Rencontre avec Peter Diamandis, l’un des pionniers du tourisme spatial, qui propose d’aller voir la face cachée de l’astre
L’espace serait une des destinations touristiques «phares» à venir. Et si cette forme d’évasion se développe, c’est en grande partie grâce à un entrepreneur et scientifique visionnaire, Peter Diamandis. Pour cet Americain, «ouvrir la frontière de l’espace à tous est un impératif moral!» C’est ce pionnier qui co-fonde, en 1998, SpaceAdventure, société qui propose des billets pour un siège à bord de la fusée russe Soyouz, pour quelques dizaines de millions de dollars – 20 en l’an 2000, 53 aujourd’hui. A ce jour, huit millionnaires ont tenté l’aventure. Cinq ans plus tôt, il fonde ZeroGravity, qui vend au public des vols en microgravité dans un avion de ligne modifié; les premiers passagers ont embarqué en 2004. Cette même année, c’est un autre de ses projets qui aboutit: l’Ansari X Prize.
En 1996, sans beaucoup d’argent ni de sponsors, il lance le défi suivant: l’équipe (privée) qui réussira à faire voler un engin jusqu’à l’altitude de 100 km – la limite admise de l’espace – et à rééditer l’exploit, avec le même véhicule, au plus tard dans les deux semaines qui suivent, recevra 10 millions de dollars. Huit ans plus tard, le vaisseau SpaceShipOne, de la société Scaled Composite, décroche la palme. Peu après, la technologie est rachetée par le milliardaire Richard Branson, qui fonde la compagnie Virgin Galactic pour proposer un tel vol au grand public avec une version améliorée baptisée SpaceShipTwo, ouvrant grande la voie au tourisme spatial.
Ce domaine est aujourd’hui en pleine expansion, plusieurs autres compagnies s’étant lancées, la dernière en date étant celle de Paul Allen, le cofondateur de Microsoft, qui a présenté en décembre 2011 le projet d’un avion similaire au SpaceShipTwo. Un premier «SpacePort», pendant spatial des aéroports, a même été construit dans le désert du Nouveau-Mexique (Etats-Unis) et inauguré en octobre 2011. Certaines promesses de vols d’essai tardent toutefois à se concrétiser.
Et en 2007, la Fondation X Prize de Peter Diamandis a lancé un autre challenge, dont l’objectif est d’aller sur la Lune avec un robot. Le point sur tous ces projets, et d’autres.
Le Temps: On attend toujours les premiers vols-tests du SpaceShipTwo de Richard Branson, promis pour 2008. Récemment, une explosion dans les hangars de la société Scaled Composite, qui construit ses réacteurs, a tué trois ouvriers. Où en est-on? Le milliardaire n’est-il pas en train de leurrer son public?
Peter Diamandis: Non, le futur reste aussi clair qu’avant, malgré le retard. Les gens qui embrassent ce domaine sont des optimistes, et leur agenda l’est aussi, trop parfois. Mais personne ne veut prendre de risques démesurés. Je connais tous ces ingénieurs, et ils veulent faire du travail sûr. Le problème actuel est de construire des systèmes de propulsion appropriés, qui puissent fonctionner de manière fiable, simple et efficace des centaines de fois par année. Cela reste un défi.
– Certains doutent aussi qu’il y ait un marché réel et durable…
– Il va croître vraiment dès que les premiers vols auront lieu. Le même phénomène a eu lieu avec les vols en microgravité. Aujourd’hui, 12 000 personnes ont pu vivre cette expérience extraordinaire, pour 5000 dollars. Et malgré notre marketing, 99% du public américain ne connaît pas encore cette opportunité. Le potentiel reste énorme.
– Pouvoir payer 5000 dollars pour quelques minutes de microgravité est une chose, en débourser 200 000 pour 5 minutes d’apesanteur à 100 km de la Terre, avec Virgin Galactic par exemple, une autre…
– Ce prix est juste aujourd’hui, et plus de 400 personnes sont déjà inscrites pour le payer. Mais, à nouveau, il va baisser, vu les multiples acteurs qui se profilent. Tout comme celui des vols orbitaux: aujourd’hui, il faut payer 50 millions de dollars pour une escapade dans une fusée Soyouz; nous vendons actuellement trois sièges, pour respectivement 2013, 2014 et 2015, et nous avons des candidats. Mais regardez ce qui se passe aux Etats-Unis: la NASA a confié à des privés, comme SpaceX ou Blue Origin, le développement des vaisseaux pour accéder à l’orbite basse. Très bientôt, ces sociétés vont dynamiser le marché en faisant baisser les prix. Preuve de mon optimisme, nous proposons un autre produit, en accord avec l’agence spatiale russe: pour 120 millions de dollars, vous pouvez grimper dans un Soyouz, passer une semaine dans la Station spatiale internationale, regagner le Soyouz, auquel aura été installé un propulseur spécial, et partir pour une orbite autour de la Lune, voir sa face cachée, comme lors des missions Apollo. Nous allons annoncer sous peu que nous avons sous contrat un premier client. Une fois le deuxième trouvé, les Russes construiront la fusée, capable d’entrer dans l’atmosphère à 25 000 km/h, contre 17 000 lorsqu’on se trouve en orbite basse.
– Trouver un client fut-il difficile?
– La personne doit être très riche, et prête à vivre avec un certain niveau de risque, même si les engins russes sont très fiables. Donc oui.
– Vous avez lancé le Google Lunar X Prize, sponsorisé par la firme éponyme. Les équipes ont été présentées il y a peu. De quoi s’agit-il?
– La première équipe qui parviendra, d’ici à fin 2015, à lancer un robot sur la Lune, à prendre des photos et les faire parvenir sur Terre, à le faire se déplacer de 500 m, et prendre d’autres clichés remportera 30 millions de dollars. A ce jour, 26 équipes, plus ou moins sérieuses, sont sur les rangs, dont deux avec participation suisse. On attend les premiers essais pour 2013. Les équipes doivent lever de gros fonds, et il n’y a qu’un gagnant, mais le prix est à la hauteur. La stimulation est donc grande. De plus, nous avons obtenu de la NASA qu’elle récompense les meilleures avec 30 millions supplémentaires, sous forme de contrats. Nous souhaiterions que l’Agence spatiale européenne (ESA) fasse de même.
– Ce genre de prix correspond vraiment à votre état d’esprit…
– Oui. Dans le domaine spatial, désormais, les percées déterminantes et à bas coûts ne seront plus l’Å“uvre des agences gouvernementales (qui gardent toujours le grand public à l’écart à cause des risques), mais des entrepreneurs qui se lancent. De plus, je suis convaincu que les gens se passionnent beaucoup plus pour les projets auxquels ils peuvent participer, au lieu de simplement regarder. Le Google Lunar X Prize répond à cette demande. Et c’est avec tous ces projets privés, petits ou grands, que l’on parviendra à repartir à la conquête de l’espace, et à exploiter ses ressources énormes, notamment minérales.