Il y a le «connu connu», l’«inconnu connu», et l’«inconnu inconnu», avait résumé un secrétaire à la Défense des Etats-Unis. Cet aphorisme s’applique bien à l’ère fantastique qui s’ouvre au CERN. Outre la confirmation des bases établies depuis des décennies pour décrire la matière (le «connu connu»), les physiciens espèrent observer le furtif boson de Higgs, ou trouver des traces de l’énigmatique «matière sombre» qui, selon les calculs, emplit le quart de l’Univers (deux parmi d’autres «inconnus connus»).
Ces chercheurs ressemblent à ces immodestes navigateurs qui, après avoir établi la rotondité de la Terre, pouvaient enfin se faire une idée plus précise de la distance les séparant de nouveaux continents. Mais surtout, ils se réjouissent aussi d’entrevoir des terres dont ils n’imaginent même pas les contours.
Cette quête fabuleuse date de la nuit des temps, avant même Démocrite qui postulait, au IVe siècle av. J.-C. déjà, l’existence d’atomes. Car la science, comme la religion ou les arts, ne cesse de nourrir l’esprit humain en l’interrogeant sur cet Univers qui l’entoure, d’où il vient, et comment il «fonctionne». Renoncer à ce questionnement reviendrait à trahir l’héritage culturel le plus profond de l’humanité.
Avec 10 milliards de francs, des hommes du monde entier ont donc construit un des outils les plus pharaoniques et complexes pour enrichir le legs des savoirs aux générations à venir. C’est là la justification ultime du LHC. N’en déplaise à ceux qui brandissent des menaces de fin du monde, irrationnelles et scientifiquement injustifiées.
Dans une société où la recherche suscite parfois indifférence ou méfiance, où les étudiants se détournent des filières scientifiques, où la technologie s’apprécie surtout sous son côté ludique, le LHC et les découvertes qu’il promet offrent aux scientifiques, aux médias, et avant tout aux enseignants des sciences, une occasion qui ne se représentera pas d’ici longtemps avec un tel éclat. L’occasion de catalyser et de faire partager cette humble et si fascinante aspiration à explorer les «inconnus inconnus».