C’est une bonne nouvelle, attendue, pour les traitements de la paralysie. Des macaques dont la moelle épinière a été lésée, ce qui entraînait un immobilisme partiel de leurs membres d’un côté du corps, ont récupéré une grande partie de leur dextérité manuelle lorsqu’on leur injectait une molécule inédite. Celle-ci permettait aux fibres nerveuses atteintes de se régénérer. Ces résultats, obtenus à l’Université de Fribourg, ont été publiés hier dans la revue Nature Medicine. Ils s’inscrivent dans une étude lancée il y a 23 ans, qui est sur le point d’aboutir. Et qui, sans encore donner d’espoirs démesurés, pourra peut-être aider les futures victimes d’un accident induisant une paraplégie ou une tétraplégie.
Dès 1983, Martin Schwab, aujourd’hui directeur du Centre de recherches sur le cerveau rattaché à l’Université et à l’EPF de Zurich, s’intéresse aux lésions que peut subir la moelle épinière lors d’un traumatisme (accident, chute, choc, etc.). Il observe que les axones, ce câblage reliant les cellules du système nerveux, sont sectionnés. Et surtout que, malgré un faible bourgeonnement, ces fibres ne parviennent pas à se régénérer suffisamment pour rétablir les connexions coupées. Mais dans la foulée, il fait une découverte cruciale: c’est une molécule, baptisée Nogo, qui empêche cette régénérescence spontanée. Les chercheurs développent alors une substance – un type d’anticorps – capable de neutraliser cette molécule inhibitrice. Reste à la tester.
Les premiers essais, menés sur des rats, sont positifs. Mais du rongeur à l’homme, il y a une marge sur l’échelle de spéciation des mammifères. L’équipe décide donc de passer à des expériences sur des macaques, en collaboration avec l’Université de Fribourg. «L’organisation générale du système corticospinal de l’homme est similaire à celle de ces primates, non à celle des rats», justifie le professeur de physiologie Eric Rouiller.
Ces expériences, lancées il y a six ans et strictement contrôlées, ont impliqué douze macaques adultes. Les chercheurs leur apprenaient d’abord à se saisir de grains de nourriture disposés dans les trous d’une plaque en plastique placée devant eux. Après cette période d’entraînement, ces primates subissaient une intervention chirurgicale: leur moelle épinière était partiellement sectionnée d’un côté entre deux vertèbres cervicales. Avec pour conséquence une paralysie notamment de la main correspondante, mais non du bras ou de l’avant-bras, dont les motoneurones sont situés plus haut dans la moelle épinière.
«Peu après la lésion, les singes étaient incapables de pincer les bribes de nourriture avec leurs doigts. Chez six animaux qui n’étaient pas traités, une récupération spontanée se développait petit à petit, mais restait très limitée. Par contre la dextérité des singes bénéficiant du traitement s’en trouvait améliorée de manière significative», résume le professeur. Cette thérapie consiste à insérer sous la peau du singe une petite pompe. Celle-ci injecte l’anticorps anti-Nogo dans le liquide céphalorachidien, qui irrigue la moelle épinière.
Aussi prometteuse soit-elle, cette étude possède ses limitations, liées aux contraintes procédurales inhérentes à toute recherche méthodologique. La lésion induite, très ciblée, est-elle par exemple représentative du traumatisme subi lors d’un accident réel? «Les dommages les plus fréquents sont plus vastes et ont lieu au niveau des vertèbres lombaires, admet Eric Rouiller. Mais nous avons choisi ce modèle parce qu’il préserve au maximum la santé de l’animal, tout en permettant l’observation des effets attendus du traitement.» De plus, dans un cas réaliste, la lésion découle souvent d’une compression de la moelle épinière plutôt que d’une section chirurgicale des fibres. «Cette méthode se situe dans la continuité des études menées sur le rat», légitime le professeur, qui assure: «Notre modèle est aussi représentatif que possible d’une situation dans laquelle la moelle épinière n’est pas totalement brisée.»
«Ces résultats sont très importants, commente James Fawcett, directeur du Centre pour la réparation du cerveau à l’Université de Cambridge. D’abord parce que les macaques sont physiologiquement proches de l’homme. Mais surtout, parce que le traitement semble être dépourvu d’effets secondaires indésirables. Dans un tel cas, on se doit de l’expérimenter aussitôt sur l’être humain.»
Martin Schwab n’a ainsi pas attendu la publication hier de ces résultats, obtenus en 2005. Après des études toxicologiques et l’obtention des autorisations éthiques, les essais cliniques ont été lancés il y a quelques semaines avec une molécule anti-Nogo développée par Novartis (LT du 20.1.2006). Mais Eric Rouiller avertit: «Chez les macaques, de petits animaux, nous n’avons obtenu une repousse des fibres que sur 12 millimètres. Un patient humain ne va donc pas recouvrer toute sa mobilité avec cette thérapie. C’est l’ampleur de la paralysie qui pourra être réduite.»
L’avenir consistera peut-être à combiner cette technique avec d’autres. «A l’endroit de la lésion se crée un tissu cicatriciel imperméable aux axones. Des recherches sont en cours, qui visent à annihiler cet obstacle à la régénération de ces fibres», explique le professeur.
Par ailleurs, une avancée supplémentaire pourrait venir du cerveau. Dans le cadre d’autres expériences, toujours chez des macaques, l’équipe fribourgeoise génère des lésions restreintes de ces projections nerveuses à leur origine même, dans le cortex cérébral, plutôt que dans la moelle épinière. Des dommages qui peuvent aussi être la cause de paralysie. Puis, les chercheurs appliquent à ces primates leur même anticorps.
«De manière préliminaire, nous observons une récupération augmentée avec le traitement, qui résulte probablement d’une réorganisation cérébrale. Et là, l’enjeu clinique est énorme, car la population de patients souffrant de lésions corticales de ce type est beaucoup plus grande», conclut Eric Rouiller.