Il y a une chance sur deux qu’il pleuvine à Pékin le 8 août, selon les statistiques établies depuis 1951. De quoi perturber la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Pour éviter l’affront d’un événement planétaire ne se déroulant pas comme sur du papier à musique, les officiels chinois ont tout prévu: les météorologues pourront changer les conditions météo, a déclaré il y a 15 jours Chen Zhenlin, vice-directeur de l’Administration météorologique de Chine.
En sciences et en météo comme dans d’autres domaines, les JO représentent une formidable occasion de montrer au monde ses capacités. Le Bureau pour la modification du temps s’est doté d’un super-ordinateur capable de fournir des prévisions heure par heure, et kilomètre par kilomètre, sur plus de 44000 km2. Surtout, selon un article paru dans la revue Nature, il dispose de 35 avions, 7000 canons et 5000 lance-roquettes servant à «ensemencer» les nuages, et à faire pleuvoir à souhait.
Selon les chiffres officiels chinois, ce dispositif aurait permis de «fabriquer» 250 milliards de tonnes de pluie entre 1999 et 2006 dans le pays. De quoi se targuer d’avoir le plus important programme de modification du temps au monde. Aujourd’hui, le gouvernement y investit 60 millions de francs par an, et emploie 35000 personnes, dont 1500 professionnels. Des recherches concluent que la technique permettrait d’augmenter de 20% les précipitations locales.
«Ces études n’ont jamais été publiées dans des revues scientifiques, et suscitent beaucoup de scepticisme», avertit d’emblée Jean-Louis Brenguier, responsable de la recherche expérimentale à MétéoFrance. La Chine n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Les premières expériences de modification du temps datent de 1946 aux Etats-Unis; en Chine, elles ont commencé en 1958.
«Pour les comprendre, il faut d’abord revenir aux principes qui donnent naissance aux nuages, dit le météorologue français. Dans l’air saturé d’humidité qui s’élève dans l’atmosphère et se refroidit, l’eau se concentre autour des noyaux présents (aérosols, poussières, etc.). Lorsque ces microgouttelettes en suspension atteignent 30 micromètres de diamètre, elles se rencontrent, forment des gouttes millimétriques, et tombent.»
Les scientifiques ont jadis observé qu’il était possible d’intervenir sur ce processus dynamique, afin de provoquer ou retarder la pluie. Comment? En incorporant dans le nuage deux types de noyaux de condensation supplémentaires: soit des «grosses» graines (iodure d’argent, neige carbonique entre autres), qui vont forcer les gouttes d’eau à atteindre plus vite leur taille critique de chute. Soit une myriade de petits noyaux (d’azote liquide surtout), dans l’idée de démultiplier le nombre de points de condensation, et donc de microgouttelettes, différant ainsi le moment où celles-ci seront devenues assez massives pour choir. Ces produits peuvent être largués depuis un avion, ou propulsés dans le ciel à l’aide d’un canon ou d’un lance-roquettes.
Aujourd’hui, les Chinois n’envisagent pas d’agir autrement: si un nuage noir menace le stade olympique, ils tenteront avec la première méthode de le faire pleurer avant qu’il ne survole l’enceinte, ou alors, avec le «plan B», de le faire patienter le temps qu’il la dépasse.
«Le problème, c’est qu’en soixante ans de recherches (ndlr: surtout aux Etats-Unis et en Russie) personne n’a pu apporter la preuve définitive de l’efficacité de ces méthodes», poursuit Jean-Louis Brenguier, en se référant à une vaste enquête du Conseil de la recherche américain, publiée en 2003. Pourquoi? «Nombre de paramètres météorologiques varient sans cesse. Ainsi, il est ardu de faire des expériences «grandeur nature» reproductibles, livrant des statistiques claires. D’ailleurs, on manque de valeurs de référence: on ne sait a priori pas si et combien de pluie un nuage va donner, avant qu’on l’ensemence… Pire, l’effet sur le nuage est parfois opposé à celui qui était désiré.» Au fil des ans, le caractère imprévisible de ces recherches a ainsi fait se tarir leurs sources de financement.
Dans le monde, l’on dénombre aujourd’hui 150 projets de modification du temps, répartis dans une quarantaine de pays. Jean-Louis Brenguier se veut clair: «Ensemencer les nuages fonctionne dans certains cas. Mais la démarche reste aléatoire. Prétendre qu’on peut contrôler un nuage comme s’il s’agissait d’un réservoir fini est exagéré. Le chiffre de 20%, en Chine, est donc cité «au culot», pour justifier les budgets encore investis dans ce domaine.» Chen Zhenlin, de son côté, a tout de même admis que la technologie a ses limites: «La modification pourra être utile en cas de bruine, mais en cas d’orages personne ne peut nous aider.»
Qu’importe, la Chine n’est pas près d’y renoncer, et va même étendre ses plans d’ici à 2011. Cela pour une autre raison que les JO. Le pays est sec – il ne reçoit que 65% de la moyenne des précipitations mesurées dans le monde. Les paysans estiment que tenter de «faire pleuvoir» pour grappiller quelques litres d’eau vaut mieux que regarder passer un nuage. Pour preuve, deux tiers des 2900 contés du pays ont leur station d’«ensemencement».
Plusieurs observateurs, tel le météorologue William Cotton, cité par l’AFP, craignent néanmoins que les dirigeants (ab)usent de cette technologie comme d’une «politique placebo» les montrant sous le jour d’un gouvernement actif, mais dilapidant des ressources financières. Jean-Louis Brenguier abonde: «Pour les JO, sur une période très courte, le jeu peut en valoir la chandelle. Mais sur le long terme, miser sur ces technologies n’est économiquement pas assez intéressant.»