Au Groenland, le glaciologue zurichois Konrad Steffen a installé il y a 30 ans un réseau unique au monde de stations de mesure de la fonte des glaces. Avant de disparaître dans une crevasse. C’est cette histoire autant humaine qu’environnementale que raconte un documentaire dévoilé ce 24 janvier 2025 aux Journées cinématographiques de Soleure.
Un désert blanc à perte de vue, sous l’emprise des changements climatiques, qu’un chercheur zurichois aura étudié comme personne d’autre: « Konrad Steffen, que ses amis appelaient Koni, a observé l’activité de cette glace durant 30 ans », explique d’emblée Corina Gamma, réalisatrice du documentaire « Der Eismann », dévoilé aux Journées cinématographique de Soleure 2025.
Comme personne, au point d’y disparaître il y a cinq ans, probablement tombé dans une crevasse.
C’est l’aventure d’un passionné des grands espaces, longtemps exilé aux Etats-Unis, aussi obstiné que parfois rude et solitaire, que raconte ce documentaire: « Il a fini sa vie là où son âme a toujours été. Cela m’a motivé à faire un film pour montrer cette symbiose entre un homme et son environnement », poursuit Corina Gamma.
C’est donc l’histoire d’un baroudeur badin, aux airs de Davy Crocket. Mais celle d’une épopée scientifique aussi. « SwissCamp est un hotel première classe, bien sûr; chacun a sa propre chambre… », décrit Konrad Steffen dans le film, en montrant des tentes balayées par un vent glacial… Swiss Camp: une base scientifique perdue au milieu du Groenland, d’où il gérait un réseau de 30 stations météorologiques réparties sur la calotte du Groenland, scrutant sa fonte et son impact sur l’élévation des océans: « Nous avons fait les mesures ici depuis 1990. Et depuis 22 ans, la température a augmenté de 4°C », nous indiquait-il lors de notre propre visite au SwissCamp, en mai 2013.
Le rôle des moulins dans la calotte
Cette présence soutenue sur la calotte a notamment permis de quoi découvrir le rôle joué par les «moulins», ces trous où s’engouffre l’eau pour aller sous la glace, et qui font s’accélérer cette débâcle: « Plus la fonte s’accentue, plus il y a de moulins, et plus l’eau est drainée en sous-sol en quantité.
Et durant l’été, cela fait se déplacer la calotte vers la côte plus de deux fois plus vite », explique Konrad Steffen à l’ancienne Conseillère fédérale Doris Leuthard, dans une des trois tentes hémicylindrique du camp. Car Koni Steffen aimait faire venir au SwissCamp les décideurs, comme aussi l’ancien vice-président américain Al Gore, pour leur montrer l’urgence de la situation climatique, et l’importance d’acquérir des données sur la durée, comme le rappelle son fils Simon dans le film: « Pour parler de climat, par définition, il faut 30 ans de mesures. C’est donc symbolique qu’il ait disparu lors de sa 30e année au Swiss Camp. » « C’est comme s’il avait accompli son devoir… », le relance Corina Gamma. « Oui, c’est vrai, rétorque Simon Steffen. Je n’avais jamais vu cela ainsi. »
« Koni était visionnaire : il savait, bien avant que cette fonte de la calotte ne débute, que les changements climatiques seraient importants », souligne le chercheur Jason Box, qui a longtemps accompagné Konrad Steffen dans ses expéditions pour monter les stations météos, et qui gère maintenant ce réseau GEUS pour une institution scientifique danoise.
Une série de mesures unique au monde, fil rouge donc du testament filmé de la vie d’un chercheur méconnu, où se lit aussi la chronique d’un monde qui fond.