Le Swiss Polar Institute, créé à l’EPFL sous l’impulsion de l’entrepreneur et explorateur Frederik Paulsen, doit fédérer et valoriser à l’étranger la recherche polaire suisse
Aider à faire entrer la Suisse dans le premier cercle des pays scientifiquement présents dans les régions polaires, en tant que nation et pas seulement par l’entremise de projets isolés. C’est ce que doit permettre la création du Swiss Polar Institute (SPI), présenté lundi à Berne. L’occasion aussi de présenter son premier grand projet: l’«Antarctic Circumnavigation Expedition» (ACE), un tour du continent blanc en trois mois dès fin 2016, à l’aide d’un navire russe hébergeant une cinquantaine de chercheurs de 22 projets.
Ce nouvel institut est dédié à l’étude, cruciale, des environnements extrêmes et des pôles, tant ceux-ci sont les jauges du climat futur de la Terre. Et «sont réunis là tous les acteurs académiques majeurs du domaine en Suisse (EPFL, EPFZ, WSL, Université de Berne)», s’est réjoui Mauro Dell’Ambrogio, secrétaire d’Etat à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (Sefri), qui patronne cette initiative, attendue depuis quelque temps, sur un plan politique aussi.
En 1961 a été établi le Traité sur l’Antarctique pour réglementer les activités sur place. Ce texte a été ratifié par 50 pays, mais seules les 29 nations qui peuvent attester d’une présence régulière marquée (à travers une station, des expéditions ou des programmes renouvelés) sont considérées comme des «parties consultatives», et ont un droit de vote aux réunions où est discuté ce traité et ce qu’il permet (aussi dans d’autres domaines que la science, comme la possible exploitation des ressources). La Suisse, elle, est depuis 1990 une «partie non consultative», avec un seul droit de parole, car ses activités en Antarctique sont minimes.
Pour acquérir ce statut de «partie consultative», un pays doit remplir deux conditions: premièrement, signer le Protocole de Madrid, qui correspond au texte d’application de la «loi» que serait le Traité de l’Antarctique. En mars, le Conseil fédéral a soumis au parlement sa demande pour pouvoir agir en ce sens. Deuxièmement, la Suisse doit faire la preuve d’activités soutenues dans les régions polaires, si possible en collaboration avec d’autres pays. En 2013, il a été question d’associer la Suisse à la Belgique dans la gestion de la station antarctique belge Princesse-Elisabeth. Mais ce projet n’a pas abouti. «A terme, parce qu’il souligne nos actions dans le domaine polaire, la création du SPI pourrait aider» la Suisse à se faire attribuer par les «parties consultatives» ce même statut, explique Reto Dürler, chef de l’Office suisse de la navigation maritime, rattaché au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qui gère ce dossier.
Le SPI est né de discussions récurrentes entre les acteurs de la recherche polaire en Suisse, et un homme, Frederik Paulsen, initiateur de toute l’aventure. Patron de l’entreprise Ferring Pharmaceuticals établie à Saint-Prex, consul honoraire de Russie en Suisse, le propriétaire des Editions Paulsen est aussi un explorateur polaire aguerri – il a lancé et conduit moult expéditions. La nouvelle entité, explique-t-on à l’EPFL où le projet s’est concrétisé, se veut une plateforme où l e s experts mondiaux des pôles pourront conjuguer leurs connaissances – par exemple en faisant des liens entre milieux polaires et régions alpines.
«Le paysage suisse des hautes écoles doit sa compétitivité à la combinaison sage des principes de concurrence et de coopération institutionnelles. Le SPI est un exemple fort de coopération intelligente», applaudit Mauro Dell’Ambrogio. Avant de souligner que «selon le cadre légal, le Sefri ne peut financer l’institut, car celui-ci appartient juridiquement à l’EPFL. Par ailleurs, ce ne serait pas le rôle du Sefri de financer les démarches de politique internationale qui sont à l’agenda du DFAE», en référence donc à la quête d’un nouveau statut dans le Traité de l’Antarctique, mais aussi au Conseil de l’Arctique, où la Suisse brigue un poste d’observateur. Le fonctionnement du SPI est donc assuré par l’EPFL et, selon son vice-président, Philippe Gillet, «par Frederik Paulsen, dont le généreux soutien permettra la création d’une chaire», à hauteur de 5 millions de francs sur dix ans.
L’entrepreneur-explorateur est aussi celui qui payera 2,5 des 3 millions de francs que coûteront les projets de l’«Antarctic Circumnavigation Expedition», le reste étant assuré par le SPI, l’EPFL et les institutions partenaires. Le tout sans parler de l’affrètement du navire. De décembre 2016 à mars 2017, en trois étapes (voir infographie), que l que 50 chercheurs de 30 pays vogueront sur l’Akademik Treshnikov, brise-glace scientifique russe, menant 22 projets «sélectionnés parmi une centaine selon les protocoles habituels», assure Philippe Gillet. Au programme, entre autres: étude du phytoplancton et de son rôle dans l’écosystème, analyse de la capacité des océans polaires à stocker le CO2, reconstruction du climat passé de la Terre, passage au crible du comportement des animaux marins, profilage de la vie microbienne présente ou encore, pour les quatre groupes suisses, étude du paléoclimat de la Terre, des interactions entre l’air et l’eau, du rôle des bactéries et virus marins dans la chimie du carbone et du fer ou explication de la salinité diminuante des océans.
Et lorsqu’il s’agit de motiver ces recherches et ce vaste projet, son initiateur Frederik Paulsen, grand arpenteur des coins glacés de la Terre, a la réponse toute trouvée, l’empruntant à l’explorateur français Jean-Baptiste Charcot: «Quand on a connu les glaces, on n’a qu’une envie, c’est d’y retourner!»