Le petit robot de l’Agence spatiale européenne a rebondi deux fois sur la comète avant de s’immobiliser. Dans une position délicate, il peut néanmoins faire fonctionner la plupart de ses instruments
C’est l’histoire d’un robot qui joue au kangourou sur une comète! L’atterrisseur Philae de l’Agence spatiale européenne (ESA) s’est posé le 12 novembre sur l’astre chevelu nommé 67P/Churyumov-Gerasimenko, ou «Chury», réussissant une première dans l’histoire spatiale, qui promet des avancées vers une meilleure connaissance du Système solaire et de l’apparition de l’eau et de la vie sur Terre. Et il est maintenant immobile, quoique dans une position délicate: selon les images envoyées par son instrument CIVA, que le Centre suisse d’électronique et microtechnique a aidé à développer, il serait coincé à proximité d’une falaise rocheuse, «sur une pente fortement inclinée», de l’ordre de 30 degrés, a indiqué à l’AFP Philippe Gaudon, chef du projet Rosetta au Centre national d’études spatiales, à Toulouse. Comment est-il arrivé là?
Les ingénieurs essaient maintenant de recomposer la trajectoire du robot à la surface de la comète. Et il semble que ce dernier y ait rebondi deux fois avant de se stabiliser, loin du site d’atterrissage prévu. Celui-ci a toutefois été atteint avec une grande précision, comme le montre une image prise avec l’instrument ROLIS 40 secondes avant l’impact (ci-dessus). Son responsable, Stefano Mottola, décrit «une surface de débris, de blocs et de poussière qui vole et se dépose sur ces derniers, selon des phénomènes qui restent à identifier». Mais les harpons de l’atterrisseur, qui devaient l’ancrer dans le sol, ne se sont pas déclenchés. «L’engin a rebondi une première fois, pour un vol de deux heures, montant jusqu’à un kilomètre d’altitude», a dit Stephan Ulamec, manager de Philae.
Après son deuxième atterrissage, il s’est soulevé encore une fois, pour un saut de sept minutes, avant de retoucher le sol à 1 km du premier point d’impact, selon l’estimation des scientifiques. Et comme, pendant ces deux rebonds, la comète n’a cessé de tourner sur elle-même, «nous ne savons pas où nous sommes maintenant», a admis Stephan Ulamec. Et d’expliquer: «Nous avions identifié cinq sites d’atterrissage potentiels, nommés par des lettres, dont J, B et I, voisins les uns des autres» (voir infographie), et choisi le J. «Il est possible qu’on se soit posé sur chacun d’eux… ou qu’on se situe entre deux d’entre eux.»
Les scientifiques espèrent en savoir plus en décryptant les images de CIVA, constitué de sept caméras disposées autour de Philae. Son responsable, Jean-Pierre Bibring, a décrit six clichés devant la presse: «Deux montrent des pieds posés contre des rochers. Sur l’une, on voit que le robot est surplombé par une grande falaise. Sur une autre image, on voit le troisième pied en l’air, ou plutôt dans le vide», littéralement. Sourires dans l’assemblée. Au final, tous conviennent que Philae s’est posé dans le bord d’un grand cratère qui avait aussi été présélectionné (site B).
La bonne nouvelle est que ses antennes sont dégagées et qu’il peut ainsi communiquer avec le vaisseau mère, la sonde Rosetta en orbite autour de «Chury», pour transmettre les données scientifiques à la Terre. Et celles-ci – autre point de satisfaction – forment «une moisson extraordinaire», disent les chercheurs: plusieurs instruments fonctionnent à merveille. Tel le tomographe (scanner) censé étudier la structure interne de la comète (CONSERT), celui déterminant son champ magnétique (ROMAP) ou encore celui caractérisant la composition de la poussière et du plasma environnant (SESAME).
La mauvaise nouvelle est que, vu sa localisation, l’engin se retrouve souvent dans l’ombre. Et donc que les scientifiques doivent rapidement décider que faire ensuite. «Philae a une quantité d’énergie limitée dans ses batteries primaires [non rechargeables]», pour environ 50 à 55 heures de travail des instruments, «et ses panneaux solaires [alimentant les batteries secondaires] sont mal illuminés. Donc on ne sait pas précisément combien de temps elles vont durer», a dit Fred Jansen, chef de la mission. Dans la situation actuelle, Philae bénéficie de seulement 90 minutes de lumière solaire par jour, alors que les scientifiques tablaient sur 6 à 7 heures. «Cela a un impact sur notre capacité à mener les travaux scientifiques, a dit Koen Geurts, manager technique de Philae. Nous sommes en train d’adapter nos plans.»
«Il faut accepter la situation, et peut-être optimiser l’illumination» en orientant la tête de Philae, dit Jean-Pierre Bibring; une manœuvre délicate car elle peut déséquilibrer le robot et le faire choir. De même, les ingénieurs hésitent à actionner le système de forage, qui permettrait de récolter des échantillons à 23 cm sous la surface pour les analyser dans le laboratoire interne. Pour l’heure, «nous devons être très prudents dans l’activation de tout système mécanique», a dit Stephan Ulamec.
Le déploiement d’un instrument justement dans le but de relancer l’atterrisseur un peu plus loin, où il se poserait dans une région plus dégagée, n’est toutefois pas exclu. Mais, vu les risques impliqués, ce serait un nouveau saut de kangourou de dernier recours. Au final, «ce qui est vraiment impressionnant, ce n’est pas le degré d’échec, mais le degré de succès» de la mission, a tenu à souligner Jean-Pierre Bibring.