Une équipe d’ingénieurs de la Haute Ecole Arc Ingénierie de Neuchâtel participe à la finale mondiale d’un concours d’engins autonomes, ce mardi en Allemagne. Une compétition qui leur permet, en plus d’appliquer leurs connaissances, de se frotter à un domaine de recherche en pleine ébullition: celui des véhicules autoguidés
L’exercice ressemble à une course de voitures télécommandées. A la différence qu’il n’y a pas de… télécommande: les engins, gros comme des jouets, qui filent sur le parcours blanc et sinueux, sont entièrement autonomes. Et fabriqués par de jeunes ingénieurs qui participent à un concours organisé par la firme américaine Freescale. A ce petit jeu, la Suisse brille, puisque l’une des neuf équipes qui prennent part à la finale mondiale de cette compétition, ce mardi à Erlangen (Allemagne), est issue de la Haute Ecole Arc (HE-Arc) Ingénierie de Neuchâtel; il y avait au départ, sur toute la planète, 5118 teams et 35 000 étudiants! Vu la manière avec laquelle elle a remporté les épreuves qualificatives, ses chances sont réelles. «Même si les Chinois arrivent en force», craint l’un de ses membres, Louis Hêche. Peu importe le résultat, cette expérience lui permet de tâter un domaine en pleine ébullition, celui des voitures autoguidées, miniatures mais aussi de taille humaine.
Agé de 23 ans, habitant Courgenay, et terminant son cursus de maturité professionnelle, cet électronicien de formation s’est lancé avec son compère Valentin Py, de Villiers. Sous la contrainte, puisque tous les élèves de 3e année de sa filière devaient relever le défi, dans le cadre d’un projet rendu obligatoire par Serge Monnerat, professeur à la haute école. Le défi? Sur la base de pièces imposées (châssis, type de roues, moteurs électriques, cerveau électronique) acquises pour 200 francs auprès de Freescale, et dans des dimensions strictes, construire une voiture équipée d’un système de vision artificielle capable de parcourir un circuit aussi rapidement que possible, bien sûr sans en sortir.
«Nous connaissons les éléments de route (lignes droites, courbes, bosses, obstacles), mais par leur séquençage», explique Serge Monnerat. Autrement dit, toute la difficulté a consisté à contrôler les divers mouvements de l’engin en fonction de l’environnement. «Les étudiants ont rajouté sur leur véhicule des accéléromètres pour détecter les bosses, des capteurs de vitesse pour gérer les freinages, un système ABS pour éviter les glissades, un système de différentiel des roues parce qu’elles ne tournent pas à la même vitesse dans les virages… C’est vite l’horreur en termes de complexité», lâche l’enseignant. Sans parler de l’élément crucial: la microcaméra embarquée. «Celle-ci est composée d’une seule ligne de 143 pixels, censés repérer les bords noirs de la route. Avec ces données acquises, le logiciel interne doit ensuite positionner la voiture entre ces deux bordures. Le tout sous une luminosité qui peut varier», explique Louis Hêche.
Autant de casse-tête électromécaniques que les étudiants en automatique et systèmes embarqués ont résolu avec brio, puisqu’après avoir remporté leur épreuve régionale de qualification, ils ont gagné la finale européenne le 29 avril à Turin, devant 13 équipes issues de nations européennes.
«Je félicite d’ores et déjà l’équipe suisse pour être arrivée si loin. Et, pour avoir habité longtemps dans votre pays, je suis un peu fier», déclare Steve Wainwright, directeur de Freescale. Pourquoi ce fabricant mondial de semi-conducteurs, microprocesseurs et circuits intégrés en tous genres, dont le siège est au Texas, a-t-il lancé cette Freescale Cup il y a quatre ans? «Notamment pour faire connaître et diffuser ses produits, et fédérer autour d’eux les étudiants qui entreront sur le marché professionnel», dit Serge Monnerat. «Notre souci premier est vraiment d’encourager l’éducation en sciences, technologies et mathématiques en titillant l’imagination et l’ingéniosité des jeunes», insiste d’emblée Steve Wainwright. Et d’expliquer que «cette compétition leur donne une première occasion de se frotter à des situations réelles. Par exemple dans la programmation des logiciels de guidage de la voiture.» «L’aspect ludique du concours permet de varier des cours magistraux», souligne Serge Monnerat, qui a lancé la HE-Arc dans l’aventure il y a deux ans. «C’est très stimulant de travailler à améliorer la voiture», abonde Louis Hêche.
Dans quelle mesure Freescale espère-t-elle acquérir des connaissances sur les voitures autonomes ou leurs composants à l’aide de cette compétition? «Ce n’est pas le but premier, coupe d’emblée Steve Wainwright. Si cela arrivait, ce serait évidemment très bien. Mais l’objectif reste éducatif, d’encourager les étudiants à s’approprier le hardware. Cela dit, nombre de senseurs sur ces modèles réduits sont similaires à ceux utilisés dans les voitures autoguidées réelles, même si celles-ci sont bien plus complexes.»
Aujourd’hui, qu’ils soient autoguidés ou non, les véhicules sont bardés de systèmes électroniques, gérés par une «unité de contrôle électronique» (ECU), sorte d’ordinateur responsable de fonctions sécuritaires liées à la conduite (système antidérapage, de freinage). Développer et disposer d’ECU les plus fiables et sûrs possibles représente un immense enjeu. Cela d’autant que des petits malins en électronique s’amusent régulièrement à montrer les failles de ces systèmes nerveux centraux des voitures électroniques de ce début de XXIe siècle (LT du 26.04.14) De là à craindre que ces engins connectés, parmi lesquels les véhicules autoguidés, puissent être piratés, il n’y a qu’un pas que d’aucuns n’hésitent plus à franchir. L’an dernier, Peter Highton, ingénieur senior chez Freescale, expliquait que ces voitures interagissantes utilisent un bouquet de divers capteurs (caméras, radars, etc.). Autant d’éléments qui fonctionnent selon un codage que tout «pirate» devra d’abord assimiler, au prix d’un investissement en temps et en puissance informatique décourageant.
Au-delà de ces préoccupations sécuritaires, la Freescale Cup sert aussi de jauge permettant – subjectivement – d’évaluer la qualité de la formation en ingénierie dans un pays. «Nos résultats montrent que nous pouvons être fiers de nos professeurs, de notre école et de l’enseignement qui y est dispensé», estime Louis Hêche. Sur les sept équipes de la HE-Arc de Neuchâtel qui ont construit une mini-voiture autoguidée cette année, deux ont participé aux finales régionales, puis autant à la rencontre européenne de Turin.
Celle de Louis Hêche est Valentin Py est donc encore en course ce mardi, pour la finale mondiale à l’Institut pour les circuits intégrés Fraunhofer, à Erlangen, près de Nuremberg. «Notre concurrent principal sera l’équipe chinoise, avise aussi Serge Monnerat. Là-bas, ce genre de programme est très fortement promu par l’Etat, et de très nombreuses écoles participent.» Au fait, que gagne-t-on à la Freescale Cup? «La reconnaissance éternelle des organisateurs», rit Serge Monnerat. «Et l’occasion de présenter sa voiture au Technology Forum de Freescale», dit Steve Wainwright.