Des scientifiques partent au Svalbard sur les traces des premiers insectes ayant peuplé la Terre. Parmi eux, le Valaisan Sébastien Barrault, qui assurera toute la logistique du périple
Ils ont tout d’un mélange entre Indiana Jones et les paléontologues modernes de Jurassic Park. Des chercheurs de pointe doublés d’aventuriers – ou l’inverse – qui n’hésitent pas à traverser la planète pour se rendre dans ses coins les plus reculés et sauvages afin d’assouvir un simple besoin de connaissances scientifiques.
Ce vendredi 15 juillet, une équipe de sept spécialistes internationaux en paléoentomologie et en paléobotanique s’envole pour une expédition vers les confins du Svalbard, cet archipel arctique situé par 80° de latitude au nord de la Norvège. Avec eux, ou plutôt devant eux puisqu’il sera leur responsable logistique, le Valaisan Sébastien Barrault; l’ingénieur de l’EPFL de formation gère à Ny-Ålesund, port d’attache scientifique au Svalbard, la base de recherche commune de l’Institut Paul-Emile Victor français (IPEV) et de l’Alfred Wegener Institut allemand. L’objectif du périple: remonter à l’origine des insectes peuplant la Terre, en tentant de découvrir des traces des plus anciennes de ces bestioles dans l’histoire de l’évolution, à ce moment crucial où la vie est sortie de l’eau.
C’était il y a environ 500 millions d’années. Les formes de vie grouillent dans les mers et les océans. «Ce sont d’abord des plantes primitives (mousses, lichens, etc.) qui se mettent à gagner les rives et à coloniser le milieu terrestre», explique Romain Garrouste, entomologiste au Museum national d’histoire naturelle de Paris et organisateur de l’expédition. Une nouvelle niche écologique se met en place, d’abord vide. «Petit à petit, tout est prêt pour accueillir des êtres vivants.»
Ces premiers occupants à fouler la terre ferme seront des arthropodes: «Il y a 450 millions d’années, des organismes microscopiques ressemblant à des crustacés sortent de l’eau, en passant à travers ce milieu intermédiaire que sont les sols.» Ces proto-insectes doivent, au fil de milliers d’années d’évolution, acquérir toutes sortes de capacités: «Un système respiratoire, dont ils n’avaient pas usage dans l’eau. Ou encore des organes pour copuler», car dans l’océan, une technique souvent utilisée consiste, chez le mâle, à larguer des spermatozoïdes dans l’eau, qui vont ensuite féconder les cellules germinales femelles.
Aujourd’hui, les scientifiques ont très peu d’informations concernant ces étapes déterminantes dans l’évolution. Ceci simplement parce que les sites où l’on peut en trouver sont rares, avise Cyrille D’Haese, entomologiste au CNRS français. Mais le Svalbard constitue un gisement parfait pour leurs prospections.
Ce groupe d’îles, au sol gelé en permanence, est un désert polaire recouvert d’une sorte de pelouse alpine appelée toundra. Mais cela n’a pas toujours été le cas: à l’époque, durant l’ère tertiaire (entre -65 et -5 millions d’années), cette région était tempérée à chaude et recouverte d’une végétation luxuriante.
Aujourd’hui, le paysage spectaculaire, du vieux grès rouge, est très favorable à la découverte de fossiles, explique un descriptif de la mission: les glaciers s’étant retirés, les versants des montagnes, avec leurs couches de roches qui se superposent comme les pages d’un livre, présentent une continuité stratigraphique du Dévonien (de -416 à -359 millions d’années) au Mississipien (de -345 à -320 millions d’années), avec un passage progressif et alterné marin-continental. Un type de paléo-environnement qui correspond exactement à celui des «premiers insectes». Ainsi, toutes les étapes de la sortie des eaux ont pu se fossiliser et «s’enregistrer» dans les sédiments de cette zone, cela à travers des restes d’insecte-crustacés, leurs traces, ou des bribes de végétaux.
L’an dernier, l’équipe de scientifiques français s’est rendue sur le terrain pour cinq semaines d’exploration. «Nous avons découvert des gisements fossilifères exceptionnels, raconte Romain Garrouste. De traces de troncs, feuilles et racines d’abord, témoins de la présence d’arbres qui formaient l’une des plus anciennes forêts du monde. Et d’ambre surtout. Celle-ci contenait de petites choses difficiles à extraire.» Mais les chercheurs, qui ont aussi mis au jour des traces de trilobites, ces archaïques arthropodes aquatiques, restent optimistes.
Cette année, ils retournent sur place pour 15 jours denses afin de passer les sites choisis au peigne fin. Les recherches auront lieu surtout dans les vallées glaciaires de la péninsule de Dicksonland et dans les anciennes mines de charbon situées non loin de Pyramiden.
«C’est dans cette ville fantôme, ancienne concession russe où vivaient plus d’un millier de mineurs et habitants au début du XXe siècle, que nous établirons notre camp de base, dans des anciens containers», explique Sébastien Barrault. Bien qu’inhabitée désormais, l’ancienne cité de ferraille et de béton n’est pas sans risque: «Derrière chaque bâtiment peut se cacher un ours polaire, qui sont rois sur ces îles», avertit l’ingénieur originaire de Sion, qui passera les premiers jours du périple à enseigner aux scientifiques comment se servir des armes à feu pour se défendre contre le plantigrade prédateur.
Depuis Pyramiden, les chercheurs rayonneront dans la toundra alentour, à la traque d’échantillons que les chiens de traîneau de Sébastien Barrault aideront, sur leur dos, à ramener au campement. Ces prélèvements viendront rejoindre les 400 kg de matériel collectés l’an dernier, qui attendent déjà dans un container à Ny-Ålesund.
«Nous n’avons à ce jour pu procéder à aucune analyse détaillée de nos fragments car le laboratoire idoine n’était pas disponible», dit Romain Garrouste. Ce sera le long devoir, au retour, dès cet automne. Patiemment, les biologistes vont dissoudre les roches pour ne garder que les éléments organiques qu’elles enferment, autant de bribes témoignant de la faune entomologique fourmillant jadis au Svalbard.
«Le tout sera alors de reconstituer le puzzle avec ces éléments, ceci uniquement grâce à nos connaissances visuelles, se réjouit le chercheur. C’est très excitant.» Et important? En quoi? «Ce sont là avant tout des démarches de science fondamentale, visant à mieux décrire l’évolution de la biodiversité sur Terre, admet Romain Garrouste. Mais nos recherches aideront aussi à reconstituer le climat du passé dans ces régions polaires. Un élément essentiel pour mieux comprendre le régime climatique futur de notre planète.»