitation à l’EPFL qui a été invité par ses étudiants à effectuer l’un des trois vols. Mais, bien vite, lors des paraboles suivantes, ils joueront eux aussi avec l’infime légèreté de l’être que rend la microgravité en faisant des cabrioles aériennes.
Vraie campagne scientifique
Cette griserie, les quatre ingénieurs l’ont découverte l’an dernier. Mais, neuf mois plus tard, «l’enthousiasme est le même», avoue Philippe. «Cette année, nous étions plus à l’aise avec notre manipulation. Cela nous a permis de nous divertir davantage», expliquent Danail et Aurèle. Ce dernier retiendra aussi la chance d’avoir pu participer à une vraie campagne scientifique, et découvrir des expériences impressionnantes.
Cette aventure a-t-elle suscité des vocations? Pour Nicolas, passionné de statistiques, l’espace n’est pas un but en soi. Aurèle, lui, se voit plutôt dans une activité plus terre à terre. «Dans le domaine des transports publics par exemple.» Seuls Danail et Philippe affichent leurs ambitions de travailler un jour dans un domaine lié au spatial. Leur motivation a d’ailleurs été remarquée, et récompensée: Novespace, la société qui organise ces vols, les a invités à participer au début du mois d’avril à un vol de démonstration privé.
L’avenir plus lointain de Flash & Splash est par contre plus flou. Pour Vladimir Pletser, il dépend des jeunes scientifiques plus que de l’ESA: «Il faut d’abord qu’ils publient leurs résultats. Puis, s’ils le désirent, qu’ils soumettent une demande officielle pour revoler. Celle-ci sera expertisée comme toutes les autres. Mais je suis persuadé qu’ils ont leur chance.» «Nous avons reçu beaucoup de signaux positifs durant cette semaine, conclut Danail. Nous allons méditer là-dessus. Mais notre première impression est de vouloir continuer l’aventure.»
Qu’ils persévèrent ou non, la relève est assurée. Lundi, l’ESA a annoncé la sélection des équipes qui participeront cet automne à la prochaine campagne de vols pour étudiants: un autre groupe de physiciens de l’EPFL en fait partie.
