Plusieurs récentes études scientifiques ont vérifié les effets de deux substances qui induiraient une cure de jouvence des organes et des muscles. Déjà sur le marché, car naturelles, elles font fureur à la vente sur Internet. Les experts sont à la fois prudents et enthousiastes
«Pouvoir arrêter le processus du vieillissement est un rêve transgénérationnel. Il est en passe de devenir réalité depuis que des scientifiques pensent avoir trouvé un moyen, non d’appuyer sur ‘pause’, mais de rembobiner le processus!»
Ce texte sort d’une publicité. Pour un nouveau type de préparations en gélules qui font fureur sur Internet, accessibles dès 57,99 dollars le flacon. Des produits constitués de deux molécules apparentées, sortes de vitamines, objets d’une myriade d’études scientifiques publiées en 2016, et qui sont désormais au centre d’essais sur l’être humain. Leurs noms barbaro-chimiques: nicotinamide ribose (NR) et nicotinamide mononucléotide (NMN). Après la vague du resvératrol, un antioxydant retrouvé dans les raisins rouges (donc dans le vin!), voici ce que d’aucuns présentent déjà comme les indispensables compléments nutritifs pour «vieillir en bonne santé».
Moteur à énergie
Ce domaine de recherche en plein boom trouve l’une de ses origines dans l’étude d’une maladie rare liée à la malnutrition, appelée pellagre. Celle-ci se manifeste par trois symptômes: affections cutanées, diarrhée et démence. Ces travaux ont permis d’identifier une substance centrale dans le bon fonctionnement des cellules, nommée NAD +. Diminuez-en la quantité et c’est une cascade d’effets peu agréables qui survient sournoisement: fatigue, perte de force musculaire, stockage de graisses dans l’abdomen et le foie, dégénérescence cérébrale. La raison? Le NAD + joue notamment le rôle d’essence dans le «moteur à énergie» des cellules que sont les mitochondries. Sans ce carburant, c’est tout le métabolisme qui péclote. Or, il a été montré que le vieillissement en fait justement baisser le niveau. «Les scientifiques se sont donc dit qu’une supplémentation en NAD + pouvait permettre de contrecarrer ces effets délétères du temps qui passe», dit Eric Verdin, de l’Université de Californie, et auteur d’une analyse publiée dans Science.
Problème: le NAD + ne se laisse pas gober comme un bonbon. Il faut plutôt utiliser des molécules «précurseurs», c’est-à-dire qui se transforment en ce métabolite: justement les fameuses NR et NMN, actives elles aussi dans et autour des cellules. Présentes naturellement dans certains aliments (brocoli, avocat, viande, lait), ces molécules peuvent être synthétisées en laboratoire.
Premiers essais cliniques
Depuis plusieurs années, nombre de travaux, dont ceux de Johan Auwerx à l’EPFL, ont effectivement indiqué que donner des hautes doses de NR à des souris dynamisait leurs mitochondries, et freinait la dégénérescence de leurs organes et muscles. Et en octobre 2016, Charles Brenner, à l’Université d’Iowa, a établi, chez des patients cette fois, qu’une seule dose ingérée de NR permettait presque de tripler le taux de NAD + dans leur sang! Depuis, six essais cliniques sont en cours.
Concernant l’autre molécule, le NMN, considéré comme plus «puissant», rapide et efficace, des effets similaires ont été observés chez les rongeurs. Mieux: fin 2016, deux études publiées ont montré des bienfaits contre la démence, et une action en faveur de la régénération après des dommages cérébraux, ceci toujours sur des souris. La communauté scientifique attend maintenant avec impatience les résultats du premier essai clinique chez l’homme, lancé en juillet 2016 à l’Université de Keio, au Japon, avec pour but d’évaluer que l’administration de NMN est sans danger. «Les résultats détaillés sont en cours d’évaluation, mais ils vont dans le sens d’une innocuité», confie en primeur au Temps Shin-Ichiro Imai, responsable de cet essai, en poste à l’Université Washington à Saint-Louis (Missouri). De quoi susciter de fols espoirs auprès de tous ceux qui détestent l’idée de vieillir.
Experts confiants
Mais de tous côtés, on avertit: contrairement à ce que dit la publicité, ces molécules n’inversent pas le vieillissement, elles ne font que ralentir ses effets sur l’organisme, en redonnant des coups de fouet au métabolisme. «Par ailleurs, explique sur son blog Michael Rae, expert à la Fondation américaine SENS contre le vieillissement, les études ont été menées sur de brèves périodes. Ces molécules peuvent bien aider les mitochondries à produire plus d’énergie pour les cellules, elles ne réparent pas les dégâts s’il y en a. De même, si l’on presse sur la pédale des gaz dans une voiture dont les pistons sont endommagés, l’engin avance certes plus vite, mais le problème n’est pas réglé…» Eric Verdin avertit aussi: «Aucune institution privée ou publique ne voudra se lancer dans une étude clinique sur des patients jeunes, sains et jusqu’à leur âge avancé, tant celle-ci serait coûteuse et complexe.»
Autre point souvent soulevé: «La translation à l’homme des résultats très prometteurs obtenus sur des souris, dit Laurent Mouchiroud, de l’EPFL. Le modèle animal est bon pour les recherches exploratoires. Mais il faut se garder de conclure que les effets seront systématiquement les mêmes chez des patients avant d’avoir réalisé les essais cliniques appropriés.» «C’est vrai, il faut valider toutes ces études chez l’homme», dit Shin-Ichiro Imai. Mais lui se veut très confiant, car «là, les processus biochimiques en jeu sont exactement les mêmes chez la souris et l’humain». De plus, reste la question des doses: transposées à l’homme, les observations sur les rongeurs concernant la molécule NR impliqueraient que les patients doivent avaler 18 à 30 pilules par jour, pour un coût mensuel de plusieurs centaines de dollars, afin d’espérer des effets similaires, détaille Michael Rae.
Marché sauvage
Toutes ces réserves n’ont pas empêché moult sociétés de se lancer dans la vente de ces molécules. Sans l’aval préalable des autorités de santé qui se basent sur de vastes essais cliniques? «Nous sommes sur le marché des nutriments, et il est sauvage», explique Shin-Ichiro Imai. «Ces molécules ne doivent pas passer les mêmes tests que les médicaments, ajoute Laurent Mouchiroud. Parce qu’elles n’ont pas pour vocation de traiter une maladie – pour l’instant –, et surtout parce qu’elles sont naturelles.»
Selon Shin-Ichiro Imai, «si vous êtes conservateur de nature, la bonne attitude serait d’attendre les résultats d’essais cliniques à venir» avant de consommer de tels produits. «Mais si vous êtes intéressé, vous seul êtes juge. Ces nutriments ont l’air très prometteurs. Et pourraient faire partie d’un régime recommandé pour un ‘vieillissement productif’», conclut-il, en notant à quel point ce concept sera crucial dans des pays comme le sien, le Japon, où 40% de la population aura plus de 65 ans dès 2050. Eric Verdin, lui, s’est déjà décidé: «Comme moult collègues, je consomme ces précurseurs de vitamine. A satisfaction.»