Alors que le catamaran de la fondation vaudoise RaceForWater doit se lancer le 9 avril pour sa circumnavigation aux énergies renouvelables, les pères du projet français Energy Observer revendiquent l’antériorité de leur idée
Ce n’est pas une course, dit-on dans les deux ports. Mais, alors qu’ils se préparent depuis des mois, les équipages de deux bateaux futuristes vont attirer ces jours l’attention des mêmes médias en Bretagne, avant de s’élancer pour un tour du monde aux énergies renouvelables. Chacun possède à bord – c’est inédit sur un navire – une chaîne complète de propulsion à l’hydrogène. En Suisse, l’initiative de la Fondation RaceForWater, qui a transformé le catamaran solaire PlanetSolar, est bien connue. Mais en France, c’est Energy Observer qui fait l’objet de reportages à la télévision.
Du côté tricolore, Victorien Erussard, évitant toute polémique, s’avoue «agacé par cette situation» de concurrence implicite entre deux aventures très similaires. C’est depuis 2014 que ce coureur au large développe son idée, imaginée à partir du catamaran avec lequel Sir Peter Blake a gagné le Trophée Jules Verne en 1994. Cet ancien voilier a été recouvert de panneaux solaires, surmonté de deux éoliennes, équipé d’un cerf-volant tracteur. L’équipe s’est aussi attaché les services d’ingénieurs du laboratoire CEA-Liten. «Avec eux, nous avons installé tous les systèmes pour exploiter l’hydrogène, afin de maximiser la mixité des énergies renouvelables utilisées», explique le marin. L’idée consiste à pomper de l’eau de mer, à la désaliniser, à séparer grâce à des électrolyseurs les molécules d’oxygène (O) et d’hydrogène (H2) qui forment le liquide (H2O), à compresser l’H2 dans des bonbonnes. Enfin, lorsque ni le soleil ni le vent ne sont au rendez-vous pour recharger les batteries électriques des moteurs, ce même gaz peut être injecté dans des piles à combustibles pour produire du courant en ne rejetant que de l’eau.
Pour mettre ce navire à flot – ce sera le 14 avril à Saint-Malo – «cette équipe est partie quasi de zéro, analyse sur le blog Hydrogentoday. info le journaliste spécialisé Laurent Meillaud. Ce projet apparaît global, car il y a eu de la recherche sur les panneaux solaires, l’éolien, les phénomènes vibratoires et sur l’aspect logiciel de la chaîne de traction.» «Nous avons voulu faire un démonstrateur des énergies du futur», résume Vincent Caumes, porte-parole du projet, estimé à 5 millions d’euros.
Contre la pollution des océans
Du côté de RaceForWater, budgeté à l’identique, et où l’architecture de propulsion est semblable, on indique avoir voulu aller vite en recourant à des technologies déjà commercialisées. «Mais tout ne tombe pas du ciel, précise Marco Simeoni, fondateur de RaceForWater. Notre R&D a été menée au sein de Swiss Hydrogen, depuis une décennie.» L’investisseur de la PME basée à la BlueFactory de Fribourg insiste aussi sur deux autres aspects propres à son projet: «Notre navire est le vecteur d’un message de protection des océans contre les pollutions aux plastiques.» Durant sa circumnavigation de cinq ans, RaceForWater, qui doit quitter Lorient le 9 avril, a prévu un programme de sensibilisation à cette problématique, et aux manières d’y remédier: la fondation promeut un système de méthanisation des déchets plastique servant à produire du gaz. «Deuxièmement, alors que le catamaran d’Energy Observer pesait 6 tonnes avant modification, le nôtre en faisait 100, dit Marco Simeoni. Nous touchons ici la classe des yachts, et souhaitons montrer que la propulsion électrique peut y être implémentée.»
Etrange coïncidence
Reste l’interrogation concernant la quasi-simultanéité de médiatisation des deux projets. «Nous avons travaillé selon notre calendrier, dit Marco Simeoni. Nous devons être le 20 mai aux Bermudes pour des actions de communication dans le cadre de la Coupe de l’America. L’équipe d’Energy Observer a dû se calquer sur notre agenda, peut-être pour ne pas demeurer en retrait médiatiquement.»
«C’est bizarre, dit de son côté Victorien Erussard. Nous n’avons pas encore de date précise pour notre tour du monde» prévu en 101 escales. Il annonce toutefois un tour de France en 2017. «Nous suivons notre rythme», abonde Vincent Caumes. Qui se demande toutefois: «La cause soutenue par RaceForWater est universelle et importante. Mais pourquoi, pour la défendre, s’attacher en urgence une caution technologique et environnementale au travers des mêmes énergies propres que celles utilisées par Energy Observer?»
Chez RaceForWater, on explique ne pas avoir eu connaissance du projet français lorsque étaient évaluées, fin 2015 déjà, les possibilités d’améliorer énergétiquement l’ancien PlanetSolar. Marco Simeoni admet que «la chaîne à hydrogène ne sera pas exploitée lors des premiers miles nautiques» vers les Amériques, «ses divers modules devant d’abord passer des certifications». L’entrepreneur exclut cependant de recourir aux deux génératrices diesel installées sur son catamaran.
«Malgré ce télescopage, le monde entier va pouvoir découvrir qu’il est possible de naviguer en mode zéro émission avec de l’hydrogène et des énergies renouvelables», tempère Laurent Meillaud. Qui rappelle le lancement de l’Hydrogen Council: au WEF 2017 de Davos, treize leaders industriels de l’énergie et du transport ont lancé une initiative globale pour concrétiser leur ambition de faire de l’hydrogène un accélérateur de la transition énergique.