Le retour des avions supersoniques, descendants du fameux Concorde, se concrétise. Cinq projets sont sur les rangs. A quand un lunch à New York avec un retour au crépuscule?
Aller et revenir de New-York dans la journée, pour y déjeuner. Rejoindre Mumbai depuis Londres pour une séance. Voler plus vite que le son. La possibilité qu’offrait le Concorde à la fin du XXe siècle réapparaît sur les écrans radar: cinq sociétés développent les aéroplanes supersoniques du futur. Des engins débarrassés de l’une des entraves qui ont fini par clouer à terre l’avion blanc au nez pointu: un «boom», dû au passage du mur du son, insupportable depuis le sol. Plusieurs jalons devraient être posés en 2017 dans ces divers projets soutenus pour certains par des acteurs notoires de l’aérospatial (Lockheed Martin, Nasa, Airbus) ou des magnats célèbres (Richard Branson, de Virgin).
Le Concorde, qui traversait l’Atlantique en trois heures à près de 2150 km/h, a volé pour la dernière fois en 2003. «Depuis, le transport supersonique n’est dit-on commercialement pas viable, explique Samuel Hammond, du Niskanen Center, think thank de Washington, dans une récente étude. Mais les raisons de l’échec du Concorde sont bien connues, et n’ont rien à voir avec la viabilité du vol supersonique en général. Aujourd’hui, il est plus que possible de fabriquer un avion plus rapide et plus abordable.»
Jadis, les défauts rédhibitoires étaient le bruit et les coûts. Aussi majestueux fut-il, l’oiseau blanc n’était pas discret. En fendant l’air plus vite que le son, un avion comme lui y génère des ondes de choc, sur son nez, ses ailes, sa queue. En se propageant vers le sol, ces ondes se groupent et s’additionnent. De quoi créer à terre un double et abrupt changement de pression de l’air: le «boom» ouï dans le sillage de l’aéronef.
Plusieurs équipes, dont le constructeur Lockheed Martin, tentent de moduler la forme aérodynamique de l’avion pour amoindrir ces ondes de choc, et éviter qu’elles ne s’agrègent. De quoi, au sol, diminuer le «boom» de plus de 30 décibels, le faisant ressembler au claquement d’une portière. Avec un contrat de 20 millions de dollars de la NASA, cette société américaine développe les plans de son «Quiet Supersonic Technology X-plane», qu’elle doit présenter cet été. Au Japon, l’agence spatiale JAXA a testé une maquette du même genre en 2015, la lâchant d’un ballon stratosphérique. Du côté américain, un prototype, devisé à 300 millions, pourrait voler d’ici 2020, annonce-t-on à la Nasa.
Plus futuriste, la firme HyperMach Aerospace travaille sur son HyperStar, presque un avion-fusée, devant voler à 27000 m d’altitude à Mach5 (cinq fois la vitesse du son, qui est de 1224 kilomètres heure) en emportant 36 passagers. Son secret? Une «technologie électromagnétique de réduction de traînée». L’idée – à éprouver – est de produire, autour des parties de l’avion créant les ondes de chocs, un nuage de particules chargées (plasma) susceptible d’atténuer ces dernières. La société devrait commencer sous peu des tests sur un modèle réduit en soufflerie.
Diverses recherches sont aussi menées sur les moteurs. Si les jets de com bat utilisent des technologies novatrices, les avions supersoniques doivent encore recourir à l’habituelle combustion d’un mélange d’air et de kérosène, qui produit la poussée nécessaire. Or pour aller plus vite que le son, la consommation de fuel devient énorme. Pire, pour décoller, ces moteurs font un bruit d’enfer. Souvent trop pour respecter les limites. «L’on peut imaginer développer un moteur satisfaisant, autant au décollage qu’en vol de croisière. Mais atteindre Mach 2.2 (2,2 fois la vitesse du son) ne se fera pas sans compromis sur le design et sans douleur» sonore, admet Blake Scholl.
Ce pilote, ancien d’Amazon, a fondé Boom. Mi-novembre 2016, cette startup de Denver a présenté son prototype d’un tri-réacteurs devant s’envoler fin 2017 pour des essais. Un engin, trois fois mois grand que la version finale prévue pour 2020, pensé pour annihiler l’autre problème des vols supersoniques: leur cherté. «Il y a un prix à vouloir aller vite, explique Graham Warwick, expert à la revue Aviation Week, c’est donc la consommation de carburant. Si elle est déjà élevée à haute vitesse, elle l’est encore plus à basse vitesse pour des raisons d’efficacité moindre…» La solution? Alléger l’aéronef. Par exemple en utilisant des matériaux plus légers, en fibres de carbone ou en aluminium. C’est cette technologie que suivent Boom, mais aussi son concurrent, l’américain Aerion.
Hublots-écrans
Cette société, la plus avancée, développe l’AS2, destiné à voler à Mach 1.5. Elle a trouvé une manière simple de limiter le poids total: n’embarquer que 12 personnes, contre 40 à 50 chez Boom ou Lockheed Martin. Même nombre de passagers chez le cinquième concurrent de cette course supersonique, Spike Aerospace, de Boston, qui ajoute une idée au panier: remplacer les hublots, dispendieux à insérer, par des surfaces pleines, mais des écrans aux parois intérieures montrant… l’extérieur. Premiers vols annoncés en 2023 pour Aerion, 2020 pour Spike.
Y aura-t-il un marché pour ces flèches supersoniques, sachant qu’à 20000 francs le billet sur le Concorde, ce fut là l’autre raison qui a conduit ce phénix au musée? Convaincu que oui, Blake Sholl dit pouvoir proposer des tickets à 5000 dollars. «Pour les business jet d’une dizaine de places, il y a un marché, chez les puissants qui jouent de ce genre d’engins de prestige, assure Graham Warwick. Mais cela restera un niche.» Le marché des vols supersoniques pourrait se monter à 260 milliards de dollars, pour un besoin de 1300 avions d’ici 10 ans, estime l’analyste Boyd Group International cité par Aviation Week. Dans son étude, Samuel Hammond en entrevoit plutôt 450, mais souligne l’engouement dans les milieux industriels. Ainsi Airbus a-t-il annoncé en 2015 un partenariat avec Aerion lui permettant de suivre en primauté les activités de cette dernière. «Nous échangeons avec eux des informations technologiques», se borne aujourd’hui à commenter un porte-parole du géant européen. La société de jets privés Flexjet, elle, a déjà passé commande pour 10 AS2 à Aerion. Richard Branson, patron de Virgin, a réservé dix exemplaires chez Boom.
Mais cette course sera vaine, ou presque, si un autre écueil n’est levé: aux Etats-Unis depuis 1973, comme dans maintes régions du monde, les vols supersoniques sont interdits sur les terres. Boom, Aerion et Spike ont déjà annoncé qu’elles n’envisageaient des vols supersoniques que sur les océans. «La NASA, elle, veut d’abord changer les règles, puis révolutionner tout le domaine, conclut Graham Warwick. Ceci en montrant que l’impact sonore du boom supersonique peut devenir tolérable. C’est le but de la prochaine étape de toute cette histoire. Grâce aux projets technologiques, ce n’est cette fois plus une illusion.» Ni, dès lors, d’aller luncher à Manhattan depuis le Vieux Continent, en rentrant au crépuscule.