Des terres rares, éléments chimiques particuliers entrant dans la composition d’appareils électroniques, ont été découvertes par des scientifiques genevois et bernois autour d’une planète gazeuse située à 650 années-lumière de la Terre.
Pourquoi c’est important. C’est moins l’objet de la découverte qui est intéressant, que la capacité des scientifiques à être parvenus à déceler ces éléments avec les instruments terrestres actuels. Cette avancée est de très bon augure pour la traque aux biosignatures de la vie ailleurs dans l’Univers.
De quoi on parle. D’une géante gazeuse située dans la constellation du Cygne, nommée KELT-9b, et où il fait environ 4000°C dans son atmosphère. A cette température, tous les éléments sont en phase gazeuse, et les molécules complexes brisées en atomes distincts.
Cela veut dire que l’atmosphère de KELT-9b ne contient aucun nuage, ni aérosol, mais laisse très bien passer la lumière émise par l’étoile autour de laquelle orbite cette exoplanète. Or cette lumière, lorsqu’elle est observée depuis la Terre, porte en elle les traces de son absorption par les éléments chimiques qu’elle rencontre. Des traces qui trahissent donc l’absence de ces derniers.
Le contexte. La chasse aux exoplanètes bat son plein depuis 1995 et la découverte de la première d’entre elles par des chercheurs de l’Université de Genève. Au 9 mai, on en avait découvert 4063, selon la recension la plus à jour. De toutes sortes (solide, gazeuse, possiblement entièrement recouverte d’eau), de toutes tailles, et seules ou installées en systèmes planétaires.
La plupart ont été découvertes avec des instruments appelés spectrographes, qui permettent de déceler le dandinement des étoiles de notre galaxie et donc de révéler la présence, autour d’elles, de planète(s) responsable(s), à travers la force de gravité, de ce mouvement régulier.
Depuis peu, les astrophysiciens s’attachent à décrire l’atmosphère de ces exoplanètes. Toujours en utilisant les mesures des spectrographes, mais en étudiant les spectres de lumière en provenance de ces étoiles lointaines.
Ce que les chercheurs bernois et genevois ont découvert. Autour de KELT-9b, des traces de différents éléments observés pour la première fois dans une atmosphère exoplanétaire: scandium et yttrium, soit des terres rares. Ils y ont aussi décelé du sodium, du magnésium, du chrome.
Jens Hoeijmakers, post-doctorant aux Universités de Berne et Genève, et premier auteur de ces recherches publiées dans Astronomy&Astrophysics:
«Sur la base de nos analyses, on peut même estimer à quelle altitude dans l’atmosphère de l’exoplanète les atomes de ces éléments ont absorbé la lumière.»
Comment ils ont procédé. Les scientifiques ont utilisé un télescope basé à l’observatoire de La Palma, aux Iles Canaries, et sur lequel a été installé le spectrographe HARPS-Nord.
L’avis de l’expert. Professeur au Center for Space and Habitability de l’Université où travaille Jens Hoeijmakers, mais sans pour autant avoir travaillé avec lui sur cette étude, Willy Benz loue cet exploit scientifique:
«Que des terres rares se retrouvent autour d’autres planètes lointaines n’est pas extraordinaire ou étonnant en soi. Par contre, qu’un spectrographe comme HARPS-Nord, construit pour détecter des exoplanètes, parviennent à déceler ces éléments est une réelle prouesse. Et contient une belle promesse pour la suite.»
Le futur. Les astronomes de l’ESO viennent en effet d’installer, sur le télescope VLT au Chili, un spectrographe de dernière génération, ESPRESSO. Non loin de là, ils préparent la construction de l’immense E-ELT, un télescope doté d’un miroir de 39m de diamètre, et qui devrait être mis en service en 2024. Willy Benz:
«Toute la communauté des astrophysiciens attend le lancement du James Webb Space Telescope [le successeur de Hubble, dont le lancement ne cesse d’être retardé, ndlr], et qui pourra ausculter les atmosphères exoplanétaires. Mais cette nouvelle étude montre que ces instruments (ESPRESSO, E-ELT) pourront être utilisés pour mener, depuis le sol, des études de spectres lumineux extrêmement précises.»
Le rêve. Jens Hoeijmakers en a un:
«Les chances sont bonnes qu’en utilisant la même technique, nous puissions un jour trouver les bio-signatures de la vie sur d’autres planètes», sous la forme d’éléments chimiques relâchés par des organismes vivant sur la planète en question. «Au bout du compte, ce qu’on souhaite, c’est mieux comprendre la naissance et le développement du système solaire, et l’apparition de la vie dans celui-ci.»